Collectivement, les gestionnaires de fonds communs de placement sont généralement peu disposés à tenter de prédire l’avenir. Ils se contentent habituellement de laisser ce genre de réflexion savante aux économistes. Or, qu’ils soient ou non des adeptes de l’approche ascendante en sélection de titres, ces observateurs de première ligne ne demeurent pas moins bien placés pour suivre l’économie mondiale, ses manœuvres et son impact sur la valeur des actifs. Ces temps-ci, les gestionnaires de fonds affirment que les choses s’améliorent… tranquillement.
La demande en provenance de la Chine reste une préoccupation de tous les instants. Les mesures prises par les autorités japonaises pour gérer l’inflation ont mis les nerfs de bien des gens à dure épreuve, et tous les gestionnaires auxquels nous avons parlé affirment que les titres se négocient à prix fort, comparativement à leur évaluation.
« En ce moment, le marché affiche généralement une croissance satisfaisante des prix, dit David Ragan, directeur chez Mawer Investment Management et gestionnaire de portefeuille du Fonds d’actions internationales Mawer. Dans l’absolu, ça me semble tout à fait équitable. Partout dans le monde, les sociétés de grande qualité se vendent probablement trop cher. Elles sont surestimées. Et les compagnies de qualité inférieure sont vraisemblablement sous-évaluées. Les compagnies de très mauvaise qualité, en particulier du secteur financier, sont peut-être ce qu’il y a de moins cher sur le marché. »
Il concède que les bonnes affaires sont plus difficiles à dénicher, même si on compare aux efforts qu’il fallait déployer, il y a un an, mais qu’on en trouve encore. « Elles sont simplement moins évidentes. »
En rétrospective, on constate que le fonds de David Ragan a surtout été actif en Europe « parce que tout ce qu’on trouve en Asie est hors de prix, alors qu’on trouve de belles occasions en Europe », dit-il. « Pour l’instant, c’est plutôt un éventail très diversifié. » La croissance économique va fort probablement se laisser entrainer par la croissance enclenchée aux États-Unis et en Asie. « Si tout va bien, la situation économique de l’Europe pourra s’améliorer, au cours des prochaines années. Sinon, leurs difficultés vont probablement se prolonger encore un peu. »
L’importance des données fondamentales
Sur une note plus positive, certains gestionnaires constatent que, de façon générale, le marché semble avoir retrouvé la raison, depuis quelque temps : la corrélation des actions est à la baisse, et on dirait que de plus en plus d’actions se négocient en fonction des données fondamentales des sociétés.
« On a effectivement l’impression que la donne a changé, dit Dale Hanks, spécialiste en investissements à Capital Group et gestionnaire du fonds Capital International. Le marché a commencé à transiger davantage en fonction des données fondamentales des sociétés. On fait moins de corrélations. Lorsque les corrélations sont en hausse, tous les titres ont tendance à aller en même temps dans la même direction. Si la journée est bonne, tout le monde est en hausse; si elle est mauvaise, tout le monde dégringole… Or, dernièrement, soit depuis environ six mois, on assiste plutôt à une dispersion accrue des marchés, à une diminution des corrélations et, dans une certaine mesure, à l’apparition de marchés qui s’attardent aux données fondamentales des sociétés. »
Parallèlement, le marché du logement américain est vu avec optimisme – ou, du moins, un certain optimisme.
Jason Whiting est vice-président des Placements Trimark, filiale d’Invesco Canada, et membre de l’équipe responsable, notamment, des acquisitions des titres à faible capitalisation du fonds Catégorie petites sociétés américaines Trimark. Tout comme David Ragan, il estime que les États-Unis pourraient bien faire partie des quelques lueurs d’espoir, réelles ou potentielles, qui pointent à l’horizon. « À mon avis, la situation s’améliore petit à petit dans à peu près tous les domaines; chose certaine, elle ne se détériore pas, affirme-t-il. Si ce revirement de situation de l’immobilier aux États-Unis est bien réel et durable, la situation pourrait s’améliorer encore plus que ce que l’on serait porté à croire. »
La demande de la Chine
De notre côté de la frontière, la demande en provenance de la Chine constitue, en quelque sorte, une préoccupation constante pour les investisseurs. Devant ces histoires et ces images télévisées de villes absolument désertes en attente de demande ou de citoyens qui s’y installeront, il est décidément devenu beaucoup moins théorique ou hypothétique qu’autrefois de craindre un ralentissement de la demande en matériaux et matières premières.
« La Chine m’inquiète un peu, reconnait M. Whiting. On peut douter de la durabilité d’une vague d’investissements qui, contrairement à une économie fondée sur la consommation de produits ou services, est alimentée par d’énormes dépenses en immobilisations. Car une fois qu’on a mis en place un métro, on n’a généralement pas besoin d’en bâtir un deuxième », illustre-t-il.
De plus, si la demande de la Chine venait à faiblir, le Canada ne serait pas le seul à être écorché. M. Whiting signale que la Chine constitue le principal marché d’exportation de l’Allemagne. « L’Allemagne aime produire des choses qui permettent de fabriquer autre chose, surtout des biens d’équipement », dit-il. De même, les États-Unis exportent tant des biens d’équipement (pensons aux tracteurs John Deere) que des droits de propriété intellectuelle, même si ceux-ci sont en grande partie piratés. Or, rappelons que même un iPhone fabriqué en Chine pour répondre à la demande du marché chinois confère une valeur ajoutée à Apple, une société américaine.
