Dans le secteur commercial, il existe certaines situations où les solutions d’assurance disponibles sont adéquates, sans être idéales. Les sous-limites, les franchises élevées et les clauses restrictives — vestiges des récents marchés durs — peuvent exposer les entreprises à des risques qu’elles préféreraient ne pas autoassurer.

Par ailleurs, certains risques — qu’ils soient traditionnels, atypiques ou émergents — sont parfois tout simplement non assurables. Les polices standards ne permettent pas toujours une couverture efficace.

Par exemple, un immeuble évalué à 2 millions de dollars pourrait avoir une franchise sismique de 400 000 $. Dans d’autres cas, les assureurs traditionnels peuvent refuser toute couverture en cas de tremblement de terre dans certaines zones.

Devant ces limites, les courtiers ne disposent pas d’un éventail infini d’options, mais un produit existe pour combler certaines de ces lacunes. Il n’est pas nouveau au Canada, mais il connaît actuellement une évolution notable et semble prêt pour une nouvelle phase de croissance, vendu de plus en plus souvent en complément des polices commerciales traditionnelles.

À l’avant-scène

Les produits d’assurance sont rarement qualifiés de captivants, novateurs ou dynamiques. Pourtant, l’assurance paramétrique peut revendiquer ces qualificatifs, surtout à la lumière des récents progrès en science des données qui semblent ouvrir la voie à un développement accéléré.

Sur mesure, mais simple et souvent très précise, l’assurance paramétrique s’adresse aux assurés ayant un intérêt assurable, et verse une indemnité lorsqu’un seuil ou événement déclencheur préalablement défini est atteint. Ces déclencheurs doivent toujours être vérifiés de façon indépendante par un tiers agréé. Les couvertures liées aux catastrophes naturelles et aux conditions météorologiques sont les plus courantes, bien que des observateurs du marché anticipent aussi l’arrivée de couvertures paramétriques pour les cyberincidents.

Le produit a beaucoup évolué… L’assurance paramétrique est très présente dans le secteur agricole.
— James King

Traditionnellement offerte à de grandes entreprises, à des municipalités et à d’autres groupes d’envergure, l’assurance paramétrique connaît une popularité marquée dans le milieu agricole. Grâce à la technologie, cette couverture pourrait bientôt être accessible à des entreprises de plus petite taille.

À titre d’exemple, Aviva a récemment fait son entrée sur ce marché. L’assureur a lancé à l’hiver 2023 deux produits pilotes liés aux précipitations avec trois cabinets de courtage. En octobre 2024, il a ajouté trois produits liés à la température et commencé à élargir sa distribution auprès d’autres courtiers.

James King

« Il suffit de peu pour générer une police », explique James King, responsable du fronting au sein de l’équipe mondiale des assurances spécialisées d’Aviva. « N’importe quel courtier peut en faire la démonstration », ajoute-t-il. « C’est maintenant disponible pour les petites organisations. »

Initialement conçue, par exemple, pour les producteurs d’énergie préoccupés par l’impact de la météo sur leur capacité à vendre de l’électricité au réseau, l’assurance paramétrique s’est élargie pour inclure surtout des déclencheurs liés aux catastrophes naturelles. « Le produit a beaucoup évolué », insiste M. King. « L’assurance paramétrique est très répandue dans le milieu agricole. »

Youssef Baki

Youssef Baki, spécialiste principal en transfert alternatif de risques chez Swiss Re Corporate Solutions, explique que l’assurance paramétrique a commencé à émerger comme solution viable pendant les années de marché dur qui ont précédé la pandémie, alors que les primes traditionnelles montaient, que la capacité diminuait et que les conditions se resserraient. « Cela a grandement favorisé l’adoption de l’assurance paramétrique au Canada », dit-il. « On a vu ce produit venir combler des lacunes laissées par les couvertures traditionnelles. »

Durant cette période d’incertitude, l’assurance paramétrique a été bien accueillie pour sa transparence et sa simplicité. « Elle représente un outil supplémentaire dans la boîte à outils des gestionnaires de risques », affirme M. Baki (Swiss Re œuvre dans ce secteur au Canada depuis la fin des années 1990).

L’intérêt principal de l’assurance paramétrique est le suivant : lorsqu’un événement ou une condition prédéfinie survient, la police verse un montant déterminé — sans besoin d’expert en sinistre ni d’ingénieur. Résultat : les indemnités sont généralement versées rapidement.

C’est une forme d’assurance beaucoup plus transparente et, en général, plus rapide à régler qu’une police classique en dommages.
— Jason Wallace

« C’est une forme d’assurance beaucoup plus transparente et plus rapide à régler que les polices traditionnelles », observe Jason Wallace, directeur des relations de marché et du développement des affaires chez Western Financial Group. Il précise que les polices, surtout pour les grands clients, sont souvent très personnalisées. « C’est une façon novatrice de transférer un risque de manière non traditionnelle. »

En plus des conditions de marché, la fréquence accrue des événements climatiques extrêmes et des catastrophes naturelles pousse les entreprises à mieux évaluer leurs expositions et les limites de leurs couvertures actuelles.

