Les efforts se poursuivent pour contrer l’exportation de véhicules volés au port de Montréal. Il s’agit d’une bataille de tous les instants et les voleurs n’attendent qu’un relâchement des forces de l’ordre pour pousser la machine plus loin.Selon les chiffres fournis par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) au Journal de l’assurance, 425 véhicules et pièces volés ont été interceptés avant leur exportation au port de Montréal en 2013. Cela représente une augmentation par rapport aux années 2011 et 2012 qui ont respectivement vu 272 et 345 véhicules et pièces être saisis au même endroit.
« 2013 a été une bonne année pour la lutte à l’exportation de voitures volées dans le port de Montréal », croit Charles Rabbat, directeur des services d’enquête du Bureau d’assurance du Canada (BAC). Il déplore toutefois qu’une minorité de véhicules soient recouvrés chaque année et que les effectifs des différents intervenants dédiés à cette lutte soient insuffisants.
Anne-Marie Jodoin, directrice générale de Marquage Antivol Sherlock, rappelle qu’il demeure difficile de prédire le destin d’un véhicule volé. « Il serait malhonnête de dire qu’il n’y a plus de vols pour les pièces et que tout va en exportation », dit-elle.
Population choquée
Jean-Pierre Fortin, président national du Syndicat des Douanes et de l’Immigration, rappelle que la population a été choquée, l’an dernier, d’apprendre que les douaniers avaient reçu une note interne leur intimant d’arrêter de fouiller les conteneurs sortant du pays. Ils ne devaient le faire que s’ils avaient des soupçons. Ils avaient donc la directive de se concentrer sur les conteneurs qui entraient au Canada.
Ainsi, moins de 1% des conteneurs sortant du pays seraient fouillés. « En raison de l’indignation de la population lorsque la nouvelle est parue dans les médias il y a un peu plus d’un an, les services frontaliers ont décidé peu de temps après de mettre en place une équipe spéciale de douaniers qui se concentrent spécifiquement sur la marchandise qui pourrait être volée », explique M. Fortin.
Sandra Duchesne, porte-parole de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), affirme que tous les efforts sont mis en place pour contrer l’exportation de voitures volées au port de Montréal. Elle cite, entre autres, la Loi visant à contrer le vol d’automobiles et le crime contre les biens qui est entrée en vigueur le 29 avril 2011.
« Cette loi nous permet de cibler, d’examiner et de retenir des véhicules importés ou sur le point d’être exportés et de consulter les bases de données de recherche afin de déterminer si oui ou non ces véhicules sont volés. C’est grâce à cette loi que de plus en plus de véhicules sont recouvrés au port de Montréal », dit-elle.
L’Agence a aussi dans sa poche une autre carte qu’elle utilise lorsque le besoin se fait sentir : le HCVM Z60 NA. Il s’agit d’un camion équipé d’un puissant scanneur qui permet de vérifier le contenu d’un conteneur sans même l’ouvrir. Mme Duchesne précise toutefois qu’il n’est utilisé qu’à l’occasion, mais est toujours entreposé à proximité du port.
Une plaque du Québec : un trophée
Beaucoup de travail reste à faire. Charles Rabbat mentionne d’ailleurs que, dans certains pays, se balader avec une voiture qui porte une plaque d’immatriculation du Québec est comme avoir un trophée. Selon lui, les voitures de luxe, comme les BMW, les Mercedes et les Lexus, vont dans les pays de l’Europe de l’Est ou elles valent plus cher. Les Toyota vont quant à elles vers l’Afrique.
Il constate, de plus en plus, que les véhicules ne sont pas nécessairement envoyés en entier. En décembre 2013, 20 moteurs de Toyota Corolla volées auraient été interceptés au port de Montréal.
Anne-Marie Jodoin note aussi que les voleurs ont tendance à couper un véhicule en deux pour le mettre dans des conteneurs différents et à le ressouder une fois arrivé à destination. M. Rabbat l’a aussi remarqué.
