Rebutés par la complexité des définitions, 75 % des conseillers financiers au Canada ne vendaient pas de polices contre les maladies graves. Guidés par Munich Re, des assureurs ont décidé d’éliminer cette barrière : ils viennent d’adopter des définitions uniformes pour les 26 maladies graves couvertes au Canada. Du coup, on s’attend à ce que cette mesure relance la vente du produit au pays.Munich Re a frappé un grand coup au cours du Congrès mondial des maladies graves, qui se tenait à Toronto du 28 au 30 avril. D’ailleurs, c’est le réassureur qui est à l’origine de cette révolution. En mars 2007, Munich Re avait suggéré de revoir les définitions et a mis en place le comité d’uniformisation.Sept assureurs se sont joints au comité dès le début. À eux seuls, ils cumulent plus de 80 % des ventes en assurance maladies graves. Il s’agit de : RBC Assurances, la Financière Sun Life, la Financière Manuvie, Desjardins Sécurité financière (DSF), l’Industrielle Alliance, Great-West et Canada-Vie. Plus tard, Co-operators, Empire Vie, AIG Vie du Canada et Standard Life se sont joints à ce comité.

Le réassureur a expliqué les raisons de son geste lors de sa présentation à la conférence de Toronto.

« Un conseiller sur quatre vend de l’assurance maladies graves. Le véritable potentiel de ce produit est donc à ses débuts. Les assureurs admettent que la grande variété des définitions existantes cause une complexité et une confusion qui découragent bon nombre de conseillers de vendre de l’assurance maladies graves à leurs clients », a affirmé Hélène Michaud, directrice du marketing de Munich Re.

Elle dit observer des différences minimes entre les définitions du cancer établies par les assureurs. « Un assureur fait référence à une tumeur tandis qu’un autre utilise le terme malignité. Pourquoi ne pas utiliser le même mot dans les deux cas? Pour cancer de la peau, un assureur exigeait une profondeur de 0,75 millimètre, tandis que l’autre insistait sur 1 millimètre », dit Mme Michaud. Elle déplore cependant que certains conseillers dressent des tableaux comparatifs pour de tels écarts.

En uniformisant les définitions, Munich re voulait aussi en rafraîchir certaines qui dataient de dix ans, tout en respectant les dispositions des polices.

Table ronde

Réunis lors du Congrès autour d’une table ronde initiée par le Journal de l’assurance, les assureurs et Munich Re ont affirmé que les nouvelles définitions répondaient à une demande exprimée par les conseillers financiers. Chaque compagnie a aussi confirmé qu’elle sortirait les nouvelles définitions aussitôt que leur calendrier de mises à jour des systèmes le permettrait, soit d’ici la fin de 2008 ou tôt en 2009.

« Nous avons entendu les conseillers parler de la complexité du produit et des différences dans les définitions qui s’avéraient une entrave », explique Mme Michaud, faisant allusion spécifiquement à un sondage effectué l’automne dernier par Munich Re en collaboration avec le Journal de l’Assurance. Les résultats de ce sondage révélaient que l’établissement de points de référence en matière d’assurance maladies graves était le second élément en importance sur la liste de souhaits des conseillers.

Fini le marketing

« Les conseillers évaluaient les définitions et s’en servaient comme outils de marketing », ajoute Gerry Anthony, conseiller principal en développement de produits, chez Standard Life. Il ne pense pas qu’il soit approprié de classer une assurance maladies graves comme meilleure qu’une autre en se fondant sur des différences de formulation minimes.

« C’est un peu comme exclure un produit d’assurance vie parce que nous avons tous des définitions différentes de l’exclusion pour cause de suicide. La nôtre est de deux ans, la vôtre de 730 jours. Cela fait-il vraiment une différence dans la façon de voir les choses? Les définitions étaient en général relativement proches pour la plupart des états de santé », dit M. Anthony.

Il rappelle que le consommateur est la personne qui achète le produit. Il doit donc avoir une bonne compréhension de ce qu’il achète. « Si nous le confondons en mettant l’accent sur des subtilités dans les définitions des états de santé couverts, nous mettrons l’accent au mauvais endroit », prévient M. Anthony.

