L’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) pourrait avoir une « incidence significative » sur la pratique professionnelle des dentistes et sur la qualité des soins prodigués aux patients, affirme le Collège royal des chirurgiens dentistes de l'Ontario (connu par son acronyme anglais; RCDSO) dans des lignes directrices publiées récemment. 

L’IA peut notamment aider à diagnostiquer et détecter diverses conditions et maladies, à élaborer des plans de traitement, à prédire les résultats et à surveiller l’état de santé des patients. Toutefois, « il n’existe actuellement aucun corpus de recherches ou de pratiques exemplaires bien établi pour guider les dentistes dans leur conduite professionnelle et éthique », prévient cet ordre professionnel. 

Dans le cadre d’une consultation publique menée plus tôt cette année sur son projet de lignes directrices en matière d’IA, l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP) a réagi aux enjeux, dont ceux éthiques, soulevés par le RCDSO. 

« Nous apprécions les commentaires soumis par l’ACCAP », indique Lesley Byrne, directrice des communications du RCDSO, à Toronto, dans une entrevue accordée au Portail de l’assurance

« Toutes les observations reçues sont examinées avec soin, partagées de manière transparente avec le Conseil et les autres décideurs, et utilisées pour apporter des modifications lorsque cela est approprié », précise-t-elle. 

Les principes fondamentaux énoncés 

L’ACCAP a ainsi exprimé son accord avec les quatre grands principes proposés. 

Elle a reconnu que l’utilisation responsable et éthique de l’IA en dentisterie doit être guidée dans le meilleur intérêt des patients. L'Association a insisté pour que cette utilisation soit sécuritaire, transparente et impartiale, tout en protégeant la vie privée et la confidentialité des renseignements des patients. 

Elle a estimé que l’IA peut contribuer à améliorer la prestation de soins buccodentaires sûrs et de qualité, ainsi que les résultats pour les patients. Elle a également convenu que l’IA ne doit en aucun cas se substituer au jugement clinique ou professionnel du dentiste, lequel demeure responsable de ses décisions et de la tenue des dossiers. 

Ces principes ont tous été intégrés dans les lignes directrices finales du RCDSO. 

Cela dit, l’ACCAP a exprimé des préoccupations quant au risque que l’IA soit utilisée pour poser des diagnostics ou recommander des traitements dentaires non médicalement nécessaires. Il est donc « extrêmement important qu’un dentiste valide tout diagnostic ainsi que le plan de traitement proposé avant de recommander ou d’entreprendre tout soin », a affirmé l’Association. 

L’ACCAP a aussi approuvé les recommandations du RCDSO (incluses elles aussi dans les lignes directrices finales) voulant que, avant d’adopter un outil d’IA, les dentistes obtiennent des précisions sur sa conformité juridique et réglementaire, y compris en matière de protection des renseignements personnels. Les professionnels devraient également évaluer la validité clinique, la sécurité, la précision et l’efficacité de l’outil, ainsi que la qualité des données ayant servi à son entraînement. Il convient aussi de déterminer si des professionnels de la santé buccodentaire ont contribué à sa conception, son développement ou ses essais. 

L’ACCAP a en outre reconnu que les dentistes doivent bien comprendre les usages prévus et les limites connues des outils d’IA, y compris les risques associés et les mesures d’atténuation mises en place. Par ailleurs, elle a souligné que les professionnels devraient être en mesure de suivre la performance des outils qu’ils utilisent, incluant les mises à jour, les erreurs ou les incidents indésirables. 

L’Association a suggéré que la profession dentaire définisse une liste d’usages inappropriés de l’IA, comme la manipulation d’images. 

Selon Lesley Byrne, les principes préliminaires ont été renforcés dans la version finale des lignes directrices afin de « souligner que l’IA ne permet pas aux dentistes de prodiguer des soins qui excèdent leurs connaissances, leurs compétences ou leur jugement. » 

La transparence avant tout 

L’ACCAP a soutenu la recommandation du RCDSO voulant que les patients soient informés lorsqu’ils interagissent avec une technologie d’IA, comme un assistant virtuel simulant une réponse humaine. 

Dans le cadre de la consultation, elle a aussi souligné que les patients doivent être avisés de l’utilisation potentielle d’un outil d’IA qui pourrait avoir une incidence directe sur les soins reçus, et ce, avant que l’outil soit utilisé. Ces discussions devraient être documentées. L’ACCAP s'est également montrée favorable à la proposition du RCDSO voulant que des solutions de rechange raisonnables soient offertes, dans la mesure du possible, aux patients qui préfèrent limiter ou éviter l’intervention de l’IA dans leur plan de soins. 

Ces recommandations ont toutes été intégrées à la version finale des lignes directrices. Des orientations supplémentaires ont aussi été ajoutées pour aider les dentistes à évaluer la pertinence des outils d’IA, notamment en matière de protection, de sécurité, d’utilisation, de conservation et de stockage des données. Une nouvelle recommandation prévoit aussi la documentation systématique des moments où l’IA est utilisée, précise Mme Byrne. 

