Témoins de la percée des assureurs vie en gestion de patrimoine, plusieurs compagnies de fonds communs cherchent à s’allier à eux et profiter de cette tendance croissante.

La présence des assureurs en gestion du patrimoine (wealth management) n’est pas un accident. À l’approche de la retraite, les baby-boomers ne cherchent plus seulement à faire fructifier leurs avoirs, ils veulent aussi les protéger.

Pour les spécialistes, voilà ce qui explique la popularité grandissante des fonds distincts, ces fonds qui garantissent souvent jusqu’à 100% du capital accumulé si l’investisseur décède ou subit un revers boursier prolongé.

Or, les assureurs font souvent appel aux sociétés de fonds communs pour gérer ces fonds, misant ainsi sur leur expertise et leur notoriété dans ce domaine.

Pour Duane Green, vice-président, alliances stratégiques, chez Placements Franklin Templeton, l’intérêt des assureurs pour la gestion du patrimoine relève en effet du courant démographique actuel. Un courant qu’il n’entend pas non plus laisser passer. « Mon rôle consiste à faire équipe avec les assureurs et mettre l’accent sur leurs stratégies de gestion de patrimoine. »

Pour ce faire, il s’y prend différemment selon le cas. Certains assureurs souhaitent un partenariat qui leur permet d’associer le nom de Franklin Templeton à leurs fonds distincts ou de l’intégrer à leur gamme d’options d’investissement au sein des produits d’assurance-vie universelle. D’autres préfèrent créer un produit maison, néanmoins géré par Franklin Templeton. Franklin Templeton propose des fonds aux investisseurs individuels ou institutionnels, et même des fonds sur mesure.

Quelle que soit l’avenue retenue, M. Green insiste sur le fait que, lorsqu’il y a alliance, le produit qui en résulte appartient entièrement à l’assureur. « Il n’est pas à nous, mais on nous demande de le gérer. L’assureur recherche notre expertise. »

Actuellement, Franklin Templeton travaille auprès de 12 compagnies d’assurance vie, et l’ensemble de ses alliances correspond à une enveloppe de plus de trois milliards de dollars sous gestion. Un actif d’ailleurs en pleine progression.

Autrefois à l’emploi de Standard Life Canada, M. Green a été embauché par Franklin Templeton pour mettre à profit sa connaissance du marché de l’assurance de personnes en développant avec eux des alliances stratégiques.

À son avis, le marché de l’assurance offre de multiples possibilités à son entreprise : « Ce marché est loin d’être arrivé à maturité pour nous; il est encore en pleine croissance. »

C’est le secteur au grand complet qui connaît une forte expansion, ajoute-t-il. « Une foule de compagnies d’assurances sont en train de déployer des stratégies de gestion de patrimoine. Les assureurs et leurs conseillers, elles sont particulièrement bien placées pour tirer parti de ce secteur d’activités. »

Drew Wallace, vice-président exécutif, ventes, d’AIM Trimark, explique pour sa part que l’instauration d’alliances auprès des assureurs « fait incontestablement partie de la stratégie de l’entreprise ».

Contrairement aux nombreuses sociétés de fonds d’investissement qui créent et distribuent leurs propres produits, AIM Trimark n’a pas son propre réseau de distribution. L’entreprise doit donc absolument conclure des alliances auprès d’assureurs et d’autres institutions financières pour pouvoir recourir à leurs réseaux de distribution. « Notre avenir et nos possibilités de croissance sont tributaires de la création d’alliances. »

Plusieurs grandes compagnies d’assurance vie ont d’ailleurs des ententes avec AIM Trimark.

M. Wallace refuse toutefois de préciser en chiffres l’envergure des alliances stratégiques ainsi mises en place. « C’est en pleine ascension. Cela occupe une très grande part de nos activités et les résultats sont vraiment concluants », dit-il.

La croissance des activités en gestion de patrimoine auprès des particuliers n’est pas uniquement imputable au vieillissement et au transfert d’actifs entre générations qui en découle, estime M. Wallace. Il faut également l’attribuer à la présence des assureurs dans le marché en plein essor des régimes de retraite collectifs à cotisations déterminées, fait-il remarquer. Dans les régimes à cotisations déterminées, les participants peuvent choisir divers fonds de placement au sein desquels accumuler leur épargne retraite.