Janice Lofendale, directrice de l’actuariat pour l’assurance individuelle chez Co-operators, remarque que des pressions globales se sont fait sentir sur le marché canadien. « Le fait que le Royaume-Uni ait normalisé ses définitions a joué un rôle. Nos courtiers en ont entendu parler à une conférence antérieure et cela a éveillé leur intérêt. Puisque d’autres marchés avaient réussi à établir une entente, les conseillers ont commencé à se demander pourquoi les assureurs ne pourraient pas faire de même ici », fait-elle valoir.

Loin d’une bataille

Nathalie Tremblay, chef des produits d’assurance santé chez DSF, croit que cette harmonisation permettra aux assureurs de se tenir loin d’une bataille de définitions, comme c’était le cas le cas auparavant. Elle se souvient avoir été en concurrence avec l’Industrielle Alliance pour l’obtention d’un gros contrat et que la décision du client s’était prise sur la formulation de quelques définitions, dont celle de tumeurs cérébrales.

« Nous avons dû obtenir l’opinion d’un neurologue pour expliquer que notre contrat était presque identique et qu’il ne contenait pas de différence majeure. En fin de compte, ce type de chipotage sur de minimes différences de formulation de contrat ne peut que se traduire par une baisse d’estime du client envers l’industrie entière », dit-elle.

Michael Dawson, directeur des produits d’assurance maladies graves chez Manuvie, pense qu’en plus de rendre la compréhension et la comparaison des assurances maladies graves plus faciles pour les conseillers, l’analyse comparative peut répondre à certaines préoccupations après la vente.

« Qu’arrive-t-il si un conseiller n’était pas au fait d’une différence subtile dans les définitions au moment où la police a été vendue? Pourrait-il être exposé à une poursuite? Au moment de la demande de règlement, cela pourrait avoir été jugé différemment chez une autre compagnie. Juste le doute qu’il pourrait y avoir une différence entre les définitions, et d’avoir à en être au courant, en faisait un produit plus complexe », affirme-t-il.

Mais quelle est la différence entre une définition normalisée et une définition de référence?

David Baker, directeur du développement des produits de santé individuels à la Sun Life, explique que le terme « de référence » suggère que la même demande de règlement serait payée par chaque compagnie, mais qu’il y a place pour une formulation légèrement différente dans les définitions afin qu’elles s’harmonisent avec le reste de la formulation dans le contrat.

« Une définition normalisée impliquerait que chaque mot soit identique et qu’il y ait une formulation uniforme. Par exemple, une compagnie pourrait écrire ses polices en utilisant la troisième personne, tandis qu’une autre pourrait utiliser la première personne, mais la définition de référence serait la même », indique-t-il.

Il y a toutefois au moins une voix s’élevant contre ces changements. Dick Gilbert, président de GCI Insurance Services et Megacorp Insurance Agencies, croit que l’introduction de points de référence enlèvera un niveau de concurrence sain sur le marché.

« Ce récent événement démontre clairement les dangers d’avoir un nombre si limité de réassureurs dans le marché de l’assurance maladies graves individuelle. Ces entreprises en nombre restreint ont dicté et forcé leurs dispositions dans l’industrie et les résultats sont que les clients en souffriront et que notre industrie recevra un autre coup dur. Il est évident que l’intention sous-jacente est simplement de réduire les paiements des demandes de règlement, sans nécessairement en réduire le nombre. Les définitions normalisées sont simplement une méthode pour diluer l’étendue de la couverture des états de santé et pour réduire les demandes d’indemnité », tempête-t-il.

Les assureurs rejettent cet argument du revers de la main.

Lorsqu’il a parlé au Journal de l’Assurance au mois de mai 2007, George Turpie, vice-président, prestations du vivant, à la Great-West et chez Canada-vie, avait certaines préoccupations sur la façon dont la normalisation avait fonctionné au Royaume-Uni. Il a cependant exprimé son appui envers l’initiative après l’allocution de Munich Re.

