Les Canadiens vivent plus vieux que jamais, mais ils ne verront pas le prix de leur assurance vie dégringoler demain matin.De nouvelles données sur la mortalité publiées par Statistique Canada à la fin de l’année dernière démontrent que l’espérance de vie est grimpée à des niveaux records. En effet, les garçons nés en 2003 peuvent espérer vivre jusqu’à 79,9 ans et les filles jusqu’à 82,4 ans.

Les citoyens qui les précèdent en âge peuvent également s’attendre à vivre une longue retraite: les hommes qui avaient 65 ans en 2003 peuvent prévoir vivre encore 17,4 ans (soit 82,4 ans), et les femmes peuvent en compter encore 20,8 (soit 85,8 ans). Si l’espérance de vie de ces citoyens de 65 ans paraît plus longue que celles bébés nés la même année, c’est que les actuaires estiment que les gens rendus à cet âge vénérable ont plus de chances de vivre longtemps.

Malgré ces données optimistes, les assurés ne semblent pas en voie de se faire refiler des économies de primes à court terme.

« Oui, les taux de mortalité ont baissé, confirme Ashley Crozier, actuaire indépendant à Toronto. Cependant, la tarification actuelle en assurance vie tient déjà compte de ce phénomène. »

En fait, plusieurs facteurs tendent à maintenir les prix d’assurance vie à la hausse, observe M. Crozier : des taux d’intérêt bas, de mauvais rendements du capital investi, la peur du terrorisme et le risque d’épidémie de grippe aviaire. En plus, ajoute-t-il, il faut aussi tenir compte de la concurrence.

« Les pressions du marketing mitigent les facteurs qui influence le prix, signale Ashley Crozier. Si l’actuaire fixait le prix d’un produit en vase clos, celui-ci serait adéquat en fonction des hypothèses actuarielles, mais il pourrait être trop élevé ou trop bas comparé au marché, ajoute-t-il. Ce qui serait désastreux pour l’assureur. »

La temporaire non rentable

Et certains assureurs semblent avoir du mal à réaliser des bénéfices suffisants tout en suivant la concurrence.

Parmi les produits souvent montrés du doigt pour leur manque de rentabilité, l’assurance temporaire figure en tête de liste. Certaines compagnies se montrent en effet plus frondeuses que d’autres en coupant les prix. « Il est vrai que la rentabilité de l’assurance-vie temporaire varie d’une compagnie à l’autre », reconnaît François Lemieux, actuaire auprès du réassureur Scor Vie. « Comme ce marché fait l’objet d’une vive concurrence, ses marges bénéficiaires sont minces. Je me demande si toutes les compagnies parviennent à atteindre leurs objectifs [de rentabilité]. »

Au Canada, moins de la moitié des intervenants affirment que le marché de l’assurance-vie temporaire est rentable. Selon des données citées par un assureur sur le Pricing Survey 2006, une étude annuelle du réassureur Munich Re sur la tarification des polices d’assurance vie sans participations (temporaire et vie universelle), seulement 45% des assureurs-vie affirment que le prix de leurs produits d’assurance-vie temporaire est fixé de manière à permettre une certaine rentabilité.

« Un des gros problèmes que nous voyons actuellement, c’est que le prix de l’assurance temporaire 10 ans a trop chuté, et trop vite », signale Joe Kordovi, vice-président et actuaire en tarification chez Transamerica Vie Canada.

Il faut dire que les produits à taux privilégiés y sont pour quelque chose. Lancés au milieu des années 1990 et sans cesse raffinés depuis, ces produits offrent un escompte aux assurés à la santé exceptionnelle.

L’avènement de la tarification privilégié combiné à une diminution des taux de réassurance ont en effet contribué à abaisser les prix de l’assurance vie temporaire depuis déjà plusieurs années.

Ce mouvement à la baisse s’est toutefois limité à la prime initiale de l’assurance temporaire. Le taux des primes de renouvellement, eux, ont peu bougé.

Pour éviter une facture salée au renouvellement de leur assurance temporaire, ceux qui étaient toujours assurables ont alors décidé de souscrire à une nouvelle police plutôt que de renouveler leur T10 déjà en vigueur.

Or, cette tendance affecte les résultats des assureurs quant à leur portefeuille de T10 puisqu’il y a plusieurs abandons au terme de 10 ans. Toutefois, estime M. Kordovi, « à cause de cette faible persistence des T10, je crois que nous observerons une stabilisation des prix ».

Il rappelle à cet égard l’étude de Munich Re, où seulement quatre compagnies affirment avoir l’intention de pratiquer une réduction de prix en matière d’assurance-vie temporaire, alors que deux comptent plutôt les augmenter, que cinq prévoient procéder à une « restructuration » et que douze ne modifieront rien.