« Ce sont vraiment de très gros consommateurs, dans tous les domaines. Si la Chine subit des coups durs, il est fort probable que le reste du monde en souffrira. »
Le Japon et ses liquidités
Pendant ce temps, au Japon, le nouveau gouverneur de la banque centrale a mis fin de façon radicale à cette « hyperprudence » qui a marqué la politique monétaire du pays. Celui qui est à la tête de la Banque du Japon, Haruhiko Kuroda, a en effet annoncé, en avril, qu’il prévoyait doubler la mise du côté des achats d’obligations d’État et imprimer de l’argent, beaucoup d’argent, de manière à inonder le marché de yens, pour apparemment doubler la base monétaire du pays.
« C’est une façon assez légitime de poser un geste fort en vue d’accroitre les liquidités, ce qui ne peut qu’aider un pays exportateur », estime David Ragan. M. Whiting voit dans ce geste une « expérience plutôt draconienne ». « Ils n’étaient jamais intervenus de façon aussi radicale. »
Or, même si on oubliait la possibilité qu’un échec mène le pays à la faillite, le geste aurait quand même de quoi inquiéter les investisseurs, pour deux autres raisons. Les antécédents du Japon, d’abord : le pays ne s’est jamais remis de la dégringolade subie dans les années 1980,alors que la production industrielle et la bulle spéculative de l’immobilier se sont effondrées en même temps que le cours des actions. Résultat? Bon nombre adoptent aujourd’hui une attitude prudente… et observent. « Ils ont pas mal toujours bousillé leurs occasions de s’en sortir », dit M. Ragan.
Ensuite, considérons la répercussion du faible cours du yen sur les marchés d’exportation. La nouvelle politique monétaire de la Banque du Japon vise certes à soutenir les exportations du Japon, mais ce coup de pouce pourrait fort bien amener certains pays de la région à envisager des mesures protectionnistes.
De fait, la faiblesse du cours du yen et la vigueur constatée du marché japonais « ont eu des répercussions sur les compagnies des autres pays, dit M. Hanks. En Corée du Sud, par exemple, ceux qui font concurrence aux compagnies japonaises sont frappés par la dévaluation compétitive du yen. On peut s’attendre à ce que ces pays réagissent, d’où d’éventuelles préoccupations. »
L’investisseur canadien de demain
Les préoccupations actuelles touchent aussi les politiques économiques à venir. M. Whiting signale que les gens ne voient pas d’un bon œil la politique monétaire accommodante de la Banque du Canada. S’il convient que les politiques monétaires actuelles finiront peut-être par poser problème, il reconnait que la situation serait probablement encore bien pire en leur absence.
« Il y a des risques de voir quelques bulles grossir. Comme les gens persistent à croire que le Canada doit s’assurer de rester concurrentiel face aux États-Unis, les taux sont probablement moins élevés qu’ils ne le devraient au Canada, compte tenu de notre économie, dit-il. Je dirais qu’on est ainsi en train de créer une bulle du marché du logement. » Il estime que les créances à haut rendement posent également problème.
Cette impression est partagée par le gestionnaire de portefeuille d’Investissements Fidelity, Dan Dupont, responsable du Fidelity Large Cap Fund. « Depuis six mois, la baisse constante des prix de l’immobilier résidentiel partout au pays a été à peine remarquée, souligne-t-il. On parle beaucoup d’un ralentissement du marché de l’immobilier et pourtant, je me suis entretenu avec plusieurs personnes qui s’y connaissent, et elles m’affirment que les prix ne montrent aucun signe de baisse. La réalité, c’est qu’ils ont commencé à diminuer. Je pense que la chute de prix sera progressive, mais assez importante. »
Voilà qui pourrait contraindre le gouvernement à fournir davantage de capitaux à la Société canadienne d’hypothèques et de logement, estime-t-il. Une chute du prix des maisons aurait aussi des répercussions négatives sur le consommateur canadien.
M. Dupont trouve que les investisseurs canadiens misent beaucoup trop sur les titres canadiens. Que l’on s’intéresse aux évaluations d’entreprise du Canada ou d’ailleurs, toutes les actions (pipelines, services publics, fiducies de placement immobilier et autres) se transigent à prix plus élevé, car les investisseurs veulent du rendement. En comparaison avec avec les titres étrangers, on constate que, au Canada, tout ce qui n’est pas lié au secteur des ressources naturelles (fortement ébranlé en ce moment) se vend actuellement à prix fort.
« Le cours de BCE (Bell Canada Entreprises), par exemple, s’établit à 15 ou 16 fois, son bénéfice. Vodaphone, une société européenne de télécommunications de grande qualité, se transige à 11 fois ses profits. Il y a des écarts importants pas mal partout. On a des pipelines qui se négocient à 25 fois les bénéfices, ce qui est assez audacieux, peu importe le point de vue », commente Dan Dupont.
« Au Canada, les choses se passent vraiment bien, depuis 10 ans. Notre marché boursier s’en tire fort bien, tout comme notre devise, et l’investisseur moyen possède en ce moment beaucoup trop de titres canadiens. Je crois que les choses vont changer, car les titres étrangers nous ont procuré un sur-rendement souvent pas mal intéressant. J’imagine qu’il y a une raison derrière tout cela, et il faudrait que cela change. En ce moment, je dirais que l’investisseur canadien a en moyenne trop de titres canadiens dans ses portefeuilles. »