« De multiples définitions, à peine différentes, ne font que générer de la confusion. Grâce aux définitions repères, les conseillers n’auront plus peur de comparer la définition d’une compagnie avec celle d’une autre. Les différences seront des choses compréhensibles et les conseillers seront en mesure d’en parler à plus de clients. En aucune façon ceci consiste à faire gagner plus d’argent à Munich Re », répond-il.

John Parker, vice-président adjoint, produits et marketing, prestations du vivant et assurance individuelle chez Manuvie, dit que l’initiative relative aux définitions de référence n’avait pas rapport avec les demandes de règlements ou la tarification, mais avec l’expansion du marché.

« C’est un geste que nous avons posé pour les conseillers à titre d’industrie. Nous croyons à ce marché et nous désirons qu’il se développe. Nous espérons que cette initiative redynamisera les conseillers et c’est pourquoi nous avons travaillé de concert avec toute l’industrie. Beaucoup de compagnies ont consacré beaucoup de temps et de ressources dans cette initiative », a-t-il dit au cours d’une entrevue téléphonique réalisée peu de temps après la conférence.

Michael Dawson ajoute que l’industrie est très douée pour faire croître sa part de marché en réduisant les taux des produits, en proposant de nouvelles caractéristiques et avantages et en prenant ce types d’initiatives. Selon lui, il est inexact d’insinuer que les points de référence empêcheraient les compagnies d’être novatrices ou de distinguer leurs produits.

Options ouvertes

Toutefois, au moins un membre du comité semble garder ses options ouvertes. Dans un courriel adressé au Journal de l’Assurance, Cameron Walker, gestionnaire du risque, marketing des produits chez Empire Vie, a indiqué que l’assureur puisse ne pas adopter chaque définition sans exception.

« Nous adopterons la plupart des définitions mises de l’avant par le comité. Cependant, toutes les définitions que nous utilisons présentement et que nous considérons plus favorables pour nos clients ne seront pas changées à ce moment », a-t-il écrit.

Lorsque le Journal lui a demandé de préciser quelles définitions la compagnie prévoyait garder, M. Walker a refusé de commenter. « Nous procédons présentement à la finalisation de nos plans en vue d’un lancement en juin 2008. Jusqu’à ce que nos contrats aient été finalisés, je ne peux donner de commentaires sur les définitions qui changeront ou non à ce moment », a-t-il ajouté.

Steve Carter, vice-président principal du marketing chez AIG Vie du Canada, a indiqué que sa compagnie inclurait les définitions dans un logiciel, dont le lancement est prévu le 9 juin. Toutes les nouvelles polices de maladies graves d’AIG reflèteraient les définitions des états de santé nouvellement couverts. De plus, dans le cadre de ce lancement, M. Carter indique qu’AIG présentera une nouvelle police d’assurance contre les maladies graves, à prestation du vivant à 100 ans, payable en 15 ans.« Comme cela a été le cas au Royaume-Uni, nous croyons qu’en supprimant certaines incertitudes entourant les différences dans les définitions d’un contrat à l’autre, la confiance dans la vente d’assurance contre les maladies graves sera établie pour plus de conseillers et que cela étendra le marché. Cette stratégie réussira seulement si tous les fournisseurs clés d’assurance maladies graves adoptent les nouvelles définitions », a-t-il écrit dans un courriel adressé au Journal.

Les assureurs s’attendent à ce que le projet d’analyse comparative soit un succès et ils prévoient une remontée des demandes d’assurance maladies graves lorsque les points de référence seront publiés. Aucun d’eux n’était prêt à donner un montant cible spécifique en primes ou en nombre de polices.

Nathalie Tremblay prévient qu’il serait irréaliste de s’attendre au type de poussée qui a eu lieu sur le marché britannique après que les définitions normalisées aient été adoptées.

« Nous nous attendons à une augmentation des ventes, mais pas de cette ampleur. Un des défis que nous affrontons dans notre industrie est celui du vieillissement de la force de vente. Il faut avoir plus de ressources à consacrer à la formation. Nous devrons faire des efforts pour faire bouger les conseillers qui travaillent principalement en vue de l’accumulation d’un actif et leur dire «N’oubliez surtout pas la préservation de l’actif» », conclut-elle.