L’Internet des objets transfigurera les façons de faire chez les actuaires en assurance vie. Elle leur permettra de concevoir des produits plus simples et plus efficaces, de réduire les délais d’émission des polices et d’offrir des protections mieux adaptées.

Ces pronostics sont ceux de Carl Lambert, vice-président, intelligence d’affaires, assurances de dommages, au Canada de Co-operators. Pour M. Lambert, l’actuariat d’assurance est une science qui a pris du retard. Il l’observe en assurance de dommages. « C’est encore pire en assurance vie », a lancé l’actuaire en entrevue avec le Journal de l’assurance. Selon lui, elle aurait intérêt à se mettre au pas de l’Internet des objets.

« Pour le moment, nous ne sommes pas en avance. L’assurance vie souscrite avec le petit pipi et la prise de sang est une pratique qui relève des années 1950. Des compagnies avant-gardistes commencent à donner plus de poids au style et à la façon de vivre dans leur processus de sélection. L’exercice, le rythme de vie sain prennent désormais plus de place. »

Il rappelle que l’Internet des objets en assurance de personnes permet entre autres d’appliquer des programmes qui récompensent les assurés pour le nombre de pas qu’ils font. « C’est ce qu’ont fait Manuvie et plusieurs autres assureurs aux États-Unis, et aussi en Europe », souligne M. Lambert.

Par exemple, Vitality de Manuvie aux États-Unis. L’assureur vient d’ailleurs de conclure une entente avec The Vitality Group pour l’offrir aux Canadiens. Il prévoit offrir en 2016 des produits d’assurance vie qui récompenseront les assurés en fonction de leurs habitudes de vie.

De 3 semaines à 2 jours

L’Internet des objets, c’est toute la partie utilisable des données que peuvent émettre les objets. C’est utiliser de l’information en temps réel qui ne provient pas de nos fichiers d’assurance, explique l’actuaire de Co-operators. Les applications qui permettent de contrôler des objets à distance par Internet ou par satellite ont fait leurs preuves, ajoute M. Lambert. Il évoque les applications mobiles qui permettent de contrôler à distance les appareils domestiques, le réseau de vélos en location BIXI. Il cite également la pile intelligente Roost. Munie d’un émetteur, elle peut transmettre des données à un téléphone intelligent par réseau wi-fi. L’utilisateur peut ainsi recevoir des alarmes à distance et vérifier le niveau de chargement de la pile.

Carl LambertM. Lambert salue aussi l’implication des assureurs de dommages dans la télématique, par des programmes tels ceux d’Intact Corporation financière, d’iA Groupe financier et de Desjardins Assurances générales.

Aux États-Unis, des assureurs de personnes ont réduit leurs délais d’émission grâce à l’Internet des objets, a observé Carl Lambert. Ils sont passés d’un processus de souscription qui prenait de deux à trois semaines à des délais de deux jours ou moins, rapporte-t-il. « C’est le cas de la compagnie d’assurance CUNA Mutual Group aux États-Unis. »

Avec l’Internet des objets, Berkshire Hathaway Travel Protection (BHTP) a développé des services connexes quasi instantanés. L’assureur a vu ses ventes se réaliser à 65 % sur appareil mobile et environ 20 % sur ordinateur ou tablette, rapporte M. Lambert. La compagnie qui offre une protection en cas d’annulation de vol interagit immédiatement par message texte avec son client lorsqu’un message d’annulation apparait au tableau numérique de l’aéroport.

« Vous êtes pris sur le tarmac à Chicago avec une correspondance manquée. Par un échange de messages textes, la compagnie peut vous émettre un nouveau billet, accompagné quelques minutes après d’un dédommagement, versé directement dans votre compte bancaire. »

BHTP est connecté sur toute l’information disponible sur les vols à travers le monde, et il est connecté avec tous ses assurés. C’est pourquoi il peut leur proposer presque instantanément une solution de rechange pour un vol annulé à la dernière minute, précise M. Lambert.

Interroger les mégadonnées intelligemment

De plus en plus dans le quotidien des assureurs américains, le recours à l’Internet des objets demeure timide au Canada. « Aucun assureur n’est encore parvenu à prendre le leadeurship en cette matière au Canada. Si les compagnies n’embarquent pas aujourd’hui, elles devront suivre la parade lorsque la tendance s’intensifiera », croit M. Lambert.