« Les assureurs n’ont pas encore beaucoup d’expérience en matière de renouvellement de T10, déclare Brian Louth, vice-président du Développement à RGA Compagnie de réassurance-vie du Canada. L’important pour eux est de tarifer en tenant compte d’un taux d’abandon qui reflète la réalité, précise-t-il. Si les assureurs constatent que ce taux est plus élevé qu’ils ne l’ont prévu, ils devront réajuster le prix de leurs produits T10 en conséquence. »

En réaction au problème, les assureurs proposent de plus en plus des produits temporaires dont l’échéance est à plus long terme. Pour ces produits, la prime initiale est plus élevée mais le renouvellement est moins salé.

« Certains produits T10 en circulation ont tout pour devenir ce que j’appelle des produits “provocateurs de crise cardiaque”, fait remarquer John Dark, vice-président adjoint et actuaire de produit chez Co-operators, de Regina. Si le client est en bonne santé au moment où on lui envoie son avis de renouvellement, rien ne dit qu’il ne mourra pas d’une crise cardiaque en le lisant! » ironise-t-il.

« Il y a environ quatre ans, nous avons lancé un produit d’assurance vie temporaire 25 ans qui nous semble recevoir un bon accueil. Nos agents l’aiment bien, car ils n’ont pas à vivre le choc du renouvellement, et c’est la même chose du côté des clients. » Le produit est en fait de plus en plus en demande au sein de l’équipe de ventes de Co-operators. La compagnie voit la part des ventes de temporaire au sein de son portefeuille de produits vie grimper de 5% par année depuis deux ans.

Martin Fortier, vice-président adjoint, Tarification des particuliers à la Financière Sun Life, a constaté une tendance similaire. « À la Sun Life, nos ventes de T20 ont augmenté comparativement à celles de T10, dit-il, attribuant une partie du phénomène à la montée de l’immobilier. On me dit en effet que les conseillers recommandent de plus en plus aux demandeurs d’hypothèques de souscrire une T20. Ils peuvent ainsi souscrire à une prime qui sera nivelée durant la durée de l’hypothèque. »

Pour sa part, Brian Louth dit avoir entendu entre les branches qu’une T30 fera bientôt son apparition dans le marché canadien, et que celle-ci pourrait même être associée à un remboursement de primes. « Ça aurait du bon sens, car ce n’est pas la T10 qui va nous faire garder nos assurés! »

La vie universelle aussi

L’assurance temporaire n’est pas la seule dont la tarification donne du fil à retordre aux actuaires des compagnies d’assurance. La situation est encore pire du côté de certains produits d’assurance vie universelle. Toujours selon des chiffres tirés de l’étude de Munich Re, seulement 10% des assureurs estiment avoir fixé le prix de leur assurance vie universelle à coût nivelé de façon rentable.

Les assureurs, observe Joe Kordovi, misaient sur la montée des taux d’intérêt à long terme. Or, comme ce ne fut pas le cas dans la mesure qu’ils espéraient.

M. Kordovi croit donc que l’on verra une transition des produits à coût nivelé vers les produits à coût renouvelable annuellement. « Je pense que les compagnies vont privilégier de plus en plus les produits à coût renouvelable annuellement par rapport aux produits à coût nivelé. Ce qui donne un meilleur équilibre entre la valeur offerte au client et la rentabilité pour la compagnie.»

Compte tenu de la situation, il y avait lieu d’être étonné lorsque la Financière Manuvie a annoncé que, à partir du 30 septembre, elle baisserait le prix de son assurance vie universelle à primes nivelées de la gamme InnoVision. Une baisse qui touche toutes les catégories et tranches d’âge, jusqu’à concurrence de 4% dans certains cas.

Cette diminution du prix des primes d’assurance vie universelle constitue-t-elle une façon de s’approprier une plus grande part de ce marché au Canada? Tom Nunn, vice-président adjoint au service des relations de presse de Manuvie, a refusé de dévoiler les pratiques de fixation des prix de la compagnie et ne nous a pas permis de nous adresser à son équipe d’actuaires.

Si les taux d’intérêt à long terme restent bas, la plupart des assureurs auront du mal à garder au niveau actuel le prix de l’assurance vie universelle à coût nivelé. Encore plus à les baisser. « Il faudra sûrement procéder à une augmentation générale des prix, à moins que l’on trouve d’autres façons de contourner le problème », prévoit M. Dark, de Co-operators. Si ce n’est avec des bas prix, John Dark croit que chaque compagnie essaiera à sa façon d’améliorer l’allure de son portefeuille de produits d’assurance vie universelle.

Certaines, prévoit-il, incluront dans leur polices plus d’options d’investissement liées au marché boursier, voire à des produits dérivés. D’autres essaieront de couper leurs prix de revient (coût unitaire ou unit costs en anglais), peut-être avec des acquisitions ou de nouveaux systèmes d’administration.

« Il reste que plus longtemps les prix seront bas, plus il sera difficile de remonter la côte. » Sans compter qu’il y a un gros hic : aucune compagnie ne veut être la première à hausser les prix: « Comme disait récemment un actuaire en tarification : “Vive le changement, toi d’abord, John!” dit M. Dark en riant.