Selon deux gestionnaires d’importantes sociétés de placements, les conseillers financiers ont tout intérêt à bonifier leur analyse des marchés et à mieux expliquer leur évaluation du portefeuille aux investisseurs.Au Congrès 2012 de l’assurance et de l’investissement, Alain Huard et Ed Lee ont présenté leur point de vue de gestionnaires de sociétés d’investissements dans le contexte volatil des marchés financiers. M. Huard est vice-président et directeur régional des ventes chez Invesco au Québec. M. Lee est vice-président des alliances institutionnelles chez Placements Franklin Templeton. Il s’occupe des relations avec les assureurs.

M. Huard juge que le Canada a une politique monétaire bien trop accommodante, avec des taux d’intérêt très bas, sur une très longue période. « La croissance économique est faible, et dans plusieurs pays, il n’y a pas de création d’emplois, voire une augmentation du chômage. En conséquence, les taux d’intérêt resteront bas. Dans notre lentille, nous ne voyons pas de rebond très rapide. La reprise restera lente et faible. » De nombreuses banques centrales dévaluent leur monnaie nationale, ce qui devrait créer de l’inflation, mais ce n’est pas le cas. Les cycles économiques habituels sont très perturbés depuis 2007-2008.

Dans leur livre This time is different, publié en septembre 2009, les économistes Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff mènent une étude sur les crises financières qui ont ébranlé le monde, au fil des siècles. Ils avancent que si l’endettement du pays dépasse le seuil de 90 % du produit intérieur brut (PIB), la croissance économique peine à atteindre 1,5 %. Ce taux est insuffisant pour créer de l’emploi et augmenter les recettes fiscales. Pour se sortir du pétrin de la dette, les gouvernements des pays industrialisés n’ont guère le choix, explique M. Huard. « C’est ce qu’a fait le ministre des Finances du Québec dans son dernier budget. Il a réduit les dépenses et haussé les taxes. »

Les bons gestionnaires savent profiter des bonnes occasions offertes sur le marché des actions, indique M. Huard. Selon lui, les portefeuilles inspirés des indices boursiers risquent de moins bien performer. Pour les titres à revenus fixes, la situation n’est guère plus rose. Les obligations gouvernementales 10 ans sont offertes à des taux ridiculement bas, tant au Canada qu’aux États-Unis. Cela explique l’attrait des investisseurs pour les obligations émises par les sociétés et offertes à des taux plus intéressants, depuis 2008. Toutefois, l’écart entre les deux types d’obligations ayant été grandement réduit, il faut regarder ailleurs, dit M. Huard.

Les investisseurs doivent commencer à considérer les obligations émises dans les marchés émergents. « La Grèce n’est pas un pays émergent, et elle offre 16 % de rendement sur ses obligations. Préférez-vous cela à acheter des obligations du Brésil, du Mexique ou de l’Inde, qui offrent respectivement 9 %, 5,39 % et 8,20 %? (NDLR : Ces taux étaient en vigueur à mi-novembre) Si l’on veut offrir du rendement au client, il faudra faire plus que ce qu’on faisait avant, avec 60 % d’actions canadiennes et 40 % d’obligations canadiennes », dit M. Huard.
Émotivité des clients

De son côté, Ed Lee s’est montré philosophe. « Une chose est sure : aucun d’entre nous n’est capable de prédire l’avenir avec certitude. Je peux garantir une chose : nous avons tous des clients qui ont des attentes; nous devons bien comprendre leurs besoins. Que l’on parle de mes clients, qui sont eux-mêmes des conseillers, ou de vos clients, qui sont des investisseurs, tous ces gens veulent des garanties. »

Pour assurer des revenus à la retraite et bien gérer le transfert de richesse d’une génération à l’autre, l’industrie financière doit réussir trois choses essentielles, dit-il : bien comprendre l’environnement externe qui influence les marchés, mériter la confiance des investisseurs en saisissant les émotions qui les animent, et trouver des solutions pour rassurer les clients.
Les taux très bas offerts pour les obligations gouvernementales, à environ 1,7 %, représentent un défi pour l’industrie financière. En 1990, les mêmes obligations étaient vendues avec un taux de rendement de 11 %. « Les assureurs aussi doivent trouver des produits financiers qui donnent du rendement et qui leur permettront de régler les obligations qu’ils ont avec leur clientèle. On a connu des problèmes du côté des garanties à long terme avec taux de rendement assuré. Certains ont dû plafonner l’offre de produits, réviser leurs risques et augmenter leur tarification. Les taux d’intérêt très bas affectent tout le monde. »

M. Lee reconnait qu’il n’est pas facile de rétablir la confiance des investisseurs, tant elle a été ébranlée sérieusement après l’éclatement de la bulle des titres technologiques en 2000, les attentats du 11 septembre 2001, la crise financière de 2008 et les problèmes actuels de dette souveraine en Europe. « La confiance des clients est à un niveau plutôt bas. Nous travaillons de concert avec nos mutuelles et nos assureurs afin d’offrir des solutions qui pourront être graduellement appliquées aux conseils que vous offrez à vos clients. Il faut les mettre à l’abri. »

Les distributeurs de produits d’investissement doivent offrir une expérience client satisfaisante, car la concurrence est très vive. Selon M. Lee, les conseillers peuvent aider les clients en matière de planification budgétaire, notamment. « Si l’on veut convaincre quelqu’un de mettre 200 $ par mois de côté pour sa retraite, il faut l’aider à planifier son budget. De nombreux clients en sont incapables », note-t-il.
Bâtir le portefeuille

Alain Huard insiste sur la nécessité de revoir l’allocation des actifs, car les stratégies utilisées auparavant ne fonctionnent plus, dans un marché où les cycles sont de plus en plus courts. « L’indice de volatilité est au-dessus de la moyenne depuis très longtemps, et ça restera comme cela. Les émotions des clients sont directement liées à cette volatilité des marchés. » Depuis un an, le nombre de journées où le marché a grimpé ou baissé de plus de 2 % est 10 fois plus élevé qu’il y a 10 ans, affirme-t-il. « Le conseiller ne gère donc pas seulement le portefeuille de son client, mais aussi ses émotions à l’égard de ce marché volatil. Montrer des beaux graphiques, ça ne suffit plus », dit-il.

M. Huard reconnait que les investisseurs préfèrent placer leur argent chez eux, dans des entreprises qu’ils connaissent. « Le marché canadien a bien performé, depuis 10 ans, mais son potentiel de croissance est plus limité, avec l’importance des secteurs financiers et des ressources naturelles », ajoute-t-il.

Certains marchés émergents sont plus matures que d’autres, comme la Chine, l’Inde, le Brésil et le Mexique, dit-il. C’est le rôle du gestionnaire de pondérer la valeur des indices afin de bien équilibrer le portefeuille du client, ajoute M. Huard. M. Lee note que les assureurs ont besoin d’obtenir des rendements meilleurs que ceux offerts dans les pays industrialisés. De plus en plus de caisses de retraite ou de fonds d’assureurs montrent leur intérêt envers ce type d’actifs, qui est désormais mieux protégé.

Dans les marchés où les investisseurs ont subi des pertes, comme cela a été le cas aux États-Unis, il reste toujours des occasions d’affaires qui subsistent, note M. Lee.