Le marché de l’assurance soins de longue durée n’échappe pas à la pression des bas taux d’intérêts. Dans une série de mesures visant à réduire ses dépenses, Sun Life amincit son équipe de spécialistes en soins de longue durée.Financière Sun Life contrôle plus de 50 % du marché de l’assurance soins de longue durée, a révélé son vice-président principal en assurances et placements individuels, Kevin Strain, en entrevue au Journal de l’assurance à la mi-décembre. Malgré sa présence dominante dans le marché, il semble que l’assureur n’avait plus besoin de tous ses spécialistes.

Début décembre, M. Strain a annoncé une série de coupures. Parmi elles, l’une a eu pour effet de réduire à une poignée de spécialistes une équipe qui en a déjà compté plus d’une centaine.

Formées pour la plupart de professionnels issus du réseau de la santé, cette équipe a aidé Sun Life à bâtir son hégémonie dans le marché de l’assurance de soins de longue durée. Le rôle du spécialiste, aussi titulaire d’un permis en assurance de personnes, consistait à vendre le produit en tandem avec un conseiller du réseau de carrière.

Ces dernières années, Sun Life avait étendu ce modèle à ses agents généraux. Depuis l’annonce faite en décembre, il n’est plus offert au réseau indépendant.

« Avant ces mesures, l’équipe comptait 40 spécialistes. Elle en compte aujourd’hui une douzaine », a confié M. Strain. Or, il a réitéré l’engagement de Sun Life envers ce marché. Le produit demeure intact : M. Strain ne prévoit aucune hausse de primes ni annulation de garantie.

Pas que des heureux
La cure minceur qu’a subie le modèle des spécialistes ne fait pas que des heureux. Embauchée sur l’équipe en septembre, Karen Henderson s’est fait montrer la porte lors de l’annonce fatidique. Mme Henderson est par ailleurs fondatrice et PDG de Long Term Care Planning Network, consultant en soins de longue durée. Éditrice du bulletin LTC News, elle offre aussi de la formation aux conseillers pour les aider à vendre le produit. Elle ne comprend pas la décision de Sun Life.

« Les conseillers ont besoin des spécialistes, estime-t-elle. Ils ne vendent pas le produit de soins de longue durée de façon aussi routinière que l’assurance vie. Peuvent-ils aller le vendre seuls sur la route? Certains oui; plusieurs autres non. » La consultante croit d’ailleurs que toute l’industrie aurait dû imiter ce modèle.
Le fruit était mûr, estime toutefois Kevin Strain. « Nous avons connu de bonnes ventes dans ce secteur lors des neuf premiers mois de 2011, et nous avons observé que plus de ventes provenaient de conseillers agissant seuls qu’en présence de spécialistes », dit-il.

Il a par ailleurs confié que les ventes provenaient autant du réseau indépendant que captif. Par les années passées, Sun Life avait été réputé réaliser la majorité de ses ventes de soins de longue durée par l’entremise de son réseau d’agences, hérité de Clarica. C’est au sein de ce réseau que le modèle des spécialistes était le plus solidement implanté.

Le modèle s’est montré particulièrement efficace pour permettre aux conseillers de se familiariser avec le produit, mais les temps ont changé, explique M. Strain. « Nous croyons toujours au modèle des spécialistes. Les conseillers ont toutefois intégré davantage le produit de soins de longue durée dans leur pratique de tous les jours, ce qui lui laisse moins de place. »

Certains distributeurs du produit de Sun Life ont vécu la même ambivalence. Claudine Cloutier, directrice des prestations du vivant au Groupe Cloutier, a vu Sun Life étendre ce modèle aux indépendants il y a quelques années.

« Certains conseillers indépendants n’aimeront pas que quelqu’un d’autre vienne avec eux chez leur client. De plus, quelqu’un qui s’investit régulièrement dans ce marché tiendra à faire toutes les démarches par lui-même », dit-elle.

Encore les taux
M. Strain refuse d’associer les coupures dans l’équipe des spécialistes à un manque de rentabilité du produit de soins de longue durée. Or, les taux d’intérêt jouent sur les marges de ce produit.

