Pour contrôler les couts liés aux médicaments, un actuaire indépendant insiste sur l’importance de se regrouper pour négocier les prix à ciel ouvert. Il ajoute que les compagnies pharmaceutiques et les pharmaciens doivent adopter un comportement moins mercantile.

Actuaire indépendant spécialisé en assurance collective et conférencier lors du colloque de Solareh le 18 mai à Mont-Tremblant, Jacques L’Espérance a affirmé que les récentes modifications législatives du ministre de la Santé, Gaétan Barrette, sont insuffisantes.

La Loi 28, à laquelle l’actuaire reproche de tolérer certains déséquilibres de marché qui défavorisent les assureurs, est un pas dans la bonne direction, deux de côté et deux faux pas, a-t-il ironisé. Il faisait ainsi allusion aux ristournes des pharmaciens et aux ententes secrètes entre le Gouvernement du Québec et les compagnies pharmaceutiques.

Le pas dans la bonne direction ? Que les assureurs privés puissent, depuis octobre 2015, rembourser les médicaments au prix le plus bas. Chez les régimes qui forcent la substitution générique, l’économie devrait atteindre 5 %, prévoit M. L’Espérance. Il faudra plus, dit-il.

Car la Loi 28 a aussi eu ses effets pervers. Les coupures de 177 millions de dollars (M$) par année sur les honoraires des pharmaciens se sont accompagnées d’une porte de sortie, rappelle l’actuaire. « Le gouvernement plafonne les honoraires des pharmaciens. D’un autre côté, il permet aux pharmaciens de se dédommager grâce à la disparition du plafond sur les ristournes. »

Dans la foulée de la Loi 28, ce plafond, jadis limité à 15 %, a fait place à un pourcentage illimité de ristourne. « Les ristournes sont illégales en Ontario », souligne M. L’Espérance, qui fera à plusieurs reprises durant sa conférence des comparaisons interprovinciales et internationales peu flatteuses pour le Québec et le Canada, en matière de cout des médicaments. Les ristournes sont principalement versées par les fournisseurs de médicaments génériques qui cherchent à prendre pied dans le marché, a-t-il expliqué.

Il soutient d’ailleurs que les honoraires perçus au Québec par les pharmaciens auprès des assureurs privés sont 20 % plus élevés que ceux demandés à la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), et 18 % plus élevés que ceux perçus en Ontario. « En 2015, le cout d’une réclamation moyenne à la RAMQ était de 36,20 $ incluant un honoraire de 9 $. L’honoraire de la RAMQ représente donc environ 33 % du prix de la molécule », a-t-il ajouté.

Agir auprès des pharmaciens ne suffira pas à réduire les couts. Les géants pharmaceutiques doivent être raisonnés, dit M. L’Espérance.

Médicament prescrit dans les cas de maladies rares dites « orphelines », telle l’hémoglobuline paroxystique nocturne, le Soliris coute facilement 600 000 $ par année.

Dans son rapport annuel de 2008, Alexion disait avoir investi plus de 800 M$ dans le Soliris, depuis la fondation de la compagnie en 1992, pour connaitre un premier bénéfice net de 33,1 M$ dès sa première année d’existence. La suite est tout autre. Alexion engrange des bénéfices nets de plus de deux milliards de dollars (G$) de 2008 à 2014, « dont 800 M$ en 2014. Alexion a eu largement le temps de se rattraper », a commenté M. L’Espérance.

Sur son site Web, la biopharmaceutique Alexion dit avoir pour mission de rendre accessibles « des traitements innovants pour des maladies rares, graves et potentiellement mortelles qui n’ont que peu de traitements efficaces, voire aucun ». Or, Alexion fixe aussi ses prix en fonction de la rareté, de la gravité de la maladie, l’absence de traitement alternatif, des bénéfices pour les patients ainsi que des couts médicaux et sociaux indirects qu’il permet d’épargner, soutient l’actuaire.

« Cela se justifie au niveau business, étant donné les sommes importantes investies dans ce médicament. Mais… on parle de santé ici, de maladies que les gens ne contrôlent pas. Non pas de choisir une Maserati plutôt qu’une Mazda ! Il s’agit de médicaments qu’il faut prendre ou mourir. Ça vaut combien une vie ? Il y a une limite à ce que la société peut payer. Il y a des réflexions à faire. »

Pendant ce temps, les régimes font face à la menace des maladies chroniques. « Il y a dans le monde environ 7 000 maladies orphelines qui nécessitent un traitement thérapeutique », a rapporté M. L’Espérance. Il cite par ailleurs Michael Law, économiste de la santé à l’Université de Colombie-Britannique, qui s’est récemment exprimé sur le Soliris. « Ce médicament nous force à repenser comment on doit dire oui ou non à un nouveau médicament », a dit M. Law.

Pour mieux souligner les dérives du système, M. L’Espérance a décortiqué les chiffres derrière le Sovaldi, médicament pour le traitement de l’hépatite C. Le médicament est développé à partir de 2000 par Pharmasset, et la petite biopharmaceutique du New Jersey est rachetée par Gilead en 2012 au cout de 11 G$US. Il s’agit d’une prime de 89 % par rapport au cours de l’action de Pharmasset à ce moment. La prime reflète davantage le potentiel commercial du médicament que le véritable cout de la recherche et du développement, croit l’actuaire.

Approuvé aux États-Unis par la Food and Drug Administration en décembre 2013, le Sovaldi présente un potentiel sur papier de 185 millions de patients. Prix de fabrication par patient : 150 $US. Prix de vente : environ 70 000 $US (vendu entre 50 000 $ et 60 000 $ au Canada). Ventes totales prévisibles : plus de 1 000 G$US. Y a-t-il une erreur dans le système, s’est exclamé le spécialiste de l’assurance collective. « Bien sûr, le plein potentiel ne se réalisera pas nécessairement. Mais même si vous coupez les chiffres en deux… Il faut fouiller derrière les chiffres avant de dire qu’un médicament est cher et qu’on ne peut rien y faire. Oui, on peut faire quelque chose. Il faut arrêter d’être à la merci des pharmaceutiques. Les sociétés peuvent et devront faire des choses. »