Avec l’âge, le corps change, le foie et les reins éliminent moins rapidement certains médicaments et en conséquence, pour une même dose, leurs effets se font davantage sentir dans l’organisme. Une médication qui était bien tolérée ou mieux éliminée chez un individu plus jeune pourra présenter trop d’effets indésirables arrivé à une certaine étape de la vie. Un médicament potentiellement inapproprié (MPI) chez la clientèle âgée peut avoir des répercussions très néfastes et entraîner hospitalisations, comorbidité et même mortalité.
Dans un rapport intitulé « Utilisation des médicaments chez les personnes âgées au Canada, 2016 », l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS) soulignait que les personnes âgées, en particulier celles atteintes de plusieurs affections chroniques, sont parfois obligées de prendre plusieurs médicaments.
En 2016, 58,2 % des personnes âgées de 65 à 74 ans au pays ont présenté des demandes de remboursement pour 5 catégories de médicaments ou plus. Chez les 85 ans et plus, ce pourcentage augmente à 79,6 %. Le territoire de résidence a un impact également : 20,4 % des personnes âgées vivant dans des régions rurales ou éloignées utilisaient 10 catégories de médicaments différentes contre 16,8 % pour celles habitant en région urbaine.
Toujours selon l’ICIS, en 2016, les aînés qui se sont vu prescrire 10 à 14 catégories de médicaments différentes risquaient 5 fois plus d’être hospitalisés en raison d’une réaction inappropriée à un médicament (RIM) par rapport à ceux qui s’en sont vu prescrire 1 à 4. L’usage de MPI auprès de cette clientèle est aussi associé à un risque accru de chutes, de réactions indésirables, d’hospitalisations et de dépenses de santé plus élevées. Cette utilisation a aussi un prix : le coût des MPI chez les personnes âgées au Canada a été estimé à 419 millions $ en 2013. Et c’était il y a neuf ans.
La liste des critères de Beers
Des répertoires de MPI ont été dressés dans plusieurs pays ciblant des médicaments à éviter ou à utiliser avec précaution, en l’absence d’alternatives, chez les 65 ans et plus. La liste de Beers développée aux États-Unis est utilisée au Canada. Créée initialement par le gériatre américain Mark H. Beers, sa première version a été publiée en 1991 et fait l’objet de mises à jour tous les 3 à 4 ans. La plus récente remonte à 2019, précise Louise Papillon-Ferland, pharmacienne à l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal et professeure de clinique de la Chaire pharmaceutique Michel-Saucier en santé et vieillissement à la faculté de pharmacie de l’Université de Montréal (UdeM).
La liste de Beers comporte des dizaines de médicaments et plusieurs sections : les médicaments à éviter chez la majorité des personnes âgées, ceux à éviter selon les conditions de santé du patient, les interactions médicamenteuses fréquentes, les médicaments à prescrire avec prudence ainsi que ceux à ajuster ou éviter quand la personne fait de l’insuffisance rénale.
Selon l’ICIS, 49,4 % des aînés ont présenté au moins une demande de remboursement pour un médicament de la liste de Beers en 2016 et 18 % pour plusieurs médicaments. « Chez les personnes âgées, soulignent les auteurs, il est recommandé de toujours éviter 4 des 10 médicaments qui leur sont le plus fréquemment prescrits ».
Est-ce que tous les professionnels de la santé s’y réfèrent ? Certains le font et vont prescrire avec parcimonie, dit Louise Papillon-Ferland, mais il y a des cliniciens qui la connaissent moins ou vont moins savoir quoi offrir en substitution, reconnaît-elle.
Pas une liste noire
La liste de Beers n’est toutefois pas une liste noire, insiste la pharmacienne gériatrique. « On ne vise pas à ne plus utiliser aucun de ces médicaments chez les personnes âgées. On ne pourrait pas dire : « Il faut arrêter d’un coup des médicaments parce qu’ils se trouvent sur cette liste ». Il faut faire attention au message que l’on envoie. Ce sont des MPI qui présentent plus de risques que de bénéfices chez les personnes âgées. Il faut une analyse globale de la condition du patient et vérifier que ce soit le meilleur traitement pour cette personne compte tenu des risques associés. Le terme « potentiellement » est très important. Il faut voir cette liste comme un outil pour une prescription plus optimale ».
La liste des médicaments que consomme un aîné devrait faire l’objet de révisions par le médecin, le pharmacien ou les deux. Cela devrait être l’occasion d’identifier les MPI et de considérer des alternatives plus sécuritaires. Le patient a aussi un rôle à jouer dans cet exercice de nettoyage.
Les 5 classes de MPI les plus utilisées
Parmi l’ensemble des utilisateurs de MPI, souligne l’INSPQ pour le Québec, les classes les plus utilisées sont :
- Les sédatifs (26,8 %)
- Les inhibiteurs de la pompe à protons (20,5 %)
- Les antipsychotiques (5,4 %) qui peuvent augmenter le risque de chutes, de fractures et d’AVC chez les patients avec troubles neurocognitifs
- Certains antidépresseurs précisés dans la liste de Beers (5,1 %)
- Les sulfonylurées de longue durée d’action (3,6 %)
Louise Papillon-Ferland ajoute les anti-inflammatoires et les antihistaminiques de première génération ainsi que les relaxants musculaires parmi les principales classes jugées à risque.
Des effets positifs
La liste de Beers a des effets positifs. De 2011 à 2016, indique l’ICIS, l’utilisation des médicaments qui y figurent est passée de 50,2 % à 47,2 % et leur utilisation chronique de 33,9 % à 31,1 %. Les mêmes tendances ont été observées chez les hommes et les femmes et dans tous les groupes d’âge.
Louise Papillon-Ferland souligne que la liste de Beers est intéressante pour les assureurs afin de connaître les médicaments les plus à risque pour les 65 ans et plus, mais qu’il ne faut pas en restreindre nécessairement l’accès de façon absolue à cette clientèle. Il s’agit de bien s’assurer que des alternatives sont accessibles, particulièrement les mesures non pharmacologiques telles que la physiothérapie ou la thérapie cognitivo-comportementale pour l’insomnie.