L’industrie manufacturière du Québec estime que la pénurie de main-d’œuvre a représenté des pertes économiques directes de 18 milliards de dollars (G$) ces deux dernières années.

Les Manufacturiers et Exportateurs du Québec (MEQ) ont dévoilé, ce mardi 28 septembre, les résultats d’une étude sur la gravité des impacts de la rareté du personnel dans les usines.

Elle se base sur la tournée menée par l’organisme à la fin du printemps dans une dizaine de régions du Québec. Quelque 110 entreprises et 20 associations sectorielles ont alors été rencontrées. L’association souligne que les problèmes de recrutement se font particulièrement sentir dans les régions de la Montérégie et du Bas-Saint-Laurent.

Un sondage a aussi été mené par la firme TACT-Conseil auprès de 400 entreprises. Chez les entreprises ayant répondu au sondage, plus de 7 500 postes sont vacants.

Contrats refusés

Selon la présidente-directrice générale des MEQ, Véronique Proulx, cette estimation de 18 G$ est basée sur l’estimation des contrats refusés par les usines, faute de personnel suffisant pour les réaliser, de même que sur le paiement des pénalités de retard de livraison et la réduction des activités, toujours en raison du manque de ressources humaines.

Mme Proulx indique que 49 % des postes les plus recherchés dans le secteur manufacturier sont rémunérés selon un tarif horaire de 20 à 29 $. Parmi les postes les plus difficiles à pourvoir, elle énumère les suivants : journaliers, opérateurs, soudeurs, machinistes, manœuvres, assembleurs, techniciens, mécaniciens et ingénieurs. Près d’une entreprise sur 4 a besoin de renouveler 20 % ou plus de sa main-d’œuvre.

Le secteur de la fabrication au Québec déclare 25 330 postes vacants au deuxième trimestre, un nombre record. Par rapport à la situation au deuxième trimestre de 2019, ce sont près de 6 000 postes à pourvoir en plus.

Immigration

« Recruter du personnel, c’est comme essayer d’aller à la pêche sur un lac vide. Le bassin actuel de travailleurs ne suffit tout simplement pas », indique Véronique Proulx. Même pour les emplois au salaire plus élevé, le recrutement est très difficile, dit-elle.

Parmi les 13 mesures spécifiques au secteur manufacturier, MEQ demande notamment au gouvernement d’améliorer l’accès aux travailleurs étrangers, en augmentant les seuils d’immigration et en réduisant les délais. On suggère aussi de mieux appuyer et outiller les PME qui font de la formation à l’interne et d’accentuer le soutien financier et l’accompagnement technique des entreprises manufacturières en matière d’automatisation et de robotisation.

« L’économie du Québec va très bien, et la demande s’accentue. Nous avons des marchés qui veulent de nos produits, nous sommes capables d’en faire plus. Ça nous prend du monde », insiste-t-elle en parlant des besoins en immigration. Selon Mme Proulx, si le secteur manufacturier est la priorité du gouvernement, celui-ci doit mieux cibler l’immigration pour venir en aide aux entreprises.

Les limites de l’automatisation

Sylvain Garneau, président et chef de la direction du Groupe Lacasse, participait au point de presse avec Mme Proulx. Cette firme de fabrication de meubles de bureau pour les secteurs commerciaux et institutionnels a été rachetée par des investisseurs québécois en 2012, après avoir été acquise par des concurrents américains une décennie plus tôt.

Depuis, l’entreprise a rapatrié une partie des activités de fabrication et a aussi rétabli un réseau de fournisseurs basés au Québec. Quelque 80 % de sa production est livrée en dehors de la province. L’entreprise emploie 450 personnes.

« Ça pourrait être plus, puisque nous avons 60 postes à pourvoir à notre principale usine de Saint-Hyacinthe, mais ils ne trouvent pas preneurs », précise-t-il. M. Garneau précise que ses fournisseurs sont confrontés au même problème.

De plus, l’entreprise a investi 35 millions de dollars (M$) depuis 2018 pour automatiser et robotiser sa production. « Ça prend quand même de l’expertise, des talents et des compétences pour exploiter les équipements. Nos besoins de main-d’œuvre ont changé, mais ils sont toujours importants », explique M. Garneau. Pour ces emplois plus qualifiés, toutes les embauches récentes ont été faites grâce au recrutement à l’étranger.

L’entreprise est désireuse d’augmenter sa capacité de production, mais elle a besoin de personnel pour les secteurs de l’usinage, de l’assemblage et de l’expédition. « Comme entrepreneur, je ne contrôle pas l’offre de main-d’œuvre, mais les autorités gouvernementales peuvent nous aider », dit-il.

Sylvain Garneau ajoute : « La crise de main-d’œuvre que nous vivons est aussi grave que celle qu’on connaît dans le réseau de la santé. » Il dit espérer que le premier ministre et ses ministres comprennent l’urgence de la situation.