Les assureurs vie canadiens ont créé plus d’une surprise par la façon dont ils ont contourné les écueils rencontrés au cours des dernières années. Leur réaction à certaines des crises qui ont menacé leur rentabilité s’approche même de la prouesse, ont convenu des analystes interrogés par le Journal de l’assurance.Les contraintes règlementaires, les pressions économiques et les habituelles entraves à la croissance semblent s’être liguées pour frapper fort les assureurs. En contrepartie, ceux-ci ont fait preuve d’une belle résilience. Résultat? Leur pouvoir sur la fixation des prix est supérieur à qu’on n’aurait d’abord supposé. Le marché semble en outre disposé à accepter une restructuration de fond en comble, non seulement des produits, mais aussi du secteur en tant que tel.

Parallèlement, d’autres changements sont survenus, notamment du côté du commerce international, puisque l’enthousiasme suscité depuis un moment par l’expansion en Asie commence à s’estomper. Les exigences règlementaires des fonds propres sont un autre exemple : l’industrie attend toujours de connaitre les nouvelles directives qui pourraient alléger fortement la pression subie par certains.

La faiblesse des taux d’intérêt constitue l’une des plus grandes difficultés de l’industrie. Cette donnée est le catalyseur de tous ces efforts qui, liés à la restructuration des produits et du secteur, à la gestion du risque et à la réduction des couts, est devenue une priorité pour les hauts dirigeants chargés d’atteindre les objectifs de rentabilité.

Restructuration et déplacement des risques

Depuis 2010, les sociétés d’assurance ont trouvé diverses façons d’atténuer le risque associé à leurs avoirs. Aux États-Unis, on a cessé d’offrir les produits de rente variable, tandis que d’autres ont vendu leurs activités. Parallèlement, la restructuration des produits et l’augmentation des prix se pratiquent dans toute l’industrie.

La restructuration du risque lié aux produits traditionnels vendus par le passé (principalement en les adossant à des actifs) fait partie des grands chantiers entrepris par les sociétés d’assurance. Selon Robert Sedran, directeur général du service de recherche sur les actions pour les services financiers aux Marchés mondiaux CIBC, la plupart des compagnies sont désormais parvenues à assurer progressivement la couverture des contrats en vigueur.

L’adossement à des actifs réduit certes le profil de risque global d’une compagnie, mais la démarche comporte un certain risque opérationnel. « Ça ne se fait pas toujours sans complications, dit-il. Pour les assureurs, il s’agit d’une décision parmi les plus stratégiques qui soient. Ils se trouvent à modifier sur plus d’un plan la nature d’un bloc de polices. Les risques de se tromper sont incroyablement élevés. On ne saurait trop insister sur l’importance de ce qui se fait depuis deux ans. »

M. Sedran ajoute que la tâche de chaque compagnie d’assurance est proportionnelle au profil de risque présent au début de la crise financière. La Financière Manuvie, par exemple, « présentait le profil de risque le plus élevé de toutes, lorsque la crise s’est déclenchée. C’est donc elle qui a eu le plus de travail à faire. Mais cela ne change rien au fait que toutes ont dû s’atteler à la tâche, d’une façon ou d’une autre. Dans certains cas, il n’est pas vraiment possible de couvrir la totalité des risques liés à un produit. Il faut alors aussi le modifier un peu. »

Quant aux prix, il affirme que toutes les compagnies ont agi de concert. « L’envergure du changement est elle aussi tributaire du profil de risque initial », dit M. Sedran.

La nécessité de redresser les prix, tout comme les conditions générales du marché, ont nécessairement eu des répercussions sur l’évolution des ventes dans le secteur. Tom MacKinnon, directeur et analyste chez BMO Marchés des capitaux, signale que, après plusieurs phases de redressement des prix, les ventes de produits d’assurance vie universelle ont commencé à diminuer (la situation du marché a aussi alimenté cette tendance), tandis que les assureurs ont vu augmenter leurs ventes d’assurance vie avec participation.

Il ajoute que les produits comportant des caractéristiques variables (communément appelés « produits ajustables ») pourraient effectuer un retour. Empire Vie a lancé, en avril, une assurance vie hybride permanente comportant à la fois des conditions garanties et variables, et l’Industrielle Alliance a annoncé l’arrivée en juin d’un nouveau produit d’assurance vie universelle à caractéristiques variables.

