Les chiffres liés aux demandes d’assurance vie et les montants de couverture achetée laissent croire que l’industrie canadienne de l’assurance vie se porte bien. Or, des recherches additionnelles, menées tant au Canada qu’à l’échelle mondiale, indiquent que ces résultats pourraient être meilleurs si l’industrie s’attaquait à l’hésitation des Canadiens à souscrire une assurance vie, particulièrement chez les jeunes consommateurs. 

Des données récentes de LIMRA et Capgemini, publiées dans le rapport (en anglais) From life insurance to insurance for living: Rethinking relevance for the under 40s, révèlent que la part de l’assurance vie dans les portefeuilles d’investissement individuels a diminué de 23% au cours des quinze dernières années, tandis que la part de l’investissement a augmenté de 31%. 

Daniele Farinaccia

« Les grandes institutions financières n’hésitent pas à investir en marketing et à se positionner auprès des clients, mais le message qui ressort davantage est celui de l’épargne et de l’investissement plutôt que celui de la protection », affirme Daniele Farinaccia, vice-président principal, distribution et gestion des canaux chez Sun Life, en entrevue au Portail de l’assurance. « Pour répondre réellement aux besoins financiers de quelqu’un, il faut équilibrer les deux. » 

LIMRA ajoute qu’une faible littératie financière pousse de nombreux consommateurs à privilégier les dépôts bancaires pour assurer leur avenir financier, 59% du temps, et les réserves d’urgence, 45% du temps. Les dépenses en santé et bien-être, ajustées à l’inflation, continuent pour leur part de croître de 33%. 

« Notre analyse de marché menée avec Oxford Economics suggère que les primes mondiales d’assurance vie croîtront à un taux de croissance annuel composé (TCAC) de seulement 0,9 % jusqu’en 2040, comparativement à 1,8 % entre 2009 et 2024, » indique le rapport. 

Le problème

Bryan Hodgens

« Tout commence avec la réalité que les jeunes consommateurs d’ici évoluent dans un paysage économique totalement différent de celui des générations précédentes, explique Bryan Hodgens, responsable de la recherche chez LIMRA. Ils repoussent le mariage. Ils deviennent parents plus tard. L’accession à la propriété est retardée. »

Il souligne aussi que cette génération sort de ses études avec beaucoup plus de dettes. « La plupart regardent l’achat d’une maison et réalisent qu’ils n’en ont pas les moyens, observe M. Hodgens. Ils commencent leur vie professionnelle en sachant qu’ils devront concilier épargne et investissement avec d’autres achats. Et ils constatent qu’ils n’ont pas de régime de retraite. » 

Certains Canadiens hésitent à souscrire

Selon une étude menée en août 2025 auprès de 1 507 Canadiens par PolicyMe (ou AssureMoi) et Angus Reid, près de la moitié n’avaient pas d’assurance vie. Parmi les 42% qui l’ont indiqué, 23% avaient des enfants à la maison et 65% ont affirmé qu’ils n’étaient pas susceptibles d’acheter une assurance vie au cours des cinq prochaines années.

Andrew Ostro

« Voir autant de gens avec enfants déclarer qu’ils n’ont pas d’assurance vie est à la fois notable et surprenant, » dit Andrew Ostro, président-directeur général (PDG) et cofondateur de PolicyMe. « Beaucoup considèrent l’assurance vie comme un produit discrétionnaire ou non essentiel. » 

Par ailleurs, 37% des répondants qui envisageaient d’acheter une assurance vie dans les cinq prochaines années ont dit que les examens médicaux les faisaient hésiter, alors que 34% des répondants la jugeaient trop coûteuse et que 27% estimaient ne pas en avoir besoin du tout. 

La recherche de LIMRA et Capgemini confirme qu’un grand nombre de consommateurs de moins de 40 ans repoussent les événements déclencheurs traditionnels liés à l’achat d’une police d’assurance vie : 63% des 6 176 répondants sondés en avril et mai 2025 n’avaient aucun projet immédiat de mariage et 84% – célibataires ou mariés – n’avaient aucun projet immédiat d’avoir un enfant. 

Toutefois, l’étude de PolicyMe révèle que les Canadiens de 18 à 34 ans (34%) demeurent les plus susceptible d’envisager l’achat d’une assurance vie, comparativement à 22% chez les 35-54 ans et seulement 4% chez les 55 ans et plus. 

La confiance est aussi un facteur : 21 % des répondants de l’étude de PolicyMe croyaient que les assureurs vie ne paient les réclamations que dans 50% des cas ou moins.

