Les assureurs demandent que les changements majeurs prévus par le projet de loi 31 sur la pharmacie qui permettront aux pharmaciens d’offrir plus de services soient exclus du Régime général public d’assurance médicaments (RGAM). Ils craignent qu’une fois la loi adoptée, les régimes privés d’assurance ne soient forcés de payer pour ces services lorsqu’ils seront rendus par les pharmaciens et que la hausse des couts qu’ils entraineront ne compromette la pérennité de certains régimes privés.
Certaines pratiques qui seraient autorisées par les pharmaciens après l’adoption de la loi ne peuvent être actuellement qu’accomplies par les médecins. Le gouvernement de François Legault veut que certains gestes, notamment la vaccination, puissent être posés par les pharmaciens dans le but d’améliorer l’accessibilité aux soins.
Si ces nouveaux services étaient inclus dans le RGAM, soutiennent les assureurs, cela obligerait les régimes d’assurance collective à les couvrir, ce qui aurait ferait augmenter les couts des programmes d’assurance collective des employeurs et des syndicats. Ces hausses, ont-ils cherché à faire comprendre aux élus, mettraient en péril la pérennité de ces programmes et celle du régime général d’assurance médicaments lui-même.
« Nous sommes favorables à ce que les pharmaciens, comme d’autres professionnels de la santé, puissent jouer un rôle accru dans le système de santé, a indiqué François Cholette, directeur principal aux Affaires juridiques chez Desjardins Assurance, lors de la commission parlementaire consacrée au projet de loi 31 qui s’est amorcée mercredi dernier à Québec. Par contre, a-t-il ajouté, il sera crucial que ces nouveaux services ne soient pas inclus dans le RGAM et qu’ils ne soient pas assujettis aux paramètres du régime général d’assurance médicaments. »
Lyne Duhaime, présidente de la filiale québécoise de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP-Québec), François Cholette et Michel Paquet, vice-président adjoint et conseiller juridique, affaires règlementaires chez Manuvie, sont allés exposer le point de vue des assureurs aux parlementaires et à la ministre de la Santé, Brigitte McCann et ont tenté de leur faire saisir les répercussions négatives que les changements pourraient avoir pour les régimes privés, les employeurs, les travailleurs et les syndicats.
Des conséquences financières inconnues
Les trois représentants de l’industrie ont rappelé aux élus que les adhérents à des régimes privés partagent, avec le régime public, une facture qui est passée depuis la mise en œuvre du RGAM de trois milliards à six milliards de dollars.
L’impact financier que pourrait avoir le paiement de ces futurs services donnés par les pharmaciens sur le cout des régimes privés n’est toutefois pas connu puisque le gouvernement n’a pas encore déterminé la rémunération qui s’y rattacherait. Néanmoins, les assureurs craignent la facture qui y serait rattachée.
Lors de la présentation de l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP), le mot « rémunération » est revenu très souvent dans son mémoire et les propos de ses représentants. Les pharmaciens entendent toucher des honoraires appropriés pour ces nouveaux services qu’ils donneront à la population.
Et dans le cas des médicaments, les couts refilés aux assureurs prévus sont plus élevés que ceux facturés au régime public. En 2017, ils ont évalué à 400 millions de dollars le surcout payé par les employeurs et leurs employés pour les honoraires des pharmaciens et les frais de distribution.
Mise en garde des assureurs
Lors de leur propre présentation et durant des échanges qui ont suivi leur mémoire, les porte-paroles de l’industrie ont offert aux élus un cours d’assurance collective privée 101 pour les exposer les conséquences d’une hausse des couts. À une question, Lyne Duhaime a indiqué que les assureurs pourront toujours assurer les nouveaux services prévus dans le projet de loi 31. La question, a-t-elle dit, est de savoir si les employeurs et les syndicats voudront encore se les offrir en raison de l’augmentation des couts qu’ils vont engendrer. Ces deux groupes font face année après année à une augmentation des primes et ils sont les premiers à demander aux assureurs de les aider à trouver des solutions pour mieux contrôler les hausses.
« Il n’y a rien dans le projet de loi 31 qui va faire baisser les primes, a insisté Lyne Duhaime auprès des parlementaires. Nous sommes dans une situation où on demande de ne pas les faire augmenter. »
Double économie pour le gouvernement
« On est en faveur de ce projet de loi, qui est excellent pour assurer une meilleure accessibilité aux soins de santé et réduire les couts pour le gouvernement parce que cela va couter moins cher d’aller à la pharmacie que si c’est fait par un médecin, en clinique ou en CLSC, a ajouté François Cholette. Le gouvernement va y trouver son compte. Mais il s’agit de ne pas refiler la facture aux employeurs, aux syndicats et aux travailleurs dans le régime privé via le RGAM. Il y aurait double économie pour le gouvernement, car on réduit les couts puisque certains services se donnent en pharmacie et en plus, on transfère la facture au régime privé. Ce bout-là, on n’est pas d’accord. »
Si ces couts sont transférés non pas aux assureurs, mais aux employeurs, craint Michel Paquet, ces derniers auront le choix éventuellement de renoncer à un régime d’assurance collective. Ce sont surtout les petites entreprises qui sont à risque de faire ce choix drastique. Et s’ils n’en offrent plus, a-t-il ajouté, leurs employés se retrouveront dans le régime public avec moins d’avantages qu’ils n’en avaient.
« En ce moment, ces services sont déjà couverts par le régime et le danger de transférer le fardeau, soit le cout, aux employeurs et aux adhérents, c’est que le nombre de régimes diminue », a-t-il anticipé.
La solution des assureurs
Les assureurs ont profité de cette tribune politique pour rappeler l’une des solutions qu’ils préconisent depuis plusieurs années pour réduire les couts : qu’ils se puissent se joindre à l’Alliance pancanadienne pharmaceutique qui regroupe les provinces et le gouvernement fédéral pour négocier des prix plus bas pour les médicaments brevetés et génériques. Selon les assureurs, se joindre à cette Alliance pourrait augmenter encore plus son pouvoir de négociation et sa capacité d’obtenir de meilleurs prix qui bénéficieraient à toutes les clientèles.
Cette suggestion a été bien accueillie par quelques parlementaires, mais elle ne fait pas partie des dispositions prévues dans le projet de loi 31.