Selon l’ACCAP, les patients devraient non seulement être informés de l’usage de l’IA, mais aussi des raisons qui le motivent, de son fonctionnement, et des responsabilités de leur professionnel dentaire. Le consentement du patient, s’il est donné, devrait être documenté. De plus, les patients devraient être avisés si l’usage d’un outil d’IA est susceptible d’influer sur leur admissibilité à une couverture d’assurance. 

Les lignes directrices finales incluent une section sur la façon dont l’IA sera utilisée, avec ses avantages et ses limites. 

D’ailleurs, l’ACCAP a recommandé d’obtenir un consentement explicite avant que des outils d’IA puissent communiquer avec un tiers – par exemple une compagnie d’assurance – au nom du patient. Selon elle, toute modification des frais associés à un service utilisant l’IA doit être divulguée au patient ainsi qu’à l’assureur. 

Une définition claire de l’IA 

Lesley Byrne confirme que le RCDSO « appuie le projet de lignes directrices, qui a été approuvé à l’unanimité comme document officiel du Collège ». 

Elle reconnaît que les commentaires reçus ont eu une incidence directe sur certaines révisions, notamment sur la définition finale de l’IA. 

L’ACCAP a plaidé pour une définition plus restreinte et plus précise de ce qu’est un système d’IA, soulignant qu’une « définition trop large risque d’englober des méthodes statistiques traditionnelles qui sont utilisées depuis longtemps dans le secteur de l’assurance ». 

À l’inverse, « une définition plus étroite et spécifique d’un système d’IA (...) permettra d’éviter les ambiguïtés, les interprétations divergentes et les fardeaux inutiles pour les entreprises et les organismes de supervision, en ce qui concerne l’analyse statistique et la modélisation existantes », a ajouté l’Association. 

L’ACCAP a recommandé que la définition d’un système d’IA fasse référence à des nouveaux outils et des techniques récentes reposant sur des modèles d’apprentissage automatique pouvant présenter de nouveaux risques. Elle a insisté sur le fait que cette définition « ne devrait pas inclure les modèles statistiques ou mathématiques traditionnels, qui suivent des structures préétablies et qui n’ont pas les capacités d’apprendre à partir des données. » 

Des risques pour les dentistes 

Quels pourraient être les inconvénients liés à l’utilisation de l’IA en dentisterie?

« Les principaux risques associés à l’usage de l’IA par les dentistes dépendent de la nature et de l’objectif de l’outil. En général, plus l’incidence potentielle sur les soins aux patients est grande, plus la prudence et la supervision sont nécessaires », répond Lesley Byrne au Portail de l'assurance. 

Elle souligne que les outils d’IA qui influencent directement la prise de décisions cliniques, comme ceux qui appuient les diagnostics ou la planification des traitements, présentent des risques accrus, surtout lorsque la santé ou la sécurité des patients est en jeu, ou que des renseignements personnels sur la santé sont utilisés. 

« Les outils d’IA générative, en particulier, comportent des risques particuliers en raison de leur capacité à produire des résultats inexacts, trompeurs ou biaisés. Ces risques sont amplifiés si les résultats sont utilisés sans jugement clinique approprié ou sans vérification », explique-t-elle. 

C’est pourquoi les lignes directrices du RCDSO recommandent aux dentistes de faire preuve de vigilance et d’assurer une supervision adéquate. L’objectif est de s’assurer que l’IA appuie – et non remplace – l’expertise clinique, tout en protégeant la vie privée et la sécurité des patients, ajoute-t-elle. 

Les lignes directrices du RCDSO continueront d’évoluer à mesure que les dentistes se familiariseront avec les outils d’IA, ce qui permettra d’intégrer davantage de commentaires à l’avenir, conclut Mme Byrne. 

 

Les chirurgiens dentistes de l’Alberta

Le Collège des chirurgiens dentistes de l'Alberta (CDSA), soit l’ordre professionnel dans cette province, s’est également exprimé sur sa position à l’égard de l’IA en dentisterie. 

« Le CDSA participe activement aux discussions sur l’utilisation responsable de l’intelligence artificielle (IA) en dentisterie », a déclaré le Dr Randall Croutze, président-directeur général et registraire de l’ordre professionnel. 

« Bien que des lignes directrices officielles n’aient pas encore été publiées, le CDSA a pris des mesures concrètes pour amorcer le dialogue et explorer les orientations futures. Notamment, le CDSA a tenu un Symposium sur l’IA en dentisterie le 24 septembre 2025, réunissant des dentistes travaillant avec l’IA, un expert juridique et un chercheur qui se sont adressés directement aux membres du Conseil et du conseil d’administration des cinq organismes de réglementation et associations en santé buccodentaire [de l’Alberta] », a-t-il précisé. 

Le Dr Croutze a indiqué que le symposium portait sur l’impact actuel et futur de l’IA sur la pratique dentaire, notamment ses applications cliniques, les considérations éthiques et les cadres de gouvernance. 

« Le CDSA demeure fermement engagé envers son mandat fondamental de protection du public. Toute future ligne directrice sur l’IA sera élaborée avec cette mission en tête – veiller à ce que l’innovation en pratique dentaire soit équilibrée avec la sécurité, la reddition de comptes et la confiance du public », a-t-il affirmé.