M. MacKinnon fait toutefois remarquer que, même si l’augmentation des prix contribue à améliorer la rentabilité des sociétés d’assurance, celles-ci n’arrivent pas, au Canada, à vendre leurs assurances individuelles au prix visé.

Intérêt pour l’assurance collective

Quant à l’assurance collective, elle fait partie des sujets traités dans les premières pages du dernier rapport annuel de chacune des trois grandes sociétés d’assurance. Selon les analystes, cet intérêt s’inscrit dans la tendance à mettre l’accent sur les produits dont le prix peut être renégocié une fois l’an, au besoin.

« On dit qu’une compagnie d’assurance doit composer longtemps avec ses erreurs, explique M. Sedran. C’est vrai dans le cas de nombreux produits, mais pas nécessairement tous. Le marché va donc mettre davantage d’énergie du côté des produits qui s’adaptent plus rapidement aux circonstances. »

En plus de présenter des ventes relativement stables (leur évolution a tendance à suivre la croissance économique ou celle du PIB), l’assurance collective présente un risque relativement prévisible. « Les gens vont chez le dentiste deux fois par année, et on a une bonne idée du nombre moyen de personnes qui mourront ou deviendront invalides au cours d’une année, dit Donald Chu, directeur de Standard & Poor’s. Les assureurs font d’assez bonnes prévisions dans ce domaine, et s’ils font fausse route, ils peuvent toujours modifier leur prix, l’année suivante. »

La taille et l’ampleur du contrat ont aussi de l’importance. Une fois que la technologie nécessaire à la gestion de polices collectives est en place, un assureur peut explorer le marché et desservir des groupes de plus ou moins grande envergure, sans chambarder son infrastructure.

Au Canada, comme les gros dossiers ne font en réalité aucun gagnant, les assureurs pourraient miser sur la technologie dont ils disposent déjà pour rassembler divers petits blocs de polices collectives.

Quant au marché américain, il fait actuellement la vie dure à ceux qui travaillent en assurance. Premièrement, les mutuelles livrent une concurrence particulièrement intense. Ensuite, les exigences règlementaires des fonds propres entravent la capacité qu’ont les compagnies canadiennes d’être vraiment concurrentielles.

La décision de ne plus y vendre de rentes viagères témoigne de cette difficulté. M. Sedran dit qu’il s’agit d’un marché « hyperconcurrentiel », où l’adversaire assure une gestion particulièrement serrée de ses frais fixes.

Il faut davantage de capital

« Il devient alors difficile d’obtenir un rendement approprié, compte tenu du risque engagé. Il faut dire aussi que, pour les sociétés canadiennes, on a resserré les règles relativement aux fonds propres dont les compagnies doivent disposer pour couvrir les nouvelles rentes viagères. Au Canada, il faut maintenant davantage de capital pour garantir une rente viagère vendue aux États-Unis, dit-il. Il n’est pas facile d’y faire des affaires. »

La décision de se retirer du marché américain n’a pas non plus été prise à la légère. « Ce fut aussi terrible que l’on puisse l’imaginer », dit M. Chu. Il souligne que Financière Sun Life a consacré beaucoup d’argent à ses acquisitions aux États-Unis. « C’est très certainement un coup dur pour eux, financièrement. Toutes les autres compagnies d’assurance sont pas mal dans le même bateau… Elles ont commencé à réaliser que le marché américain n’est peut-être pas aussi intéressant qu’elles le pensaient. »

Pour ce qui est du marché international, les compagnies continuent de scruter la croissance que l’Asie pourrait offrir, mais leur enthousiasme est manifestement moins débordant que naguère.

M. Sedran affirme que l’on accorde moins d’attention à une telle expansion depuis deux ans, car les compagnies ont dû se recentrer sur ce qui se passe à l’interne. Elles vont donc plutôt repositionner et restructurer leurs activités principales.
De plus, une expansion en Asie nécessite de vastes moyens. « Manuvie et Sun Life ne sont pas les deux seules compagnies au monde à avoir compris que la croissance va plus vite en Asie, dit-il. Là aussi, on se bat fort pour s’approprier des actifs. »

Pas les résultats souhaités

Il faut aussi tenir compte de l’écart entre les chiffres des ventes et les résultats globaux. Les compagnies ont beau consacrer de fortes sommes, la démarche ne donne pas vraiment les résultats financiers souhaités. Même si le taux de croissance cumulé du chiffre d’affaires a grimpé de près de 25 % depuis 2008, M. MacKinnon évalue que le taux de croissance annuel composé, lui, « se situe probablement davantage autour de 4 à 5 % ».

