L’intelligence artificielle fait son entrée dans l’industrie de l’assurance au Canada. C’est à Optima Santé globale qu’on doit cette incursion. L’entreprise qui se spécialise en santé et mieux-être au travail a formé une coentreprise (joint venture) avec Ellipse Synergie, qui lui permettra de lancer un système de prévention entièrement numérique et fondé sur des algorithmes.

En formant cette coentreprise, les deux entreprises se sont donné comme mission de rendre plus dynamique le formulaire d’assurance vie, mais aussi de le rendre plus véridique. Ainsi, par les questions que le système développé par les deux organisations posera, il sera plus facile pour les experts en santé et mieux-être au travail d’intervenir. Les deux entreprises croient aussi que leur concept permettra aux gens qui n’auraient jamais osé demander de l’aide de le faire, le système étant conçu spécifiquement dans cette optique.

Louis-Raphaël TremblayLouis-Raphaël Tremblay est le concepteur derrière ce projet. Cet enseignant de formation a fondé Ellipse Synergie à la suite d’un projet dans le milieu scolaire. Il y a dix ans, il a conçu une base avec des algorithmes permettant à des étudiants de se motiver davantage pour réussir à l’école, mais pour aussi dénoncer toute forme d’intimidation, qu’ils en soient victimes ou témoin. Son projet a tellement bien fonctionné qu’il a abandonné l’enseignement pour commercialiser le tout il y a sept ans. Il compte cinq commissions scolaires parmi sa clientèle. Ce nombre est appelé à augmenter considérablement à l’automne, a-t-il fait savoir au Journal de l’assurance.

Voyant que son projet marchait bien dans le milieu scolaire, M. Tremblay a songé à trouver un partenaire dans le monde de l’assurance, voyant le potentiel que son outil pourrait avoir pour la gestion de l’invalidité. Il s’est tourné vers Optima Santé globale.

Son approche est tombée au bon moment. Au moment où M. Tremblay a approché Optima il y a trois ans, l’entreprise se questionnait sur sa stratégie future. Optima venait alors de secouer l’industrie de l’assurance de personnes avec son approche misant sur le contact téléphonique davantage que sur un contact en personne, ce qui avait incité plusieurs assureurs à revoir leur stratégie. L’entreprise était à la recherche de la prochaine innovation qui lui permettrait d’afficher une nouvelle croissance, a relaté Jean-Claude Vaillancourt, associé et vice-président, développement des affaires et relations clients, chez Optima. L’entreprise s’attend à secouer l’industrie à nouveau avec ce projet.

Ellipse Synergie et Optima offriront trois gammes de services dans leur coentreprise. La première sera nommée Epsylio, qui est une famille de services qui seront offerts aux entreprises. La seconde est Implicio, qui offrira les mêmes solutions aux assureurs, avec une possibilité de faire du white labelling. Un volet grand public sera aussi offert via Psylio, qui misera sur une approche gratuite sur le Web et visera les gens qui n’ont pas accès à une aide psychologique. Optima pourra alors les aiguiller vers les bonnes ressources, avec des frais raisonnables.

Les deux hommes soulignent que leur projet suscite de l’intérêt chez les assureurs. Ils sont d’ailleurs en pourparlers avec plusieurs assureurs collectifs importants. Le lancement officiel se fera d’ici la fin octobre.

Comment ça marche?

La personne qui se connecte à l’une des trois interfaces rencontre ISA, pour interface de soutien assisté, qui la guidera tout au long du processus. Tout ce que la personne dira à ISA demeure confidentiel. Le système ne contacte aucun intervenant tant et aussi longtemps que la personne l’y autorise à le faire. Si celle-ci est vraiment en détresse et songe au suicide, un processus est prévu. ISA a d’ailleurs sa propre voix pour répondre aux gens. Elle relance les gens s’ils ne donnent pas signe de vie au bout d’un certain laps de temps, déterminé par l’état de détresse de la personne.

Ainsi, au fur et à mesure que la personne répond aux questions, ISA construit un phrasé, généré par des algorithmes. « Dans le milieu scolaire, nous pouvons suivre les personnes intimidées et les soutenir sur le long terme, tout en entretenant un dialogue avec elle. Pour ceux qui ont des problèmes académiques, on peut suivre leur courbe de réussite. On peut mesurer les habiletés métacognitives du jeune », explique M. Tremblay.

Grâce à cette expérience dans le milieu scolaire, il dit s’être rapidement rendu compte qu’il pouvait construire quelque chose de similaire en matière de soutien psychologique. « Personne ne va voir un psychologue par curiosité. Pourtant, on sait tous qu’une grande partie de la population qui ne consulte pas aurait besoin d’un tel suivi. C’est ce qu’on veut changer », dit M. Tremblay.