« Le fait de couper les véhicules en morceaux existait il y a quelques années, mais c’est un phénomène qui revient à la hausse », dit-il. Selon lui, une quarantaine de véhicules coupés ainsi auraient été recouvrés au port en 2013, pour 120 moteurs.
L’exportation de véhicules volés n’est pas un phénomène nouveau et les organisations criminelles qui la pratiquent sont de plus en plus sophistiquées dans leurs méthodes. Dans un rapport datant de 2004, Statistique Canada constatait déjà que « l’exportation à l’étranger a tendance à être dominée par les groupes ethniques qui ont déjà établi de solides relations dans leur pays d’origine et qui peuvent donc veiller à ce que la structure requise soit en place. Il est également possible, mais moins courant, pour les groupes du Canada, d’établir des relations internationales et de participer au trafic international de véhicules volés ».
Un commerce payant
Freddy Marcantonio, vice-président, développement des affaires et de la distribution, de Tag, explique la popularité grandissante de l’exportation de véhicules volés par les nombreux profits que ce commerce rapporte et le peu de couts qui y sont reliés. Selon lui, un véhicule d’une valeur de 40 000 $ vendu pour les pièces rapporterait environ 15 000 $ aux voleurs.
« Ici, c’est un commerce qui coute cher. Le voleur doit avoir un garage toute l’année, payer des employés et tenir des inventaires. Le même véhicule, dans un pays où il y a un embargo, est vendu pour au moins 80 000 $. Le voleur n’a pas besoin d’avoir de garage à temps plein, seulement un entrepôt qu’il loue pour environ 30 jours. Il n’a pas besoin d’employés, il doit simplement payer pour le vol de la voiture, qui va lui couter entre 1 500 $ et 2 000 $. D’ailleurs, 30 jours, c’est la période évaluée par les experts entre le moment où le véhicule est volé et celui où il est expédié à l’étranger », dit-il.
Autre problème favorisant l’exportation des véhicules volés : la corruption. Le crime organisé tente par tous les moyens d’étendre ses tentacules au port de Montréal, et des employés du port cèdent à la tentation, selon plusieurs des experts rencontrés par le Journal de l’assurance.
Le ministère de la Sécurité publique a publié en 2011 les résultats d’une recherche portant sur les ports canadiens et le crime organisé. « Les auteurs ont remarqué que les plus importantes affaires de contrebande ayant fait l’objet d’une enquête policière comportaient un élément de corruption dans l’un des ports commerciaux du Canada », peut-on y lire.
Plus loin, le tout se détaille, alors que les auteurs relatent les méthodes utilisées par le crime organisé pour faciliter ses activités au port, comme : « la corruption et les conspirations à l’interne. C’est-à-dire des travailleurs corrompus qui occupent souvent des positions importantes liées au déchargement, au déplacement et à l’entreposage des conteneurs maritimes. Ainsi que des personnes qui préparent les documents nécessaires au déchargement et au transport multimodal dans les terminaux portuaires. On y retrouve aussi l’intimidation des débardeurs et du personnel chargé de l’application de la loi pour le déplacement sans entrave des conteneurs remplis de biens de contrebande [sic] », peut-on lire dans le rapport.
Jean-Pierre Fortin confirme que, régulièrement, des employés du port sont soupçonnés d’être corrompus. Un autre intervenant, qui préfère garder l’anonymat, croit quant à lui « qu’il faut carrément être approuvé par le crime organisé pour travailler au port. »
Comme tous les types de vol de voiture, l’exportation de véhicules volés n’est pas une priorité pour les corps policiers, ajoute M. Rabbat. Malgré le manque d’effectifs, tant chez les douaniers qu’auprès des corps policiers, M. Rabbat croit que les méthodes d’investigation du BAC et de ses collaborateurs portent leurs fruits en raison de la nonchalance des voleurs. « Ils sont au courant que les effectifs pour les surveiller sont moindres, et il semble qu’ils soient devenus plus négligents. Or, nous n’avons pas relâché la pression. C’est un véritable jeu du chat et de la souris », dit-il.