Des zones de croissance, notamment au Canada, sont observées par Swiss Re en Colombie-Britannique (risque sismique), dans les provinces de l’Est (risques liés aux ouragans) et auprès des entreprises canadiennes ayant des activités dans le golfe du Mexique ou les Caraïbes.

« Presque tous les secteurs économiques sont exposés aux catastrophes naturelles et veulent connaître les options disponibles », indique Youssef Baki.

Applications concrètes

Les préoccupations varient selon les clients : pour certains, ce sera la continuité des activités ; pour d’autres, le besoin de couvrir une franchise sans affecter les résultats financiers.

Quelques exemples :

  • Les exploitants de chalets ou les organisateurs d’événements peuvent subir des pertes importantes en cas de mauvaise météo. Une assurance paramétrique peut compenser les coûts liés à l’émission de bons de retour pour les clients insatisfaits.
  • Des prêteurs hypothécaires commerciaux peuvent exiger une couverture paramétrique pour couvrir les franchises en cas de catastrophe.
  • Les producteurs agricoles peuvent se protéger contre des périodes de sécheresse prolongée.
  • Des produits « clés en main » incluent l’assurance contre la pluie pour des défilés ou festivals, ou encore une assurance annulation permettant de couvrir le coût du transfert d’un événement à l’intérieur. L’assurance des prix (ex. : gros lot garanti) peut aussi être considérée comme étant paramétrique.
  • Les municipalités peuvent combler des sous-assurances ou financer la relance après sinistre.
  • Les entreprises solaires peuvent se prémunir contre une période avec un nombre insuffisant d’heures d’ensoleillement.
  • Certains hôtels situés dans de grandes villes achètent une couverture paramétrique contre les tremblements de terre ou les inondations éclair.
  • Des entreprises choisissent l’assurance paramétrique pour réduire leur exposition aux franchises élevées et aux sous-limites.

« Les cas d’usage varient énormément d’un client à l’autre. C’est ce qui rend le travail si intéressant », souligne M. Baki, qui précise que les clients apprécient en général la mécanique du produit. « Ce qui est fascinant avec l’assurance paramétrique, c’est qu’on aide les clients à reprendre le contrôle de leur risque. »

Des défis qui persistent

Le marché ne va pas sans défis. Bien qu’il soit prometteur, il reste de niche. Aviva, par exemple, ne prévoit pas une adoption massive avant 2026. Chez Swiss Re, Youssef Baki note que les grands cabinets de courtage commencent à former des équipes spécialisées.

« Nos partenaires courtiers jouent un rôle clé dans l’éducation du marché », dit-il. En dehors de quelques milieux d’affaires, le produit reste méconnu. « Comme assureur de premier plan, on accueille cette spécialisation à bras ouverts. Elle contribuera certainement à faire croître le marché. »

Jason Wallace note aussi le besoin d’éducation : « La plupart des gens en dehors du domaine n’en ont jamais entendu parler. »

De plus, tous les assureurs ne souhaitent pas offrir ce type de produit, et tous les courtiers ne s’y connaissent pas. « C’est un produit très spécialisé », dit-il. « Il sert surtout à couvrir des risques très précis. »

L’expertise requise en science des données représente aussi un défi, notamment pour concevoir de nouveaux déclencheurs innovants.

Et il y a le prix.

« Il faut une très bonne raison pour l’acheter », reconnaît M. Wallace. « C’est peu compris, et les primes sont souvent élevées. Le coût constitue probablement une barrière à l’entrée. »

Ce coût entretient certaines perceptions erronées. « On ne peut pas comparer les assurances traditionnelles et paramétriques comme si elles étaient équivalentes », insiste Youssef Baki. « Ce sont des produits fondamentalement différents, tant dans leur fonctionnement que dans leur logique d’indemnisation. »

Enfin, comme pour bien d’autres secteurs, la technologie pourrait favoriser un développement accéléré du produit en élargissant la gamme des déclencheurs mesurables et en permettant des analyses plus poussées, notamment grâce à l’amélioration des prévisions météorologiques.

« À mesure que les assureurs et les investisseurs gagnent en confiance face aux données, ils vont investir davantage », estime Jason Wallace. « La capacité de traiter d’immenses volumes de données sera un moteur important, c’est certain. »

Un marché en croissance

Selon tous les intervenants consultés par le Portail de l’assurance, l’assurance paramétrique prendra de l’ampleur, portée par l’intensification des catastrophes naturelles. Si la couverture pour les cyberrisques se développe aussi, les déclencheurs météo et catastrophe resteront au cœur de l’offre à court terme.

Et le marché des petites entreprises ne sera pas en reste. « Mon expérience a toujours été du côté des grandes entreprises », conclut M. Wallace, « mais je ne serais pas surpris de voir de plus en plus de solutions paramétriques émerger, à mesure que les risques continuent d’évoluer. »