Les sociétés de fonds sont aussi très intéressées par le professionnalisme des réseaux de distribution des assureurs. Selon M. Wallace, les conseillers en assurance possèdent le niveau d’expertise pour prodiguer les conseils de planification financière dont les investisseurs canadiens ont besoin.

Brian Gooding, vice-président principal, répartition des alliances, à Fidelity Investments, voit lui aussi maintes possibilités de croissance pour les sociétés de fonds communs désireuses de faire équipe avec des assureurs actifs en gestion de patrimoine. Les produits d’assurance vie demeurent certes le principal intérêt commercial des assureurs. Ceux-ci souhaitent cependant, en deuxième lieu, diversifier leurs activités en s’occupant de gestion de patrimoine, « surtout devant le boum de départ à la retraite qui est à nos portes ».

M. Gooding signale que Fidelity gère des actifs confié par les assureurs tant dans le secteur des fonds distincts que dans celui des produits d’assurance-vie universelle, quoique ce dernier segment soit « vraiment minime » en comparaison.

Les grands assureurs se diversifient en pénétrant le segment de la gestion de patrimoine. Or, créer des alliances auprès des assureurs permet aussi aux sociétés de fonds communs de diversifier leurs champs d’activité, croit M. Gooding.

Il ajoute que Fidelity conclut des associations de marque avec les assureurs. « L’association de marque permet aux assureurs de profiter de notre notoriété, par exemple du fait que Fidelity est synonyme de service et de rendement. » Les assureurs veulent aussi, bien sûr, profiter des compétences de Fidelity en gestion de placements à l’international, précise-t-il.

En sa qualité de vice-président, développement et mise en marché de produits d’investissement, à la fois chez AEGON Gestion de fonds et Transamerica Vie Canada, Geraldo Ferreira est bien placé pour constater le jeu des alliances. « Les sociétés de fonds s’intéressent aux assureurs à cause de leur réseau de distribution. De notre côté, nous nous intéressons à elles parce que nous voulons profiter de leurs connaissances en placements et de la notoriété associée à leur nom. »

Dans leur culture de vente et de service à la clientèle, les sociétés de fonds communs placent le marketing en tête de liste, précise-t-il. C’est ce qui fait que le consommateur connaît plusieurs noms de compagnies de fonds communs.

Rejoindre les conseillers

Principal visage de Franklin Templeton en matière d’alliances, M. Green consacre beaucoup de son temps à sillonner le pays à la rencontre des compagnies d’assurances. Il passe aussi beaucoup de temps à donner des conférences à leurs conseillers. Son intervention consiste essentiellement à rencontrer les gens qui vendront le produit : « C’est vraiment là mon rôle; je les appuie; je ne fais pas la vente à leur place. »

En plus d’offrir un soutien aux gens de terrain, Franklin Templeton fournit des outils de marketing aux assureurs. Qu’il s’agisse de distribution ou de mise en marché, l’assureur décide de l’envergure du soutien qu’il souhaite obtenir, ajoute M. Green : « Il faut toujours garder à l’esprit qu’il s’agit de leur produit, pas du nôtre. »

M. Gooding, de Fidelity, explique lui aussi que l’importance du soutien offert dépend de l’assureur, surtout lorsqu’il faut passer par son réseau de distribution.

Lorsque Fidelity fait équipe avec des agents d’assurances dédiés à une compagnie ou des conseillers indépendants, il faut leur donner des conseils et des avis qui les aident à séduire davantage les investisseurs, explique M. Gooding. À ce titre, Fidelity s’est particulièrement attardée, depuis deux ans, à former les conseillers sur les divers risques financiers auxquels s’exposent les Canadiens qui survivront à leurs épargnes pour la retraite.

Fidelity dispose d’une équipe indépendante qui se consacre entièrement à dispenser ce programme dans le secteur de l’assurance. Ainsi, l’entreprise propose des conférences publiques à laquelle les conseillers en assurances peuvent convier leurs clients potentiels (groupes de 50 à 200 personnes).

M. Wallace, d’AIM Trimark, signale que son entreprise retient plutôt l’idée de doter les conseillers de divers outils de travail, dont un logiciel de planification financière. Elle offre aussi des ateliers de formation aux représentants de l’industrie.

Plus colocs que concurrents

Mais fonds distincts et fonds communs ne se concurrencent-ils pas sur le même dollar d’investissement?

