Pour baisser les couts d’assurance collective liés à l’invalidité causée par des troubles de santé mentale chez des employés, il est primordial d’avoir le soutien de la haute direction de l’entreprise. Même chose lorsque vient le temps d’y implanter un programme de santé et mieux-être. Sans ce soutien, il sera très difficile de susciter l’engagement des employés de l’entreprise, ont dit des spécialistes, lors du Rassemblement pour la santé et le mieux-être, tenu en mai dernier, à Montréal.
Marie-Thérèse Dugré, PDG de Solareh, rappelle que 20 % à 25 % des troubles de santé mentale proviennent du milieu de travail. « Si on peut agir pour faire changer les choses, c’est tant mieux. Ça doit toutefois se prolonger dans le temps. Ce n’est pas parce qu’une entreprise a fait diverses activités durant une année que ça va s’améliorer », dit-elle.
C’est pourquoi il est important d’amener la haute direction d’une entreprise et même, son conseil d’administration, à faire de la réduction des troubles de santé mentale un objectif important. Cet enjeu doit même être mis en lien avec les objectifs de performance de l’entreprise.
« Ça ne s’obtient pas facilement, dit Mme Dugré. Le département des ressources humaines a un rôle important à jouer pour influencer la direction. On voit que certaines hautes directions n’ont pas de comportements sains. C’est un processus de remise en question de soi-même. Ça prend de la distanciation et ça doit commencer avec la haute direction ».
Une telle chose ne s’applique pas uniquement aux grandes entreprises, mais aussi aux PME. « Les cadres supérieurs des petites et moyennes entreprises sont les premiers concernés pour mettre en place cette politique. Le dirigeant doit en être partie prenante, continuellement. Ça lui donne aussi un avantage concurrentiel et un positionnement d’avant-garde », dit-elle.
Lors de sa conférence au Rassemblement, Mme Dugré a donné l’exemple d’un cas vécu avec un dirigeant imprévisible, qui pouvait soit écouter attentivement ses employés, soit exploser devant eux. « Ça a amené un climat de retrait des employés au sein de l’entreprise. Ils ne voulaient plus lui dire ce qui s’y passait. Ça a amené un climat de terreur dans l’entreprise. Pourtant, ce n’était qu’un comportement, mais ça affectait toute l’entreprise. Le dirigeant doit donc changer s’il veut que ses employés changent ».
Quelques indicateurs pour faire diminuer les couts
Comment changer les choses pour diminuer les couts d’assurance collective liés aux troubles de santé mentale dans une entreprise? Il faut tout d’abord identifier quelques indicateurs. Recueillir quelques données sera nécessaire, dit Mme Dugré.
« On voit des entreprises faire des activités en lien avec cela, mais elles ne savent pas à quoi ça se rattache. On calcule quoi, alors? Quel est le problème? La collecte de données est donc importante. Les médicaments consommés par les employés peuvent donner des indices. Les psychotropes arrivent souvent en tête, car les gens qui ont des problèmes les contrent par la prise de médicaments. Ça montre la fragilité des troupes », dit-elle.
L’absentéisme est un autre indicateur. « Son cout augmente de plus en plus, depuis les années 1990. C’est aussi de plus en plus lié à des troubles psychologiques. Ça amène des couts additionnels pour l’entreprise. Si l’entreprise a un programme d’aide aux employés (PAE), on peut y consulter des données. Il faudra aussi chercher à avoir les taux et couts d’incapacité, les taux d’accidents, d’incidents et de blessures, ainsi que les données sur l’évaluation des risques de santé », dit Mme Dugré.
La PDG de Solareh propose ensuite de sonder les employés pour savoir où sont les dangers. « Ce n’est pas complet comme tel, mais on va voir quels sont leurs comportements. Il faut faire sortir le vécu des employés, ce qui ne ressort pas d’outils standardisés », dit-elle.
Elle donne en exemple le racisme, encore très présent dans certains milieux de travail. « Certaines populations sont encore stigmatisées. Ça a un impact sur leur santé mentale, car elles se sentent rejetées ».
Une fois ces indicateurs obtenus, l’entreprise peut établir ses objectifs d’intervention. « La santé mentale est quelque chose sur quoi on a le contrôle, comme la santé physique. Avant de se retrouver en maladie, on peut faire de la prévention. C’est la responsabilité de l’individu, mais aussi de l’employeur, qui doit mettre en place les conditions pour protéger cette santé », dit-elle.
