Il n’y a pas que les écolos et les scientifiques qui sonnent l’alarme au sujet du réchauffement climatique. L’industrie de l’assurance a joint le bal.Les études scientifiques sur le sujet s’accumulent chez les principaux réassureurs. Comme les couvertures d’assurance sont calculées à partir de l’évaluation du risque fondée sur les sinistres encourus, les données commencent à troubler sérieusement l’industrie mondiale de l’assurance.

Jean-Jacques Henchoz, président et chef de la direction de Suisse de Réassurance du Canada, reconnaît qu’il existe une tendance à l’augmentation de la fréquence et de la sévérité des catastrophes liées aux conditions climatiques. « Nous devons nous assurer que nos expositions sont sous contrôle de par le monde, dit-il. Mais j’estime que les données actuelles sont satisfaisantes sur une base continue. »

M. Henchoz ne veut pas minimiser le débat actuel sur ce risque. D’autant plus que Suisse de Ré est un meneur dans le clan des assureurs et des scientifiques qui tentent, depuis des années, d’alerter l’opinion publique internationale sur cette réalité. Mais il considère que le réchauffement climatique relève encore du débat de société et que les réassureurs sont toujours adéquatement préparés à faire face aux événements.

« Pour le moment, les réassureurs sont bien en scelle, renchérit Cameron MacDonald, président de Transatlantic Re et du Conseil canadien de la réassurance. Mais imaginez qu’un nouvel ouragan de classe 5 (comme Katrina) frappe la Nouvelle-Orléans ou Miami. Ce serait dévastateur. Les assureurs sont inquiets face à cette réalité. Sur un autre plan, le risque sismique est bien réel partout sur la planète. Au Canada, nous n’avons pas encore subi ce tremblement de terre majeur, qui survient tous les 250 ans, et qui est susceptible de se produire ces années-ci, selon les données scientifiques actuelles. »

Lors d’un congrès tenu le 10 janvier dernier par l’Insurance Information Institute, plusieurs présidents d’assureurs américains ont clairement laissé entendre que le prochain ouragan ou tremblement de terre majeur sera bien plus dévastateur, du point de vue économique, que les ouragans de l’an dernier, Katrina en tête.

Des assureurs se retirent massivement de certaines zones à risque après avoir été littéralement lessivés par Katrina. « La Floride est une anomalie géographique du point de vue de l’assurance », a expliqué W.G. Jurgensen, chef de la direction de Nationwide, lors de cette conférence. Ce dernier souligne que cet état continue d’attirer de nouveaux résidents même s’il constitue une zone à risque élevé. Et que des ajustements à la tarification devront être entrepris sur une base nationale pour tenir compte de cette nouvelle réalité.

M. MacDonald envisage l’avenir avec lucidité : « Je crois qu’il surviendra certainement des ajustements dans la conception des protections de réassurance, au cours des prochains mois. Et les assureurs devront aussi faire le même genre de travail. Même si ces commentaires sont encore du domaine spéculatif, les modèles météo pointent tous vers plus de sévérité. Jusqu’à un certain point, ça fait franchement peur! »

Les systèmes de modélisation inquiets

Même les sociétés de modélisation du risque, dont les données alimentent la souscription des risques, prévoient une augmentation de la sévérité et du nombre de catastrophes liées aux conditions climatiques.
Une de ces sociétés, Tropical Storm Risk (TSR) vient de publier des chiffres alarmants. TSR prédit une saison des ouragans très active dans la zone atlantique en 2006. Sur les côtes américaines, cette activité sera de 60% plus sévère que les normales observées entre 1950 et 2005.

TSR parle d’une probabilité de 81% que la sévérité des ouragans frappant les côtes américaines se situe dans la tranche supérieure. La force des vents balayant l’Atlantique et la mer des Caraïbes ainsi que la température élevée de l’eau entre l’Afrique et l’Amérique constituent les deux principaux facteurs militant en faveur d’une sévérité accrue.

Par contre, les données historiques avancées par TSR permettent de conclure qu’il n’y aura probablement pas plus d’un ouragan de classe 5 frappant la région du golfe du Mexique en 2006, contrairement à l’an dernier.

De son côté, la société AON est d’avis que les changements climatiques actuels se traduiront par davantage de sécheresse dans certaines parties du monde ainsi que par plus de précipitations, d’inondations et de tempêtes de vent ailleurs. « La complexité des installations manufacturières, leur interdépendance et la croissance continue de mégalopoles, souvent situées dans des zones plus à risque sur le plan catastrophique, se traduiront par une augmentation continue des coûts d’assurance en matière d’inondations, d’ouragans et de tremblements de terre », affirme la société dans son rapport Focus de décembre.

En janvier, AON a publié un nouveau bulletin Focus dans lequel elle affirme que les études statistiques actuelles indiquent que nous traversons actuellement un cycle d’une décennie de conditions climatiques dont la sévérité sera constante ou même pire. L’étude fait état d’un cycle semblable à celui qui s’est étiré de 1930 jusqu’au milieu des années 1960. AON prédit que le marché de l’assurance américain va se durcir, avec une tarification en hausse constante, notamment pour les entreprises situées dans les zones à risque. En conséquence, les catastrophes passées et futures vont transformer en profondeur la réassurance mondiale.

Lors d’un symposium sur les ouragans tenu à Londres à la fin de l’an dernier, organisé par GE Insurance Solutions, Roger Pielke Jr, directeur du Centre de recherche sur les politiques liées à la science et à la technologie de l’Université du Colorado, a affirmé que l’ampleur des pertes des ouragans qui toucheront les États-Unis vont « continuer à nous abasourdir » au cours des prochaines années.

L’urbanisation des régions côtières joue un rôle dans cette augmentation du risque. Urbanisation qui se constate partout dans le monde, notamment en Asie.