Co-operators souhaite prendre ce leadeurship. Au tournant de 2015, l’assureur a annoncé son intention d’embaucher quinze analystes en 2016, au sein de son équipe d’analytique. « Nous avons embauché 12 permanents depuis décembre en plus de 6 étudiants, révèle M. Lambert. Nous sommes sur le point d’embaucher deux autres personnes. Nous serons ensuite complets. »

L’Internet des objets tient une part importante dans les travaux de recherche de son équipe. En élargissant l’équipe, Co-operators souhaite augmenter ses capacités d’analyse prédictive et de gestion des mégadonnées.

Selon Carl Lambert, l’analytique permettra aux assureurs d’affronter les nouveaux risques. En assurance de dommages, elle a permis des avancées comme la télématique. Elle permettra de composer avec l’avènement de l’auto intelligente, l’assurance des drones et les cyberrisques, croit-il.

M. Lambert rappelle que l’analytique a permis à Co-operators de lancer une assurance contre les inondations en Alberta, après avoir étudié les modèles qui avaient cours dans d’autres pays. « Les assureurs n’avaient pas de données sur les inondations au Canada, où ce risque n’était pas couvert. Nous avons travaillé avec des hydrologues. Nous avons analysé des données fluviales, pluviales et côtières de hausse du niveau de l’eau et d’accumulation. Avoir des modèles est une chose, mais seront-ils sensibles aux différences dans l’ampleur d’un sinistre, entre un pouce d’eau et un pied d’eau ? Pour répondre à cette question, nous nous sommes basés sur les couvertures d’assurance qui existent dans d’autres pays. »

L’analyse des mégadonnées permet aussi de prendre des mesures pour mitiger les risques. « Dans la région de High River, les gens ont décidé de construire un mur de ciment. » Mais on ne construit pas n’importe comment, explique M. Lambert. « Nos modèles de propagation de l’eau montrent que selon sa forme et sa hauteur, un mur peut enlever de 0 % à 100 % du risque. Il faut se demander si un mur qui enlève 100 % du risque à un endroit augmentera les risques ailleurs. Pour réussir à avoir un modèle robuste, il a fallu l’apport d’ingénieurs, de mathématiciens, d’actuaires, d’hydrologues et de statisticiens. »

Selon Carl Lambert, les assureurs de demain auront le défi de sélectionner les mégadonnées pertinentes, au risque de s’y perdre. Ceux qui prendront du retard risquent de réagir en se précipitant, croit-il.

« Les mégadonnées constituent un immense ensemble de données, privées ou ouvertes. Les données ouvertes sont des données publiques auxquelles tous peuvent avoir accès. Parmi les données ouvertes, il existe une base de données qui permet de savoir où ont eu lieu les accidents de vélo à Montréal, mais pas qui les a eu. Toutes les grandes villes du monde ont de telles bases de données. Par exemple, le site du gouvernement du Canada compte plus de 200 000 bases de données ouvertes, à accès gratuit. Il faut aller chercher ce qui est bon pour nos besoins dans les données ouvertes, et non n’importe quoi, car on va se perdre. »

M. Lambert se rappelle une conférence sur la question, à laquelle il a assisté récemment aux États-Unis. Elle portait sur l’utilisation de données tirées de Facebook dans un but commercial. « On apprend sur Facebook qu’en matière de soins pour la vue, vous aimez Iris et moi Newlook ? Cela pourrait aider à tirer votre profil de consommateur : Iris cible les gens valorisant le service et NewLook cible des gens plus sensibles au prix. »

Il estime que l’analytique permet de démontrer que deux personnes qui souscrivent la même assurance habitation entreront en apparence le même type d’informations sur Internet, mais les deux propositions qui en résulteront présenteront des différences, lesquelles pourront être réutilisées en matière de service à la clientèle et d’offre de produits mieux adaptés aux divers segments de clientèle.

Carl Lambert a en outre révélé que Co-operators travaille avec différents partenaires en analytique, dont certains réassureurs. Sans nommer lesquels, il a ajouté que Swiss Re et Munich Re sont reconnus dans l’industrie pour être très avancés en ce domaine.