Il est de notoriété que l’investisseur canadien manque de connaissance. Mais pour une première fois, on a aussi mesuré son incompétence avec précision pour découvrir que c’est ce facteur qui nuit le plus à ses décisions de placements.Une étude universitaire a révélé que peu de Canadiens dressent leur profil d’investisseur et se donnent des objectifs de placement. Notés sur leurs connaissances, seul 5 % des répondants ont obtenu un score supérieur à 66 %. La moitié des réponses se situent entre une note de 37 % à 55 %.
Présentée au colloque du Conseil des fonds d’investissement du Québec en septembre par Jean-Marc Suret, l’étude Connaissances financières et rationalité des investisseurs canadiens a été menée en 2011 auprès de 1 800 répondants au Québec et en Ontario. En majorité des hommes de 55 ans et plus qui ont fréquenté l’université, les répondants travaillent à temps plein ou sont à la retraite.
Le revenu annuel de plus de 44 % des répondants ontariens est de 100 000 $. Celui de plus de 45 % des répondants québécois oscille entre 50 000 $ et 99 000 $. La médiane de la valeur des portefeuilles observés se situe à 200 000 $.
M. Suret est pour sa part professeur titulaire à la Faculté des sciences de l’administration de l’Université Laval. La Chaire Groupe Investors en planification financière de l’Université Laval participe à la diffusion de l’étude.
L’étude qu’il a pilotée a souligné quelques bonnes nouvelles éparses. Par exemple, les investisseurs canadiens ont une bonne connaissance du concept de diversification. Or, peu mettent ce concept en pratique. En fait, seuls 30 % savent qu’un portefeuille diversifié doit détenir au moins 10 titres. En pratique, 70 % des Canadiens qui ont investi dans des titres de petites capitalisations détiennent moins de 6 titres différents dans leur portefeuille. Chez les investisseurs en titres de grandes capitalisations, les détenteurs de 6 titres et moins comptent pour 57,6 % des répondants.
Le tiers des répondants seulement savent que le rendement des bons du Trésor a oscillé en moyenne entre 3 % et 5 % depuis 10 ans. Le plus frappant : 36 % ne peuvent même pas avancer un chiffre (voir graphiques). Pour les obligations, seul 4 % des répondants sont sur la cible : rendement moyen de 10,4 % en 10 ans. Encore là, 36 % ne savent pas. Seul 14 % des répondants savent que le rendement du TSX a avoisiné les 10 à 12 % dans les dix dernières années (11,3 %). Le tiers ne sait pas quoi répondre.
Questionnés sur la prime de risque, soit l’écart entre le rendement du TSX et celui des obligations, c’est 48 % des répondants qui demeurent sans voix. À peine 1 sur 5 a vu juste : cette prime se situe entre 4 et 5 %.
La notion de risque semble d’ailleurs mal comprise. Selon l’étude, seulement 30 % ont répondu correctement à la notion de prime de risque. Un peu moins de 41 % des répondants reconnaissent qu’un rendement élevé ne peut être obtenu qu’au prix d’un risque plus important. À l’affirmation « il existe des aubaines sur le TSX avec risque faible et rendement élevé », un maigre 9,8% de l’échantillon a répondu « faux ». De tels titres existent, mais ils sont rares, ont répondu 64 %.
Les investisseurs semblent aussi ignorer les fondements de la sélection des titres. Plus de 81 % d’entre eux croient à l’existence de moyens fiables pour détecter les titres surévalués ou sous-évalués. Une fois leur portefeuille constitué, seuls 22 % des répondants comparent systématiquement la performance aux indices de référence. Pour la plupart, il n’est pas essentiel de le faire.
Trop émotifs
Mais selon l’étude pilotée par Jean-Marc Suret, cette initiative ne suffira pas. Si renseigné qu’il soit, l’investisseur doit aussi se montrer compétent et contrôler ses émotions. « Si les individus ne sont pas rationnels, les efforts de littératie peuvent n’avoir que des effets limités », dit-il
L’investisseur rationnel ne se laissera pas dominer par les émotions et connaitra ses limites, selon le professeur. Pourtant, mythes et croyances semblent peupler l’imaginaire des investisseurs canadiens. Ces lacunes minent leur capacité à planifier et optimiser la composition de leur portefeuille, ainsi qu’à générer un rendement correct.
Somme toute, la rationalité des investisseurs est limitée et leurs biais sont nombreux. Un des plus importants soulevés par l’étude est le biais d’asymétrie. Le répondant moyen affiche en effet une préférence pour les titres loteries : ceux qui présentent de faibles probabilités de gains importants.
Les chercheurs ont aussi observé chez les investisseurs un biais de familiarité. En vertu de ce biais, l’investisseur perçoit les titres connus ou ceux dont il entend parler comme moins risqués.
En conséquence de tous ces biais, les portefeuilles individuels sont généralement peu diversifiés. Les investisseurs hésitent à vendre les titres perdants et conservent les titres gagnants trop longtemps. Ils obtiennent des rendements inférieurs à ceux des indices de références, notamment parce qu’ils transigent trop. Au Canada, les rendements des investisseurs en matière de titres à petites capitalisations sont très faibles en moyenne.
Peu modestes
La particularité de cette étude consiste d’ailleurs à s’être penchée sur un groupe où l’impulsivité peut faire des ravages : les investisseurs individuels qui gèrent de façon autonome un portefeuille d’actions.
Les chercheurs ont appris de ce groupe que les investisseurs pèchent par excès de confiance. Ils surestiment leurs compétences. En général, les répondants s’estiment plus qualifiés que les experts pour prévoir la prime de risque que comporte un choix de placement. Seul 7 % jugent réaliste l’évaluation faite par la moyenne des experts.
De plus, ils surestiment de façon importante leur capacité à détecter un titre exceptionnel parmi un panier de 20 titres. Le tiers des répondants pensent pouvoir le détecter 4 fois sur 10 et plus. Ils surestiment aussi leur capacité de sélectionner les 10 titres qui seront gagnants dans un panier de 20 titres.
Dans l’ensemble, ils affichent aussi un excès d’optimisme : ils se montrent peu réalistes quant à l’évolution des marchés et des titres qu’ils détiennent. Ils éprouvent de la difficulté à tirer parti de leur expérience. Leurs humeurs et les circonstances provoquent un effet irrationnel sur eux.
Les répondants expriment aussi des paradoxes. Alors que la majorité estiment que les investisseurs individuels ne battent pas l’indice de référence, ils croient eux y parvenir. Ils s’estiment donc plus performants que les autres investisseurs. Pourtant, seul le quart des répondants prévoient battre le marché dans l’année qui vient.
M. Suret conclut de ses recherches que des efforts importants doivent être consentis pour améliorer les connaissances des investisseurs, mais surtout pour leur permettre de mesurer celles-ci. « L’écart entre les connaissances réelles et perçues est important. Dans le domaine des petites capitalisations, on observe chez les investisseurs des problèmes de comportement importants », dit-il. Il considère aussi le biais d’asymétrie comme une question importante.