Et ce, malgré le versement de plus de 18,6 milliards de dollars (G$) en prestations d’assurance vie en 2024, selon la dernière compilation de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP). Sur le total des prestations, 8,9 G$ ont été versés lors de décès et 9,7 G$ versés aux assurés vivants sous forme de prestations d’invalidité, rachats ou dividendes. 

D'autres constats de LIMRA sur les moins de 40 ans

  • 44% des employés de moins de 40 ans veulent une assurance collective qui suit l’assuré lors d’un changement d’emploi. Seulement 19% des 200 assureurs sondés à l’échelle mondiale offrent une telle disposition. 
  • 59% des moins de 40 ans souhaitent transiger de façon numérique en direct. Seuls 31% des assureurs disposent des plateformes pour le permettre. 
  • 77% des consommateurs s’attendent à des recommandations complètes basées sur les données. À peine 16% des assureurs peuvent les fournir à grande échelle, notamment en raison de systèmes divers acquis lors de fusions et acquisitions et qui sont maintenant désuets. 
  • 67% veulent un accès numérique avec l’appui d’un conseiller dédié. Seuls 16% des assureurs offrent ces capacités intégrées. 

« Historiquement, nous n’avons pas vraiment facilité la tâche, » reconnaît Daniele Farinaccia. Il évoque la nécessité de rencontrer un conseiller en personne, remplir des formulaires papier, fournir des échantillons et attendre la décision de souscription.

Paul Savage

Chez Manuvie, Paul Savage, chef de l’assurance individuelle au Canada, reconnaît aussi que l’expérience d’achat n’a pas été optimale : « Nous devons changer cela en tant qu’industrie. Nous travaillons fort pour rendre le processus plus fluide. » L’entreprise a notamment réduit le nombre de questions et d’exigences lors de la souscription. 

De plus, il est probable que certains consommateurs perçoivent l’assurance comme unidimensionnelle, influencés par des expériences négatives avec les assureurs habitation, auto ou santé au moment des réclamations. 

Des solutions pour contrer l’hésitation à souscrire

Dans son étude, LIMRA propose différentes solutions pour contrer la problématique :

  • Lancer des solutions modulaires et flexibles basées sur une tarification simplifiée. 
  • Intégrer les prestations de type « prestations du vivant » aux produits individuels et collectifs, avec des caractéristiques adaptées aux étapes de vie. 
  • Concevoir des protections transférables. 
  • Communiquer efficacement le rôle central que joue l’assurance vie tout au long de la vie du client et pas seulement au décès. 
  • Créer des plateformes multicanales sans friction. 
  • Personnaliser la communication sur les avantages. 
  • Outiller les conseillers avec des solutions alimentées par les données et l’intelligence artificielle. 

Au Canada, Daniele Farinaccia insiste sur l’importance d’une planification holistique (globale) pour répondre aux besoins des clients. Il plaide aussi pour un accent continu sur la littératie financière – rendre l’information disponible – et simplifier le discours en rendant les pages Web, la documentation et les supports marketing clairs et explicites au sujet des différents produits d’assurance offerts. 

« Une fois que les gens ont digéré l’information, il faut s’assurer que les conseillers soient accessibles pour répondre à leurs questions, » ajoute-t-il. À cet effet, Sun Life développe un modèle permettant aux visiteurs de son site Web de cliquer pour joindre un conseiller en direct. « Nous essayons de bâtir un modèle qui permette de répondre aux questions en temps réel. » 

Bryan Hodgens réitère à son tour l’importance d’une planification financière holistique pour rejoindre les jeunes clients : « C’est ce qui aura le plus d’impact à l’avenir, pense-t-il. Tout ce que l’industrie peut faire pour améliorer la santé physique, mentale et financière de ses clients et refléter cela dans ses produits et son marketing contribuera aussi à engager ce groupe. » 

Enfin, il souligne que les médias sociaux sont un autre espace que les assureurs doivent occuper : la recherche de l’association montre que 80% des moins de 40 ans utilisent les réseaux sociaux pour s’informer sur les questions financières. 

Distribution 

Selon les recherches de LIMRA, 47% des assureurs envisagent d’innover dans leurs modèles de distribution afin d’élargir leur portée. 

Chez Sun Life, l’entreprise augmente le nombre de demandes traitées en temps réel, investit dans la technologie mobile et cherche à simplifier son langage : « Comment être transparent et simple dans la façon d’expliquer ce que nous faisons? » demande M. Farinaccia. 

Dans le cadre de sa stratégie de distribution, les conseillers de Sun Life participent aussi souvent à des événements communautaires. « Couplé à notre modèle de conseil hybride – ce clic numérique pour parler à quelqu’un – c’est ce qui va nous permettre de continuer à bâtir la confiance. » Il ajoute que la marque constitue également un facteur clé dans l’équation. 

