Voilà sans doute le sujet le plus discuté derrière les portes closes dans l’industrie de l’assurance de personnes : la baisse constante des ventes de polices d’assurance vie de 2010 à 2022 au Canada. Une idée a surgi lors d’une rencontre privée organisée à l’occasion du congrès de la Canadian Association of Independent Life Brokerage Agencies (CAILBA), en juin à Whistler, en Colombie-Britannique : pourquoi ne pas permettre aux banques canadiennes de vendre de l’assurance de personnes en succursale ?
Bien que la rencontre d’une douzaine de personnes se soit tenue à huis clos, le Portail de l’assurance a eu vent des discussions par le biais de quelques participants qui ont préféré conserver l’anonymat.
Les données de vente de polices d’assurance que le Portail de l’assurance publie sont tirées de LIMRA. De leur côté, les statistiques de l’évolution de la population canadienne proviennent de Statistique Canada.
Données mises à jour
Les données de 2023 des ventes et de la population canadienne étant maintenant disponibles, le Portail de l’assurance en a profité pour mettre à jour ses statistiques.
Le premier graphique montre l’évolution des ventes et de la population canadienne de 2010 à 2023. Durant cette période, le nombre de polices (contrats) vendues est tombé de 733 941 unités à 667 752. La population canadienne est passée de 33,8 millions à 39,5 millions de personnes. De 21,7 polices vendues par 1 000 habitants en 2010, les ventes ont baissé à 16,9 contrats par 1 000 habitants en 2023.
On peut tirer deux autres observations des statistiques compilées par le Portail de l’assurance : le nombre de polices qui auraient dû être vendues ainsi que le manque à gagner durant la période observée.
Le deuxième graphique révèle qu’en se fondant sur les chiffres de vente de polices et de la population canadienne en 2010, on observe un taux de pénétration de 21,7 polices vendues par 1 000 habitants. Si ce même taux avait été atteint en 2023, on peut évaluer que l’industrie canadienne aurait vendu 857 440 contrats plutôt que 667 752, comme la réalité l’a montré.
Le troisième graphique montre que si ce même taux de pénétration des ventes auprès des Canadiens avait été maintenu de 2010 à 2023, l’industrie aurait vendu 1 117 169 polices de plus.
Menace des banques
Lors des échanges au congrès de la CAILBA, des intervenants ont exprimé que permettre aux banques de vendre de l’assurance en succursale mettrait en péril le réseau des conseillers en sécurité financière. D’autres ont argumenté que cette menace ne s’est jamais matérialisée au Québec, alors que la vente d’assurance dans les succursales des caisses populaires de Desjardins a été autorisée voilà des décennies.
Un autre commentaire entendu porte sur l’effet que les banques ont eu sur la commercialisation des régimes enregistrés d’épargne-retraite (REER). Lancé par le gouvernement fédéral en 1957, puis adopté par le Québec en 1959, ce programme d’épargne avec incitatifs fiscaux est demeuré longtemps méconnu des Canadiens. L’entrée des banques dans ce créneau a démocratisé ce véhicule fiscal, qui est devenu un mot courant du langage des Canadiens.
Des primes en hausse
Si le nombre de polices vendues au Canada s’affiche en baisse depuis 2010, il en va autrement des primes.
Les statistiques de LIMRA montrent en effet que les primes sont en hausse. On observe ainsi plus de contrats avec de fortes primes. En 2023, LIMRA rapporte que les primes vendues ont atteint 1,86 milliard de dollars, un sommet sans précédent. Ce sont les contrats d’assurance vie entière qui ont raflé 68 % de toutes les ventes de polices au Canada.
Des dirigeants voient dans cette hausse des contrats avec de fortes primes le reflet de la situation dans le réseau des conseillers et de la société canadienne. Le réseau est constitué de conseillers plus âgés qui se concentrent auprès d’une clientèle plus âgée. Ces clients sont nécessairement plus à l’aise que les Canadiens plus jeunes et souvent en phase de protection de patrimoine et de transfert à la génération suivante. Ils ont passé la phase de désirer acquérir de l’assurance pour se protéger eux-mêmes et les membres de leur famille.
Une autre observation circule chez de hauts dirigeants : l’immigration que le Canada connaît depuis des années cache sans doute une autre réalité. Les immigrants venus d’Asie, en forte hausse, ont une propension naturelle à acheter de l’assurance vie pour protéger la famille. S’ils le font, on peut conclure que la baisse des ventes au pays dissimule que les Canadiens d’origine, eux, achètent moins de polices.