Mettre sur pied un comité d’intervention en impliquant les champions de l’entreprise est une autre façon de réduire les couts liés aux troubles de santé mentale. « Il est important d’équiper nos employés. On doit leur donner des outils pour contrer le stress que leur emploi leur crée. Ce n’est pas inné à tous de régler des problèmes. Plusieurs deviennent inhibés et perdent leurs moyens. En travaillant sur l’efficacité de l’entreprise à les résoudre, on va augmenter le taux de satisfaction des employés. Tous les jours, il y a des problèmes dans les entreprises. On prend souvent pour acquis que ça va se résoudre tout seul. On oublie cela : il faut identifier les facteurs de stress », dit Mme Dugré.
Des outils doivent aussi être donnés aux employés pour qu’ils puissent identifier leurs problèmes. « Comment peuvent-ils gérer l’agressivité des clients qui appellent s’ils sont au service à la clientèle? Si leur niveau de stress se situe à 8 ou 9 sur 10, ça veut dire qu’ils sont au bout de leurs limites et qu’ils sont à risque d’avoir des problèmes psychologiques. On doit travailler à renforcer la résilience des gens. Ceux qui voient le verre à moitié vide voient les petits évènements de la vie comme de grandes épreuves », dit la PDG de Solareh.
Créer un milieu de travail respectueux
Pour Mme Dugré, une des plus grosses lacunes qu’on retrouve dans les milieux de travail d’aujourd’hui est le manque de courtoisie. C’est même, selon elle, le premier chantier que les entreprises devraient attaquer pour réduire les troubles de santé mentale de leurs employés. Elle va même jusqu’à regretter qu’il ne s’offre plus de cours de civilité, comme il y en avait dans le passé.
« Il y a eu une dégradation importante à ce niveau. On est rendu à avoir des campagnes publicitaires donnant des conseils de courtoisie au volant. On doit reprendre des choses de base au niveau de la civilité », dit-elle.
Elle prend en exemple un gestionnaire qu’elle a supervisé au cours des dernières années. « C’est un gestionnaire qui rentrait le matin sans saluer personne et qui s’enfermait dans son bureau. Ça affectait le moral des employés et on lui a demandé pourquoi il agissait ainsi. La réponse était bien simple : tant qu’il n’avait pas pris son café, il ne se sentait pas d’humeur. On lui a donc dit d’aller prendre son café à l’extérieur du bureau et ensuite, d’y venir. Son comportement a changé du tout au tout. Malgré tout, ça remettait en cause l’estime de soi de ses employés. Quel stress inutile! Il ne faut pas tolérer ce genre de choses », dit Mme Dugré.
Autre aspect à prendre en considération en matière de prévention : s’assurer de mettre les bonnes personnes aux bons endroits. « Il est important de revoir les descriptions de postes pour prévenir les problèmes de santé. Il faut aussi y veiller lors du recrutement. On embauche les personnes pour leurs compétences professionnelles, mais, bien souvent, on les congédie pour leurs incompétences relationnelles. On doit s’y attarder avant d’embaucher. Il faut éviter les personnes toxiques. S’il y en a dans l’entreprise, il faut travailler dessus », dit-elle.
Conciliation travail-famille
La conciliation travail-famille peut aussi jouer. « Les employeurs se doivent d’être très flexibles, désormais. Il ne faut plus penser avoir des normes générales uniques comme avant. Il faut avoir des normes personnalisées. On peut être très créatifs dans les solutions, que ça soit par le télétravail ou des horaires plus souples. Il ne faut pas oublier que ce sont des problèmes temporaires, que ce soit pour de jeunes enfants ou des parents qui vieillissent. Il faut le voir dans un objectif de temporalité », dit Mme Dugré. Vient ensuite la prévention secondaire, qui regroupe des actions aussi diverses que de passer des examens médicaux ou remplir des questionnaires de personnalité en ligne. Il faut aussi former les gestionnaires à cet effet, dit la PDG de Solareh.
« On prend souvent pour acquis qu’ils ont les compétences adéquates pour le faire parce que l’entreprise a des politiques en ce sens. Il faut éviter un tel mode de pensée. Du côté de la direction, quand on prend une décision, il faut voir si elle aura un impact sur la santé des employés. Si oui, il faut voir s’il est possible d’en prendre une autre. Si c’est impossible, l’employeur doit voir ce qu’il peut mettre en place comme mesures pour réduire le stress que cette décision apportera. C’est la persistance des actions qui va faire que tous vont se sentir concernés pour établir une culture de santé », dit Mme Dugré.