Ils sont touchés dans une moindre mesure que les produits de vie universelle et de rentes variables en raison de leurs primes non garanties, mais ne sont pas invulnérables. « Les taux d’intérêts à long terme touchent n’importe quel produit qui couvrent un risque à long terme », reconnait M. Strain.

Principal réassureur du produit de soins de longue durée au Canada, Munich Re le croit aussi, a indiqué sa vice-présidente au marketing, Hélène Michaud.

Le produit a été conçu selon un horizon à long terme, donc sensible à la fluctuation des taux d’intérêts, explique Mme Michaud. « Le marché canadien doit adopter une vue à long terme pour assurer que le produit est suffisamment viable pour permettre aux compagnies de payer les réclamations futures. De plus, les nouvelles normes comptables (IFRS) qui seront bientôt mises en vigueur affecteront aussi les produits d’assurance », ajoute-t-elle.

Le réassureur ne s’attend toutefois pas à de brutales hausses de prix en assurance soins de longue durée, comme dans le cas de la vie universelle. La tarification de ce produit peut s’ajuster selon différentes hypothèses, explique Mme Michaud. S’il demeure essentiel de s’assurer que les réserves soient suffisantes, elle ne croit pas qu’un assureur ou un réassureur ajustera les taux à moins que cela soit essentiel à la viabilité du produit.

L’impact des États-Unis
Réassureur aspirant à ce marché au Canada, RGA constate les problèmes qu’entraînent les bas taux d’intérêt dans la tarification de ce produit dans ses activités aux États-Unis.

« Même si les primes de ce produit ne sont pas garanties, nous ne pouvons les tarifer aujourd’hui en escomptant les hausser plus tard. Nous devons tarifer le risque selon les conditions actuelles. Pour un produit déjà en vigueur, nous ne pouvons pas nous permettre de hausse injustifiée. Cela enverrait un mauvais message aux clients qui ont acheté le produit », explique la première vice-présidente et actuaire en chef de RGA Canada, Micheline Dionne. C’est d’autant plus vrai au Canada, où les ventes d’assurance de soins de longue durée peinent à décoller, fait-elle remarquer.

Qu’est-ce qui serait une cause justifiée pour hausser les primes? Une expérience défavorable, croit Mme Dionne. Il y a toutefois là un cercle vicieux : il y a peu d’expérience en réclamations pour ce produit, car il se vend peu. À première vue, Mme Dionne ne constate pas d’expérience défavorable en soins de longue durée au Canada.

Chez Desjardins Sécurité financière, la chef des produits d’assurance vie Nathalie Tremblay estime que les bas taux d’intérêts à long terme sont la pire menace pour la rentabilité des produits d’assurance soins de longue durée. Selon elle, les assureurs ne pourront pas augmenter la prime des produits de soins de longue durée comme ils l’ont fait pour le cout nivelé d’assurance vie universelle.

« Contrairement aux produits de vie entière, les primes d’assurance de soins de longue durée ne sont pas garanties. Pourtant, je ne vois pas le jour où un assureur osera augmenter les primes. Cela créerait un écueil de plus pour les conseillers au moment d’aborder ce produit avec leurs clients », croit Mme Tremblay.

Quant à Claudine Cloutier, elle croit que le produit canadien a été mieux tarifé que le produit américain. Elle ne craint pas outre mesure les hausses de primes brutales comme celles qu’ont vécues les produits d’assurance vie permanents. « Aux États-Unis, des assureurs ont haussé les primes et d’autres se sont retirés du marché des soins de longue durée parce qu’ils avaient mal tarifé le risque. Les fournisseurs canadiens ont décidé de ne pas faire la même erreur », dit-elle.

De retour aux bas-fonds
Après un sursaut en 2009, les ventes d’assurance de soins de longue durée sont revenues à ce qu’elles étaient avant la crise aux États-Unis. Au Canada, elles sont toujours demeurées modestes. « Nous sommes revenus aux niveaux de vente les plus bas de la dernière décennie », dit la directrice adjointe aux relations publiques de LIMRA, Catherine Theroux.

Selon elle, les écueils ne manquent pas pour expliquer la lente croissance des ventes dans ce secteur d’activités. « Les clients potentiels ont de la difficulté à se projeter dans un futur où ils auraient besoin de soins de longue durée », dit-elle.

