Faire disparaitre les commissions versées aux conseillers n’assurera pas une meilleure protection du public. Bien au contraire, croit la Chambre de la sécurité financière et son PDG, Luc Labelle. Si les régulateurs vont dans cette voie, la société court le risque de vivre une grave crise sociale, car elle se retrouvera avec des gens qui n’auront pas épargné pour le futur, a-t-il affirmé en entrevue au Journal de l’assurance.

L’organisme d’autorèglementation (OAR) a d’ailleurs pondu un mémoire de 90 pages dans le cadre de la consultation sur le règlement 81-407 sur les frais des organismes de placements collectifs (OPC). « La question de la rémunération est tellement structurante pour l’industrie que si on la modifie, il pourrait y avoir des retombées différentes que celles auxquelles on s’attend. L’os majeur, c’est qu’on pense que la rémunération à commission génère automatiquement des conflits d’intérêts. On peut penser que ça peut inciter certains à faire passer leurs intérêts en premier, mais il ne faut pas mettre tout le monde dans le même bateau », dit M. Labelle.

Une appréciation grandissante

Sur le terrain, Luc Labelle dit que les membres apprécient de plus en plus la Chambre de la sécurité financière. « C’est parce qu’on est connectés sur eux et que l’on fait plus de stratégies cohérentes. Ça ne plait pas toujours à certains, mais on sert la profession comme telle. Nous avons une belle organisation, qui a une belle productivité et je suis très fier de son personnel. On a d’ailleurs un taux de roulement très bas. Les gens aiment travailler à la Chambre. D’ailleurs, les assemblées générales annuelles sont plus calmes qu’avant. Quand les gens comprennent ce que l’on fait et où on va, ça fait une grosse différence », dit-il.

La solution repose dans l’amélioration de l’information présentée au client, croit la Chambre. M. Labelle ajoute qu’il ne croit pas qu’il soit nécessaire d’obliger le conseiller à parler à son client au moins une fois par année.

« Je ne tiens pas particulièrement à ce qu’une Carole Morinville appelle ses clients chaque année pour leur dire qu’elle a quelque chose à leur vendre. Ce n’est pas au régulateur de décider d’une telle chose. Si on va dans cette voie, on se substitue à la décision du client. On vient lui dire qu’il n’est pas capable de négocier ses tarifs avec son représentant et qu’il est incapable de prendre une décision », dit-il.

M. Labelle craint qu’il en découle un effet pervers. Si la population ne veut plus faire affaire avec des conseillers parce qu’elle juge que les frais sont trop élevés, elle n’épargnera plus.

« On se retrouvera avec un grand pan de la population qui manquera de revenus à la retraite parce qu’elle n’aura pas été bien informée. L’État devra alors s’occuper de cette partie de la population qui n’aura pas acheté de protections. On aura un problème social si on va là », dit-il.

M. Labelle dénonce les nombreux professeurs d’université interrogés dans les journaux, qui disent qu’il est « inhérent » que les conseillers sont en conflits d’intérêts, vu leur rémunération actuelle. « Nous sommes tous concernés par cela. Néanmoins, la meilleure protection pour le client, c’est de savoir que quelqu’un de confiance l’accompagne. S’ils vont magasiner eux-mêmes sur Internet, on court le risque qu’ils ne soient pas équipés pour le faire. On aura évité quelques cas de conflits d’intérêts, mais on paiera le prix, socialement », dit le PDG de la Chambre.

Une consultation attendue

Comme d’autres organismes, la Chambre a été sollicitée par le ministère des Finances du Québec dans le cadre de la révision quinquennale de la Loi sur la distribution de produits et services financiers. « Nous avons envoyé une liste de choses, qui contient aussi des aspects que nous avions soulevés précédemment. C’est sûr qu’on veut que des éléments soient revus sur la capacité d’agir de la Chambre, notamment face au refus des banques de collaborer à nos enquêtes », dit M. Labelle.

Le PDG de la Chambre souligne que cette révision est une bonne occasion pour que l’OAR reçoive plus de pouvoirs, notamment en épargne collective, comme la Chambre le souhaite, alors que l’AMF
utorité des marchés financiers tend plutôt vers une présence accrue de l’Association des courtiers de fonds mutuels (MFDA).

« L’idée d’y étendre nos pouvoirs fait son chemin. En 2006, on s’est fait dire que le MFDA viendrait au Québec. On ne se demande plus aujourd’hui comment ils vont le faire. La porte est très solidement fermée. La balle est dans le camp de l’Autorité. On continue à croire que notre modèle est le meilleur », dit-il.

M. Labelle réfute aussi du revers de la main les arguments de ceux qui affirment que l’extension des pouvoirs de la Chambre aux courtiers en épargne collective serait plus couteuse que la présence du MFDA au Québec. « Ceux qui pensent cela ont mal compris. Ce sont aussi les mêmes qui étaient contre le régime du passeport. Au Québec, on ne parle pas la même langue que dans le reste du Canada. On a aussi le Code civil. Il n’y aura jamais de régulateur unique. Tout le monde est unanime là-dessus, sauf les banques. La Chambre a d’ailleurs le meilleur ratio de productivité des tous les régulateurs et de tous les OAR au Canada », dit-il.

