Après deux ans de répit où les REÉR semblaient insaisissables grâce à la loi 136, un jugement de la Cour d’appel vient tout chambouler.C’est une fois de plus une rente de fiducie qui se retrouve au centre de la controverse.

Dans le verdict survenu en appel le 27 mars dernier (Cloutier c. Société Canada Trust), les juges Dalphond, Robert et Morissette ont nié le statut de rente au contrat de REÉR autogéré survenu entre Réjean Cloutier et Canada Trust. Ils ont par conséquent refusé à M. Cloutier le remboursement de la somme perdue lors de la saisie de son REÉR. Ils lui ont aussi refusé le remboursement des frais afférents. Un refus que M. Cloutier avait aussi essuyé en Cour supérieure.

Édictée à la fin de 2005, la Loi modifiant la loi sur les assurances et la loi sur les sociétés de fiducie et les sociétés d’épargne (loi 136) donnait pourtant l’impression de protéger les rentes souscrites auprès des fiducies. La jurisprudence avait démontré jusqu’alors leur vulnérabilité à la saisie (voir Affaire Thibault).

Cette loi venait soulager les clients des courtiers en valeurs mobilières, principaux émetteurs de REÉR autogérés. Cet article stipule en effet que la possibilité de retraits totaux ou partiels n’affecte pas le statut d’une rente.

Il semble que cet article n’ait pas suffit à protéger le REÉR autogéré de M. Cloutier. Saisi en 2000, il poursuit Canada Trust en 2002 et se trouve débouté par la Cour supérieure en 2005, sur la base du retrait partiel. Cette fois, il est débouté par la Cour d’appel, mais pour d’autres motifs.

La seule volonté de faire d’un REÉR une rente ne suffit pas, a tranché le juge Dalphond dans son jugement.
« Je suis en désaccord avec la conclusion implicite du premier juge selon laquelle nous sommes en présence d’un contrat de rente, écrit-il. L’intimée (Canada Trust) ne s’est pas engagée à verser une rente; en effet, ni le montant ni la durée de celle-ci […] ne sont précisés dans le contrat, ni déterminables selon ses termes. »

Selon le jugement, rien n’indique que l’argent accumulé servira à acheter une rente. Le crédit-rentier pourrait choisir plutôt un FERR, ou une combinaison des deux.

Puis ce clou dans le cercueil : « […] En cours de régime, on ne trouve pas encore un débitrentier, un créditrentier, une obligation de payer une rente et encore moins une périodicité de paiements déterminés ou déterminables. Nous ne sommes donc pas en présence d’un contrat de rente au sens de [l’article] 2637 C.c.Q. [du Code civil du Québec], indépendamment de savoir s’il est assorti ou non d’une faculté de retrait. »

La Cour d’appel base donc son interprétation sur le Code civil, peut importe ce que stipule la loi 136.

Changer le Code civil

Ce récent jugement ne surprend nullement Maurice Charbonneau, avocat spécialisé en droit de l’assurance chez Charbonneau avocats conseils.

Sceptique depuis le début. M. Charbonneau croit qu’une loi déclaratoire (qui ne fait que modifier une autre loi) ne règle rien à l’insaisissabilité des REÉR.

« Si un jugement dit qu’un cheval de bois n’est pas un cheval parce qu’il est en bois et ne bouge pas, une loi déclaratoire ne changera pas cela. Au prochain jugement, on redira que ce n’est pas un cheval parce qu’il ne mange pas son foin, etc. »

Alors que tout le monde célébrait l’entrée en vigueur de la loi 136 en 2006, M. Charbonneau déclarait au Journal de l’assurance que seule une modification au Code civil du Québec permettrait d’en finir pour de bon. Il suffirait d’ajouter au texte de loi que « les sommes détenues dans un REÉR dans le cadre de la loi sur l’impôt sont insaisissables », disait-il.

Défenseur de la première heure de l’insaisissabilité des REÉR, Gaétan Veillette partageait aussi les doutes de M. Charbonneau après la loi 136. « Tant que le législateur reste sur le débat des rentes par accumulation, il va errer. Il faut que le débat se tourne vers l’insaisissabilité des REÉR. C’est à partir du Code civil qu’il faut agir », soutient le planificateur financier et ex-président de la spécialité Planification financière de l’Ordre des administrateurs agréés du Québec (OAAQ).

Une rente par accumulation ne devient une « vraie » rente qu’à la date d’échéance prévue au contrat, par exemple 71 ans pour les REÉR. En attendant cette échéance, il demeure vulnérable aux saisies.

M. Veillette rappelle que l’Île-du-Prince-Édouard, Terre-Neuve-Labrador, le Manitoba et la Saskatchewan reconnaissent le caractère insaisissable des REÉR. Cette initiative évite les recours judiciaires longs et coûteux.