Mme Theroux croit aussi que les clients comprennent peu le produit. Une chose qui n’aide pas.« Alors qu’ils ont de la misère à joindre les deux bouts, des soutiens de famille se demandent s’ils vont acheter ce produit qui pourrait bien ne jamais payer. » D’où une tendance qui émerge aux États-Unis et qui devraient selon elle s’étendre au Canada, soit l’attrait des clients pour des produits combinés (hybrides).

Pour sa part, Hélène Michaud estime que le marché est encore dans son enfance. Munich Re réassure les soins de longue durée depuis seulement 12 ans au Canada. « Les ventes ont relativement stagné ces dernières années, révèle-t-elle. Le principal écueil que rencontrent les assureurs est fort probablement la faible notoriété du produit chez les consommateurs et une confusion à propos des soins qui sont ou non couverts dans notre système de santé. »

Information au compte-gouttes
En ce qui touche les résultats de ventes en soins de longue durée au Canada, l’information ne parvient qu’au compte-gouttes. Après une dernière étude portant sur les résultats de 2008, LIMRA a cessé de mesurer systématiquement l’évolution de ce marché au Canada.

Cette étude à laquelle ont participé sept fournisseurs comptant pour près de 90 % du marché a évalué la taille du marché à 105 000 assurés et 90 millions de dollars (M$) de primes. De ce total : 69 000 polices et 80 M$ de primes en assurance individuelle. Les deux tiers des nouvelles ventes étaient passées par le réseau de carrière et 92 % des polices avaient été vendues à des clients de moins de 65 ans. Avait alors participé à l’étude : Financière Sun Life, RBC Assurances, Financière Manuvie, Desjardins Sécurité financière, La Capitale, ACE INA et les Chevaliers de Colomb.

LIMRA a toutefois réalisé un sondage d’opinion auprès de ses membres, dont 48 canadiens. Parmi ces membres, on dénombre presque tous les assureurs, des banques, des compagnies de fonds communs, des consultants et même un réassureur, RGA Canada.

Questionné sur l’état du marché des soins de longue durée, les membres canadiens de LIMRA se sont dits préoccupés par la rentabilité du produit. « Il est gourmand en termes de réserves et les assureurs ne voient pas les profits avant longtemps », rapporte Jen Douglas, directrice de recherche associée chez LIMRA Long-Term Care Research.

« Les assureurs américains ont trop misé sur le potentiel démographique, lequel ne s’est pas traduit en demande des consommateurs pour le produit. Nous imaginons que la situation est encore plus difficile au Canada, où il existe un système d’assurance santé universel, en plus de l’incertitude économique », dit Mme Douglas.

Malgré tout, un peu plus de la moitié des répondants au sondage de LIMRA (incluant les membres canadiens) croient que les ventes du produit connaitront une croissance au moins modérée dans les trois prochaines années. Mme Douglas estime toutefois que la croissance canadienne sera difficile à interpréter, puisque le marché part d’une petite base.

Pas au conseiller de faire tout le travail
Au Groupe Cloutier, Claudine Cloutier se montre plus optimiste quant aux ventes du produit. Selon elle, il a un bel avenir au Canada. « Ce produit n’est pas notre vache à lait pour le moment mais, l’état de notre système de santé se chargera de lui faire de la pub gratuite », a-t-elle commenté, en faisant allusion aux délais d’attentes dans les hôpitaux et les centres hospitaliers de soins de longue durée (CHSLD). Pour l’heure, ses conseillers réalisent surtout des ventes occasionnelles en soins de longue durée. Encore aucun ne se dédie exclusivement à ce marché.

Elle insiste toutefois sur le fait que la solution aux ventes modestes de l’assurance de soins de longue durée ne peut venir uniquement du conseiller. Les assureurs doivent en faire un marketing systématique et ciblé, à la télé, à la radio. Les nouvelles sur le système de santé feront le reste, croit-elle. « Quand le client entend parler d’un produit de quelqu’un d’autre que son conseiller, le degré de sensibilisation est meilleur », dit Mme Cloutier.