Il ajoute que la recette pour avoir un bon contrôle des couts passe par une proximité avec les centres de décision et une gestion étroite. « En ayant cela au Québec, on l’assurera. Ce qu’on a gagné, plus personne ne peut nous l’enlever. Plus personne ne parle de faire entrer le MFDA au Québec. Le statuquo fonctionne. Il reste que le passeport n’est pas encore complété en épargne collective », dit-il.

M. Labelle a d’ailleurs eu une première rencontre avec le nouveau PDG de l’Autorité, Louis Morisset. « Il a démontré une intention réelle de travailler de manière coopérative avec la Chambre. Nous sommes condamnés à coopérer ensemble, vu nos missions communes de protéger le public. Il m’a fait part de sa volonté de s’assurer qu’on porte une attention adéquate aux dossiers en distribution. Il a de plus une bonne expérience de la boite. Je ne vois donc pas de problème à ce niveau », dit-il.

Les relations ne sont toutefois pas les mêmes avec les grandes banques canadiennes. La Chambre les affronte en cour, puisqu’elles refusent de lui donner accès aux dossiers de leurs employés fautifs, alors que le Mouvement Desjardins le fait.

« La justice suit son cours, mais on sait qu’on a une main gagnante sur le plan juridique. D’autres ordres professionnels ont déjà gagné des causes similaires. Les banques ne font que gagner du temps. Elles font un calcul tant juridique que politique. Elles savent que les procédures seront longues et couteuses. D’un autre côté, peut-être s’attendent-elles à avoir en cadeau une commission unique. C’est un dossier de longue haleine et c’est très choquant », dit M. Labelle.

L’imposition d’un cours de 3 heures en conformité vient modifier la structure même des exigences de formation de la Chambre, dit M. Labelle. Tous ses membres doivent le suivre d’ici deux ans et demi, soit d’ici la fin de la prochaine période de conformité.

« Il a été bâti dans la même veine qu’Info-Déonto. Il est très interactif et très multimédia. On y a travaillé avec des experts de l’industrie. Ceux qui l’ont suivi ont été très satisfaits, dans une proportion de 93 %. D’ailleurs, les membres qui viennent à notre assemblée générale annuelle sont généralement les plus critiques à notre égard, et ils ont adoré le cours. Même des experts nous ont dit y avoir appris des choses », dit M. Labelle.

Quant à Info-Déonto, la Chambre songe à le rendre disponible à tous, et non uniquement aux membres de l’OAR. « Pourquoi mettre le tout en cachette aux yeux du public? Il est correct qu’il voie comment son représentant est formé », dit-il.

Les sections régionales se détacheront-elles?

En 2012, la Chambre a amorcé une réflexion au sujet du détachement des sections régionales de sa structure. En 2013, la réflexion s’est transportée dans les sections. En 2014, M. Labelle dit s’attendre à ce qu’elles deviennent des personnes morales à part entière. Les discussions vont reprendre en septembre.

« On va discuter davantage des hypothèses sur la table. Comme une offre d’achat sur une maison, ça ne veut pas dire qu’on va acheter. Il n’y a pas d’engagement ferme et aucune date de fixée. En 2014, si c’est prêt, ça pourrait se faire, avec le soutien de la Chambre au niveau financier et en ressources humaines », dit-il.

Si les sections régionales quittent le giron de la Chambre, il leur reviendra de décider quelle sera leur mission, dit M. Labelle. Celui-ci dit croire que la formation y restera, notamment pour financer leurs activités. « Elles pourront aussi faire de la représentation au nom des professionnels. Elles auront une voix », dit-il. Il ajoute que les règles strictes qui encadrent les OAR empêchent les sections de faire certaines choses. À titre d’exemple, elles ne peuvent obtenir les listes des participants des sessions de formation qu’elles organisent. Elles ont des balises très strictes à suivre si elles veulent établir cette liste elles-mêmes.

La composition du conseil d’administration de la Chambre entrera dans une phase de changement, en 2014. À terme, il aura 13 membres, et non plus 11. Cinq d’entre eux seront des administrateurs indépendants qui ne seront pas régis par la Chambre. Sept seront élus lors d’élections, alors qu’un 8e sera élu lors de l’assemblée générale annuelle de la Chambre par les membres qui y seront présents.

La Chambre revisitera aussi son Code de déontologie, en 2014. « On veut s’assurer que le poids de la conformité est à la bonne place. Le fardeau règlementaire, c’est un équilibre à chercher. On doit s’assurer qu’il y a une bonne balance entre la protection du public et le fait de ne pas scléroser l’industrie », dit M. Labelle.

La Chambre compte aussi créer des comités de pratiques professionnelles, dédiées à chacune des fonctions qu’elles encadrent, telles l’assurance vie ou l’épargne collective. « On voit certains de nos membres qui veulent s’impliquer dans des enjeux liés à leur profession propre. En ce moment, s’ils veulent le faire, ça passe par le régional. On vient donc ajouter un volet par discipline », dit M. Labelle.