Il souligne que le recours à l’aide psychologique est souvent tributaire d’une seule chose : un coup de téléphone. « Si la personne appelle, c’est parce qu’elle a un bout de chemin de fait. On introduit un engin dans l’isolement de l’individu, qui est capable d’entrer en contact avec lui. S’il ne veut pas prendre le téléphone, ISA peut le faire pour lui, tant que la personne lui donne la permission », dit M. Tremblay.

Jean-Claude VaillancourtM. Vaillancourt renchérit en disant que l’outil développé n’est pas là pour intervenir, mais bien pour détecter et inciter la personne ayant besoin d’aide à aller consulter. « L’intervenant pourra ainsi voir où l’individu est rendu dans son cheminement. Le processus d’apprivoisement peut prendre cinq à six rencontres de thérapie pour débloquer. Or, c’est bien souvent tout ce qu’un programme d’aide aux employés paie », dit-il.

Avec Implicio, Optima croit qu’il pourra aider les assureurs à diminuer les temps d’intervention, tout en freinant l’augmentation des couts. « On vient fermer la boucle, car nous avons une meilleure capacité de détecter des cas. On intervient plus rapidement avec les gens plus motivés. On évite plus d’arrêts de travail, car le travailleur cliquera de lui-même pour demander de l’aide », dit M. Vaillancourt.

Pour M. Tremblay, c’est là que l’intelligence artificielle fait la différence. « On a réussi à pousser le processus plus loin que quiconque. On croit que notre modèle est unique au monde. La machine réagit pour créer un appel à l’action. Elle pose des questions, demande à la personne si elle se sent en détresse, récapitule ce que la personne lui a dit et lui donne des conseils. Elle suit le processus standard d’un psychologue. Elle notifie ensuite les personnes au bon moment. Une fois qu’elle a rempli sa mission, on passe la rondelle à qui de droit », dit le président d’Ellipse Synergie.

Pour Optima, cette notification fait toute la différence. « Si quelqu’un accepte d’amorcer une telle démarche, c’est parce qu’il veut de l’aide. On l’a sous contrôle à partir de ce moment. Plus on va dans le système, plus on comprend l’individu », dit M. Vaillancourt.

M. Vaillancourt fait aussi remarquer que cette démarche rend tout le processus moins rébarbatif que de remplir un formulaire d’assurance. « On part aussi du principe que la personne n’aime pas remplir un tel formulaire. Il faut comprendre que la surcharge cognitive de la personne est au maximum, alors que son désir de remplir le formulaire est minimum. Ça enlève ce côté rébarbatif. En plus, la personne est en discussion avec le système. Si les assureurs réussissent à entrer en relation de cette façon avec leurs réclamants, ils en seront gagnants. Ça ne passe pas par un formulaire, on mise sur l’interaction », dit-il.

Compléter le dynamisme de l’agent

ISA vient aussi compléter le dynamisme du conseiller financier qui a vendu la couverture d’assurance, dit M. Tremblay. « Les bons conseillers sont ceux qui ont du plaisir à vendre cette couverture et avec qui les clients ont du plaisir à traiter avec. Le conseiller est bon pour créer cette relation, mais aura-t-il la vérité sur la consommation d’alcool de la personne? Le client pourrait ne pas être à l’aise de lui dire, surtout lors d’une première rencontre. Le conseiller peut se consacrer à ce qu’il fait de mieux. Le client peut remplir le formulaire chez lui par lui-même », dit-il.

Comment Epsylio atteindra les gens qui craignent encore de traiter sur le Web? M. Tremblay croit que cette barrière est de moins en moins présente, puisque les gens sont habitués de naviguer sur Internet. M. Vaillancourt cite pour sa part le CEFRIO, dont la plus récente étude sur les habitudes de navigation des Québécois indique que les gens de 55 ans à 70 ans choisissent maintenant majoritairement Google pour trouver une information, détrônant le bottin téléphonique.

L’arrivée de l’intelligence artificielle marque-t-elle un pas de plus pour Big Brother en assurance? Non, croient les deux hommes. M. Tremblay souligne que la donnée que son système produit est désagrégée. ISA reforme les données en trois secondes lorsque la personne se connecte à Epsylio. M. Vaillancourt souligne toutefois qu’il y a encore de l’éducation à faire en la matière. Il croit qu’avec l’usage, cette crainte va se dissiper.

« L’intelligence artificielle va prendre la forme qu’on lui donnera. Si on veut qu’elle fasse le bien, elle le fera. Si on veut qu’elle ressemble à ce qu’on voit dans les films Blade Runner, 1984 ou Terminator, elle prendra alors cette forme. Plus on avancera dans le temps, plus l’intelligence artificielle aura meilleure presse. Il y a un changement de mentalité à faire », ajoute M. Tremblay.