Au Canada, il est formellement interdit aux assureurs d’exiger un test génétique ou de partager les résultats de ces tests comme condition pour obtenir un contrat d’assurance. Cela n’empêche pas les tests génétiques achetés en ligne d’avoir la cote et de connaître une croissance très importante. Toutefois, leurs acheteurs ne semblent pas conscients des informations personnelles sensibles qu’ils révèlent à propos d’eux et de leur famille et de la façon dont ils pourraient être utilisés.
L’enjeu en 2023 est devenu assez sérieux pour faire l’objet d’un colloque organisé par la Faculté de droit de l’Université Laval le 12 octobre. Plusieurs universitaires venus de France y ont participé en compagnie de chercheurs québécois. Dans l’ensemble, leurs observations se rejoignent : ils ont des aspects positifs, mais plusieurs côtés négatifs.
Différents types de tests génétiques
Il existe plusieurs types de tests génétiques grand public : tests d’ascendance pour découvrir ses origines et ses ancêtres ; tests de santé afin de connaître ses prédispositions pour des conditions médicales et des maladies rares ou complexes ; tests de paternité ; tests pharmacogéniques pour savoir comment les gènes peuvent influencer la réponse aux médicaments.
Depuis le début des années 2000, beaucoup de compagnies offrent ces tests. Ils peuvent être réalisés sous forme de génotypage, généralement réalisés par les entreprises privées parce qu’ils sont moins coûteux, et de séquençage.
Selon Simon Girard, chercheur en génomique à l’Université du Québec à Chicoutimi, ces tests grand public sont aussi fiables que les tests cliniques. Ce qui diffère grandement, c’est la lecture qu’on en fait. Elle varie d’une compagnie privée à une autre et il y a divergence sur leur interprétation et les prédictions qu’elles en font. Certaines entreprises sont plus sensationnalistes et vont sortir des trucs qui ne font pas trop de sens, dit-il.
Les gens ignorent toutefois ces faits et le produit est devenu très populaire auprès du grand public. L’entreprise américaine 23andMe, qui se décrit comme le « Google de la génétique », en avait vendu à elle seule 16 millions à une époque. Cette quantité contient une foule d’informations.
Or, toutes les données obtenues avec ces tests en ligne sont partagées ou vendues à l’insu de leurs acheteurs à d’autres entreprises, telles que des compagnies pharmaceutiques.
Des prédictions sur des groupes ethniques
Lors du colloque, deux universitaires français ont brièvement soulevé les craintes des tests génétiques reliées au domaine de l’assurance avec des surprimes ou des refus de contrats à des individus qui ont passé ces tests.
Au Canada, le risque est pour ainsi dire inexistant. La Loi sur la non-discrimination génétique (LNDC) passée en 2017 et confirmée par la Cour suprême en 2020, interdit aux entreprises, et pas seulement aux assureurs, d’exiger des tests génétiques ou d’en consulter des résultats avant de conclure un contrat. La violation de la LNDC peut entraîner une amende de 1 million de dollars et une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à cinq ans.
Interrogé par le Portail de l’assurance en marge du colloque, Simon Girard a dit ne pas s’inquiéter que des assureurs tentent un jour de contourner la loi.
« Ce qui me préoccupe, a-t-il ajouté, c’est qu’on puisse faire des prédictions vis-à-vis des groupes ethniques spécifiques. Exemple, puisque tu es membre des Premières Nations ou de la communauté juive, on pourrait prétendre que tu as plus de prédispositions et moduler ta prime en fonction de ton origine. Ça se fait déjà dans d’autres pays. Or, ça demeure des prédictions qui se transposent mal à un individu. Je vois cela comme un danger et je trouve que ce n’est pas assez encadré du point de vue de la sécurité des populations. »
Le Washington Post rapportait le 6 octobre dernier qu’un hacker avait volé à 23andMe les tests de gens d’origine juive et qu’il les avait offerts en vente sur le darkweb.
Les côtés négatifs des tests génétiques
Les inconvénients des tests en ligne sont nombreux, surtout en l’absence de réglementation sur l’usage invisible qu’en font les entreprises qui achètent à des fins qu’elles ne révèlent pas. Simon Girard dit que l’interprétation des résultats obtenus lors des recherches cliniques forme une véritable forteresse avec des règles sévères à suivre.
« Au privé, ajoute-t-il, c’est le free for all. Au niveau des consommateurs, il n’y a aucune norme.»
Même des tests d’ascendance qui semblent banals sont très chargés d’informations. Les tests génétiques sont très bavards, a souligné Claire Brunerie, doctorante à la Faculté de droit de l’Université Jean Moulin Lyon 3.
Pour Ludovic Pailler, de la même université, leur multiplication représente une menace à la vie privée des individus. Il a parlé d’opacité vis-à-vis des résultats et s’est inquiété du droit à l’oubli et l’effacement pour les gens qui ont en ont commandés.
Fabrice Rochelandet, du Département des sciences de l’information de la Sorbonne, a rappelé que les données recueillies lors de ces tests étaient sensibles et non périssables. Elles pouvaient donc entraîner des préjudices pour une durée illimitée. Il a évoqué des risques d’interprétation médicale erronée ainsi que l’utilisation abusive ou frauduleuse ou des dangers de discrimination.
Les données génétiques dans le domaine médical
L’une de leurs applications les plus positives se trouve dans le domaine médical et de la recherche. Il faut toutefois être prudent avec l’aspect prédictif des tests génétiques, a souligné Simon Girard. Selon lui, pour le développement de certaines maladies, les habitudes de vie et l’environnement vont peser beaucoup plus lourd dans la balance. Au final, ce n’est donc pas uniquement sur les résultats des tests génétiques qu’il faut s’appuyer, mais sur l’ensemble de ces facteurs.