Aux yeux de M. Green. de Franklin Templeton, les sociétés de fonds communs et les compagnies d’assurances ne se font pas concurrence. « Nous vivons à une époque de cohabitation! »

M. Gooding, de Fidelity, évoque lui aussi l’idée de la cohabitation (utilisant le terme anglais co-optition) pour décrire la relation entre assureurs et sociétés de fonds communs.

Il ajoute que les fonds distincts et les fonds communs répondent à différents besoins des investisseurs.

Sa présence auprès des assureurs permet en outre à la société de fonds communs de se faire voir par une nouvelle force de vente en produits d’investissement. Une force de plus en plus importante. L’avantage de ce réseau, estime M. Gooding, c’est que « les conseillers en assurance vie ont d’excellentes relations avec leurs clients ».

Les connaissances des conseillers

M. Ferreira, de Transamerica, rappelle que les sociétés de fonds veulent accéder aux conseillers en assurance vie en raison de leur connaissance des solutions de protection de l’actif. En effet, les baby-boomers cherchent actuellement à protéger leur patrimoine. Or, les conseillers en assurance vie et en fonds distincts ont tout ce qu’il faut dans leur mallette de produits pour tirer parti de ce mouvement.

Il cite à cet égard une étude de la firme d’analyste torontoise Investor Economics, selon laquelle les ventes nettes (dépôts moins retraits des investisseurs) de fonds distincts ont augmenté de 14% dans une période de 12 mois se terminant en juillet 2006; à la même période, les ventes nettes en fonds communs ont diminué. « Voilà bien une indication que les fonds distincts sont en train de renaître », dit-il.

Selon M. Ferreira, les investisseurs qui prennent de l’âge ont plus peur du risque, d’où le regain d’intérêt envers les fonds distincts. Le marché baissier, marqué par l’éclatement de la bulle tecnologique au début des années 2000, est encore frais à leur mémoire, ajoute-t-il.

Du côté des conseillers en assurance vie, ces alliances entre assureurs et sociétés de fonds d’investissement comportent l’avantage additionnel de leur permettre d’offrir des fonds distincts associés à de grands noms, tout en n’ayant pas à détenir un permis pour distribuer des fonds communs, fait remarquer M. Ferreira.

Des défis se posent

Malgré les avantages, tout n’est pas parfait dans les alliances entre sociétés de fonds communs et assureurs. « Un de nos gros défis, c’est que nous sommes déconnecté du réseau de distribution », explique M. Gooding, de Fidelity. Comme c’est le produit de l’assureur, la société de fonds ne dispose pas de toute l’information, ignorant par exemple le volume d’affaires de chaque conseiller ou les détails des transactions quotidiennes.

« Idéalement, il faudrait que nous sachions qui vend et qui conclut la transaction chaque jour, dit M. Gooding. Fidelity pourrait ainsi adapter son soutien aux besoins des conseillers et mettre l’argent à la bonne place », plaide-t-il.

Dans ces circonstances, l’entreprise saurait qui sont les meilleurs producteurs. « Le pire, dans tout cela, c’est que nous ne pouvons même pas appeler la personne en question et la remercier de ses bonnes affaires. »
Mais en fait, le conseiller s’attend-il à ce que la société de fonds soit informée du niveau de production des conseillers? « Chose certaine, il présume que nous le savons», assure M. Gooding.

Pour contourner le problème, Fidelity tente par divers moyens de mieux connaître les conseillers en assurance avec qui elle transige indirectement.

La société ira notamment organiser des réunions rassemblant ses partenaires en assurances et leurs vendeurs. Chose qu’elle a déjà faite cette année lors d’une tournée de 10 grandes villes, en collaboration avec Canada-Vie.

De concert avec Financière Manuvie, l’entreprise a aussi organisé une présentation devant un important groupe de conseillers canadiens, à Boston. « Nous cherchons à instaurer un partenariat qui profite tout autant aux assureurs qu’aux sociétés de fonds, de même qu’aux conseillers et aux investisseurs. »

Relativement aux ventes de fonds distincts gérés par des tiers, l’information à laquelle les sociétés de fonds peuvent accéder varie donc considérablement, et M. Gooding doute que les assureurs seront en mesure de fournir les informations aussi détaillées qu’il peut le souhaiter : « Je ne crois pas que nous y parviendrons dans un avenir prévisible; c’est tout simplement une réalité incontournable du monde des alliances. »