Les entrepreneurs doivent davantage se préoccuper de la santé de leurs employés. S’ils ne le font pas, les gouvernements pourraient les forcer à le faire, puisque les troubles de santé mentale coutent de plus en plus cher à la société.

François Laflamme, président d’Optima Santé globale, presse les entreprises du Québec et du Canada à agir. « Les preuves sont faites que la prévention est plus rentable que le curatif. La difficulté est de le démontrer. La prévention est quelque chose de plus intangible, d’abstrait et de difficile à quantifier. L’assureur qui a le choix de dépenser 1 $ pour aider quelqu’un à retourner au travail ou 1 $ pour un service préventif, il fait quoi? Bien honnêtement, le dollar qu’il dépense en réadaptation prouve tangiblement qu’il a pu aider à prévenir un arrêt de travail prolongé. Malgré tout, aurait-il été possible de prévenir le cas avant et économiser plus d’argent? C’est là qu’est la problématique, en ce moment », dit M. Laflamme. Il ajoute que les ressources médicales insuffisantes, le manque de spécialistes et les services des psychologues non couverts par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) n’aident pas à résoudre les problèmes de santé mentale. « Sans intervention proactive et intégrée, l’employé risque de se retrouver au bout de six mois avec un problème de santé chronique. Et quand on sait qu’une invalidité d’un mois réduit de 50 % les chances que la personne réintègre d’elle-même le marché du travail, c’est inquiétant. Au bout de deux ans, on parle de seulement 10 % de chances que la personne retourne au travail d’elle-même », dit-il.

Les assureurs conscients de leur rôle

M. Laflamme ajoute que les assureurs sont de plus en plus conscients du rôle que l’entrepreneur doit jouer auprès de ses employés. Il rappelle que le rôle primaire de l’assureur est d’intervenir lors d’un « sinistre ».

« Il ne doit pas être nécessairement  là pour prévenir. Il y a des limites à ce qu’il a la responsabilité de faire. Il ne peut changer les habitudes de vie d’une personne. Toutefois, l’employeur a une certaine forme de responsabilité de son côté. Ça implique une prise de conscience. Les gens passent la moitié de leur vie éveillée au travail. Qu’on ne vienne pas me dire que c’est n’est pas la responsabilité de l’employeur », dit-il.

M. Laflamme souligne que changer les habitudes d’une personne est très difficile à faire. « La personne a tendance à changer lorsqu’elle a un avertissement sérieux. Prenons par exemple les campagnes publicitaires de la Société d’assurance automobile du Québec (SAAQ). Il a fallu des images percutantes qui frôlaient parfois l’horreur pour faire changer les comportements, mais il y a eu des résultats », dit-il.

Les gouvernements légifèreront si rien n’est fait

Si les entrepreneurs ne font rien, M. Laflamme croit que les gouvernements pourraient légiférer afin de les impliquer davantage dans la prévention de la santé de leurs employés, particulièrement pour les problèmes de santé mentale comme la dépression. « Ils l’ont fait pour les accidents de travail, il ne faut pas l’oublier. Il n’est pas impossible que ça aille jusque-là, vu l’accroissement important des problèmes de santé mentale. Les gouvernements viendraient ainsi aider les employeurs à conserver leur main-d’œuvre en santé », dit-il.

Certaines choses ne sont pas la responsabilité de la Commission de la santé et de la sécurité au travail (CSST), ajoute M. Laflamme, comme le climat de travail. « Je mets au défi un syndiqué de faire valoir ça comme cause d’invalidité. Un conflit interpersonnel peut être extrêmement toxique pour une personne. En bout de ligne, c’est l’assurance qui se ramasse à indemniser ces gens-là pour des problèmes de dépression », dit-il.

Pour cette raison, M. Laflamme se dit enthousiasmé par la nouvelle norme édictée par la Commission de la santé mentale du Canada : Santé et sécurité psychologiques en milieu de travail. Il s’agit d’une norme à adhésion volontaire, mais qui a reçu l’aval de l’Association canadienne de normalisation et du Bureau de la normalisation du Québec. Elle fournit aux entreprises un cadre de travail pour traiter les problèmes liés à la santé mentale de leurs employés. L’Association canadienne des compagnies d’assurance de personnes (ACCAP), notamment, l’a entérinée.

« L’industrie a pris ce virage. Ça veut dire que les assureurs y croient. On le voit. Il y a dix ans, 70 % des cas d’invalidité étaient liés à des problèmes physiques et 30 %, à des problèmes mentaux. C’est exactement l’inverse aujourd’hui. Avec cette norme, la Commission vient revendiquer que la santé mentale fait partie d’un milieu de travail sécuritaire. Elle le fait à petits pas, comme le gouvernement l’a fait en bannissant la cigarette des lieux publics. Ils ne l’ont pas imposé d’un coup », dit-il. Preuve de cette imposition graduelle, un regroupement d’organismes antitabacs vient de demander au gouvernement Marois d’interdire de fumer dans un véhicule en présence de mineurs.

L’exemple du RVER

À terme, croit M. Laflamme, cette norme pourrait être intégrée dans des lois provinciales. Il prend aussi pour exemple la mise en place du Régime de pension agrée collectif (RPAC), qui a mené à la création du Régime d’épargne volontaire de retraite (RVER) au Québec. Ce régime impose aux entreprises de mettre en place un régime de cotisation volontaire auquel les employés peuvent contribuer en vue de leur retraite.

« C’est une mesure intelligente, mais aussi stratégique. En procédant ainsi, le gouvernement vient changer nos habitudes en nous obligeant à les intégrer dans nos pratiques. L’Organisation mondiale de la santé a d’ailleurs sonné l’alarme : une invalidité sur deux est maintenant causée par un problème de santé mentale. La santé mentale est maintenant le 2e problème de santé le plus courant au monde. Ce n’est donc pas pour rien que l’industrie de l’assurance s’intéresse à cette norme, même si c’est un virage difficile à prendre pour elle. Les entreprises vont être appelées à adopter cette norme. Ça prendra plusieurs années et les gouvernements, tant provinciaux que fédéral, pourraient être appelés à légiférer là-dessus. Il ne faut pas oublier que certains milieux de travail sont très malsains », dit-il.

M. Laflamme dit toutefois qu’il faut prendre en compte que les jeunes sont plus sensibilisés à la qualité de vie au travail. Ils sont plus instruits et sont plus sensibles à leur bienêtre, fait-il valoir. « Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, les entrepreneurs n’auront pas le choix de s’en préoccuper. Les entreprises qui n’auront pas pris des mesures pour aider leur population travaillante à rester en bonne santé psychologique ne seront plus compétitives dans leur domaine. C’est quelque chose qu’on entend de plus en plus. C’est aussi le message qu’on lance. Les entreprises n’auront pas le choix d’investir dans la santé de leurs employés », dit-il.