L’Association des pharmaciens du Canada (APhC) demande la réglementation des pratiques des assureurs et des gestionnaires de régimes d’assurance-médicaments (GRAM) comme Express Scripts Canada et TELUS Santé. Selon elle, les pratiques de ces entités — menées au bénéfice des assureurs et des GRAM eux-mêmes — perturbent les soins et limitent le choix des patients.
L’association affirme que ces pratiques imposent une pression inutile sur les pharmacies et nuisent à la capacité des patients de choisir où ils reçoivent leurs soins. Pour attirer l’attention sur ce secteur non réglementé de l’écosystème de l’assurance et de la pharmacie, l’association a publié un canevas de projet de loi destiné aux différents paliers de gouvernement.
Le modèle de législation propose d’empêcher les assureurs et les GRAM d’exiger que les patients utilisent certaines pharmacies précises. Il prévoit aussi d’éliminer les conflits d’intérêts dans les vérifications effectuées par les GRAM auprès des pharmacies, vérifications que l’association décrit comme souvent punitives, soudaines et contraignantes.
Le projet suggère en outre d’interdire les frais administratifs imposés par les GRAM pour la transmission électronique des réclamations — raison même de leur création initiale.
Les GRAM sont mandatés par les compagnies d’assurance pour traiter le paiement des réclamations de médicaments sur ordonnance. Les intermédiaires ont été créés pour réduire les coûts administratifs liés aux réclamations papier et alléger les frais immédiats à la charge des patients. Leur rôle s’est depuis élargi considérablement, incluant maintenant la gestion des formulaires de médicaments et la négociation de rabais.
Selon l’association, les pharmacies doivent assumer tous les coûts liés aux médicaments et à leurs services jusqu’à ce qu’elles soient remboursées par le GRAM, parfois après un délai pouvant atteindre un mois.
Une industrie hautement concentrée
« Comme aux États-Unis, le secteur canadien des GRAM est très concentré, environ 80% des demandes de remboursement de médicaments sur ordonnance étant contrôlés par quelques grands GRAM. Cette concentration leur permet d’imposer des contrats et d’utiliser des pratiques qui font augmenter leurs revenus aux dépens des pharmacies et des patients », écrivent les chercheurs de l’association dans une fiche d’information sur le sujet.
Le modèle de législation traite aussi du fait que les GRAM sont en même temps les vérificateurs des pharmacies. « Il s’agit ainsi de détecter des fraudes, mais les GRAM récupèrent des sommes importantes auprès des pharmacies pour des erreurs administratives mineures qui n’impliquent pas de fraude ou de faute intentionnelle », ajoutent-ils, en appelant à des règles pour prévenir les conflits d’intérêts, puisque les GRAM profitent des résultats de leurs propres vérifications.
Joelle Walker, vice-présidente exécutive aux affaires publiques de l’association, souligne qu’il n’est pas rare que des GRAM récupèrent le coût d’un médicament, même lorsque celui-ci a bel et bien été remis au bon patient.
Par ailleurs, l’association a déposé une plainte contre Express Scripts Canada au nom de 40 000 pharmaciens travaillant dans plus de 12 000 pharmacies auprès du Bureau de la concurrence du Canada, concernant le détournement de patients et d’autres comportements anticoncurrentiels. Ces pratiques sont jugées particulièrement préoccupantes puisque Express Scripts Canada possède sa propre pharmacie.
Conflits avec les patients
L’association rapporte aussi que 36 % des pharmaciens affirment devoir gérer quotidiennement plusieurs conflits avec des patients liés aux réclamations des payeurs tiers; 75 % disent consacrer au moins cinq heures par semaine à la gestion de ces réclamations, et près de 20 % y consacrent plus de 15 heures.
Fait notable : malgré les affirmations selon lesquelles le détournement de patients ne serait pas aussi répandu qu’aux États-Unis, 75 % des pharmaciens sondés par l’association disent avoir déjà été obligés par des payeurs tiers de diriger des patients vers d’autres pharmacies ou vers des réseaux de pharmacies privilégiées (RPP).
À ce jour, seule la province de l’Ontario a proposé de réglementer les RPP. « Nos données illustrent l’urgence d’agir : lorsque les pharmaciens consacrent de nombreuses heures à la paperasserie au lieu de servir les patients, et que les Canadiens sont dirigés ailleurs que dans la pharmacie de leur choix, il va de soi qu’une intervention s’impose – et c’est là qu’entre en jeu notre canevas de projet de loi », a déclaré Annette Robinson, présidente de l’association, dans un communiqué.