Le territoire asiatique garde néanmoins de son attrait, parce que les compagnies qui visent la croissance peuvent difficilement l’atteindre en se limitant aux ventes réalisées au Canada.

Vu les difficultés et l’optimisme mitigé que suscite l’Asie, la pénétration des marchés financiers s’y fait petit à petit. La population y est jeune et elle affiche toujours une croissance rapide, si bien que la région reste un territoire prometteur.
« On voit – ou, du moins, on peut prévoir – assez aisément que les ventes y progressent, car ce sont là deux facteurs propices à une bonne augmentation des ventes, dit M. Sedran. Le prochain défi consiste à faire augmenter les bénéfices au même rythme que les ventes. »

Ailleurs, l’acquisition de la société Irish Life par la Great-West, en Irlande, ramène l’optimisme chez les analystes. Comme la Great-West a déjà démontré qu’elle pouvait exploiter adéquatement un marché, les analystes suivent avec intérêt la suite des choses.

« Cette acquisition peut paraitre bizarre, mais elle prend tout son sens quand on se rend sur ce marché et qu’on apprend à le connaitre, mentionne M. Chu. L’entreprise se consacre davantage à la gestion de patrimoine assortie d’honoraires qu’aux produits d’assurance traditionnels associés à un horizon à long terme. « C’est une belle petite acquisition. De plus, comme le mot «Irlande» fait partie de son nom, personne n’ose l’affronter. » Les analystes s’entendent également pour dire que la Great-West a obtenu cette compagnie à un prix intéressant.

Pour ce qui est du Royaume-Uni, la compagnie n’a pas rencontré les mêmes difficultés qu’en Grèce, en Italie ou en Espagne, si elle y avait été présente.

Enfin, l’Inde continue d’être un défi pour Sun Life, depuis que le gouvernement y a adopté une nouvelle règlementation, en 2011. « Tout cela a considérablement entravé la croissance des ventes », affirme M. MacKinnon.

Au moment de rédiger ces lignes, les analystes ont expliqué au Journal de l’assurance que l’évaluation des actions des sociétés d’assurance est généralement juste. Le premier trimestre de 2013 se termine d’ailleurs sur une note positive, grâce non seulement aux taux d’intérêt et aux efforts déployés en gestion des dépenses, mais aussi au fait que les compagnies tirent de plus en plus parti de la technologie à leur disposition. La prudence avec laquelle les sociétés d’assurance ont choisi leurs secteurs d’activités a aussi facilité les choses.

Mettre le paquet ou pas

« On peut soit mettre le paquet pour mieux positionner sa marque, soit prendre une décision financière ou purement commerciale, et dire que non, on n’ira pas faire concurrence aux gros joueurs; on va se retirer de ce marché qui ne rapportera pas assez, compte tenu des efforts qu’il faudra y mettre », dit M. Chu.

Pour ce qui est des entreprises en tant que telles, M. Chu trouve qu’elles sont bien positionnées et solidement capitalisées. « Elles ont fait le ménage dans les produits moins rentables et elles disposent de réserves adéquates. Cela les place dans une position plutôt satisfaisante. Il y a de fortes chances que les choses aillent encore mieux, mais ça se fera lentement, progressivement. » La possibilité que la faiblesse des taux d’intérêt se prolonge constitue une inconnue de taille.

Les analystes croient aussi que les produits associés à des honoraires et ceux pour lesquels une plus grande part du risque est portée par l’assuré, et non l’assureur, devraient donner une nouvelle couleur à l’avenir. Le cas échéant, il faudra que les marchés boursiers collaborent pour que les résultats soient au rendez-vous.

« On aura beau décider d’agir comme un gestionnaire de fonds communs de placement, il faudra toujours avoir des actifs à gérer si on veut faire plus d’argent, illustre M. Sedran. Les marchés demeurent donc une variable clé. »

Enfin, si les compagnies recommencent à s’intéresser à l’expansion internationale, on s’attend à ce qu’elles suivent désormais leurs dépenses d’encore plus près. On s’attend également à voir une croissance des bénéfices dans les mois et années à venir. M. Sedran précise d’ailleurs que la nouvelle clientèle, même en Asie, est plus rentable aujourd’hui qu’il y a cinq ou sept ans. « Je m’attends à voir les bénéfices se pointer. Je ne suis pas sûr que cela se fasse rapidement, mais on devrait commencer à sentir leur présence au cours du présent exercice, ainsi que l’an prochain. »