Chez PolicyMe, M. Ostro souligne que les conseillers internes sont uniquement rémunérés en fonction du nombre de polices vendues, et non des primes générées. « Cela a plusieurs effets, » dit-il. « Cela évite la surassurance. Il n’y a absolument aucun incitatif à offrir à quelqu’un plus de couverture qu’il n’en a besoin. Il n’y a aucun incitatif non plus à privilégier les clients fortunés par rapport à ceux à plus faible revenu. Ils sont traités de la même façon. » 

Ce modèle a forcé l’entreprise à devenir extrêmement efficace : « Si nous vendons de petites polices à 10 $ par mois pour 100 000 $ de couverture, nous devons être très efficaces, sinon les chiffres ne tiennent pas la route. » 

Changer les modèles de rémunération 

LIMRA recommande aussi à l’industrie de tester de nouveaux modèles de commissions pour réduire les conflits entre canaux, élargir la portée et « encourager les bons comportements chez les conseillers ». 

Alors que la majorité de l’industrie verse de grosses commissions initiales suivies de commissions beaucoup plus faibles pour le service de la police tant qu’elle demeure en vigueur, M. Farinaccia précise que Sun Life a choisi il y a plusieurs années de réduire les commissions initiales et d’augmenter les commissions de service. « C’est un modèle qui, du point de vue de Sun Life, a très bien fonctionné pour nous, » dit-il. « Nous ne faisons pas seulement plaisir aux gens au moment de la vente, mais aussi dans la durée. » 

Innovation de produit 

Comme mentionné précédemment, les « produits du vivant » sont très recherchés par les jeunes clients. « Alors que 78% des moins de 40 ans sondés veulent des prestations en cas de vie et que 73% des assureurs les offrent, leur adoption reste faible, car elles sont présentées comme des ajouts lourds plutôt que comme une partie intégrante de la proposition de valeur, » précise le rapport de LIMRA. « Pour stimuler leur adoption, elles devraient être au cœur des offres d’assurance vie, soutenues par un message convaincant, une tarification appropriée et une tarification basée sur les données. » 

L’étude mondiale ajoute que 71% des répondants souhaitent une couverture dynamique qui évolue avec leurs circonstances. De plus, 82% des employés de moins de 40 ans accordent de la valeur aux prestations en cas de vie, mais seulement 49% des assureurs sondés les offrent comme avenants. 

Chez Sun Life, M. Farinaccia indique que l’entreprise mise beaucoup sur l’intégration de produits : « Nous essayons de rendre les produits plus flexibles que par le passé. » 

M. Hodgens reconnaît pour sa part que les « prestations du vivant » ne sont pas nouvelles, mais qu’il persiste un manque de connaissance et de sensibilisation à leur sujet : « Nous devons faire mieux pour nous assurer que les gens en soient informés. »

Il ajoute que les nouveaux produits doivent répondre à plusieurs préoccupations financières à la fois. « Cette génération, en particulier, recherche plus qu’un simple capital décès, observe-t-il. L’idée de produits combinés résonne beaucoup auprès de ce marché. Mais ces produits leur paraissent compliqués. Nous devons les simplifier et les livrer autrement. » 

Une question de coût 

Un bref tour d’opinions auprès des dirigeants sur les raisons pour lesquelles les consommateurs se trompent souvent sur le prix de l’assurance vie appelle aussi à des éclaircissements. 

« Pour la plupart des autres catégories de produits de consommation, les gens ont une bonne idée des prix, » observe M. Savage. En comparaison, la tarification en assurance peut paraître très opaque. « Pour les conseillers, il faut pouvoir le distinguer : s’agit-il d’un vrai problème [de moyens financiers] ou seulement d’une perception [faussée des coûts]? La plupart surestiment le coût de l’assurance, parfois de façon importante. » 

M. Hodgens cite d’ailleurs des données antérieures de LIMRA : les consommateurs surestiment généralement le coût de l’assurance vie par un facteur de 10 à 12. « Les jeunes adultes connaissent l’assurance auto et médicaments. Ils s’en servent comme référence, sans vraiment savoir combien coûte une assurance vie, » explique-t-il.

M. Ostro ajoute que la mise en avant de polices permanentes, plus chères et donc assorties de commissions plus élevées, peut aussi entretenir ces fausses perceptions : « Cela crée une perception erronée. Pour beaucoup, l’assurance temporaire est bien moins chère qu’ils ne l’imaginent. »

Ces perceptions erronées peuvent aussi être corrigées par des efforts de littératie financière menés par les conseillers. 

« Les gens abordent la question par le prix avant tout, avance M. Farinaccia. Je pense que le malentendu vient d’un manque d’information ou de la source d’information qu’ils consultent. »