La télématique permet de modifier grandement la gestion du risque en assurance automobile, ont confié trois dirigeants d’assureurs lors d’un séminaire organisé par l’École d’actuariat de l’Université Laval le 5 février dernier. Mieux encore : les automobilistes, surtout les jeunes, sont prêts à modifier leur façon de conduire pour payer moins cher leur prime d’assurance auto.

Tous les clients ou presque qui adhèrent à ce type de programme le font par vanité : chaque conducteur a une haute opinion de son comportement au volant. Celui qui sait que son mode de conduite fera augmenter sa prime préfère se passer du produit, ont rapporté Patrick Barbeau, premier vice-président en assurance des particuliers chez Intact Assurance, Stéphane Morency, premier vice-président chez Desjardins Assurances, et Michel Laurin, président et chef de l’exploitation de l’Industrielle Alliance, Assurance auto et habitation. Le panel était animé par Johanne Lamanque, vice-présidente pour le Québec du Bureau d’assurance du Canada (BAC) et directrice générale du Groupement des assureurs automobiles (GAA).

Intact a deux programmes de télématique : Automérite, pour sa filiale bélairdirect, et Ma Conduite, pour le courtage. L’adhésion au programme vient avec un rabais automatique de 5 %, mais limité à 25 %. En moyenne, les clients d’Intact obtiennent un rabais de leur prime variant de 10 % à 12 %. Pour la première année, quelque 63 000 clients ont adhéré aux deux programmes à travers le Canada, et ils ont parcouru plus de 250 millions de kilomètres. Dans ce groupe, quelque 4 000 accidents ont été répertoriés, ce qui permettra de mener plusieurs analyses très détaillées, dit M. Barbeau.

Desjardins a lancé son programme Ajusto il y a deux ans, ce qui a créé de grands remous dans le marché difficile de l’Ontario. Comme les autres assureurs, Desjardins constate aussi que ses clients estiment être de bien meilleurs conducteurs que ne le démontrent les données tirées des enregistreurs. « Il y a une différence nette entre les pires et les meilleurs. Si l’on compare les 10 % des meilleurs conducteurs et les 10 % parmi les pires, on observe une différence considérable », indique M. Morency. On note 16 fois plus d’accélérations ou de freinages brusques parmi les conducteurs du second groupe.

La quantité énorme de données obtenues par l’assureur lui permet d’améliorer de manière considérable son évaluation du risque en assurance auto, dit M. Morency. « Cela crée un univers de possibilités. En matière de gestion des comportements, la donnée fournie est cruciale pour nous, mais aussi pour le client. »

80% ont vu leur prime baisser

L’Industrielle Alliance a été le premier assureur à offrir la télématique en assurance auto au Québec. Environ 80 % de la clientèle de Mobiliz a vu sa prime baisser, depuis relate M. Laurin, qui est aussi président du conseil d’administration du GAA. Le client reçoit un rapport de sa conduite sur une base hebdomadaire. De plus, la prime est révisée sur une base mensuelle. Cette mise à jour en temps réel contribue réellement à modifier les comportements, note M. Laurin. Parmi les jeunes conducteurs, trois sur quatre améliorent leurs comportements de conduite d’un mois à l’autre.

Autre moyen incitatif offert par Mobiliz : la plateforme permet de comparer les résultats du conducteur à ceux de l’ensemble de la communauté. Sur le même principe que le jeu vidéo en ligne, où le consommateur est en concurrence avec d’autres joueurs, cette solution incite le conducteur à s’améliorer pour être au-dessus de la moyenne obtenue par le groupe. « Nous avons changé la relation entre l’assureur et son client », conclut M. Laurin.

La télématique crée évidemment un environnement qui favorise l’antisélection, phénomène bien connu chez les assureurs, reconnait M. Barbeau, d’Intact. Les mauvais conducteurs, responsables des réclamations les plus couteuses, ne sont pas incités à adopter le système, sachant à l’avance que leur prime ira en augmentant.

« Nous adoptons la même approche que la SAAQ, en cherchant à influencer le comportement des nouveaux conducteurs », souligne M. Laurin. La solution ressemble au tarif demandé par les fournisseurs de téléphones sans fil. Les jeunes adultes de 18 à 30 ans sont habitués de voir évoluer mensuellement leur facture en fonction de l’utilisation du produit.

« Des clients nous appellent chaque semaine après avoir consulté leur bilan de conduite en ligne, et ils sont certains que le capteur de leur véhicule est défectueux », ajoute M. Barbeau.

Le même phénomène est observé chez Desjardins, note M. Morency. Les progrès de la technologie permettront de réduire les couts d’implantation du programme. L’amélioration du bilan routier devrait permettre de réduire les couts de sinistralité, mais la facture des primes sera répartie autrement entre les assurés, poursuit-il.

Un outil de fidélisation

Les trois assureurs pensent que l’implantation de la télématique permet de fidéliser les clients. M. Morency note qu’une étude menée par l’assureur américain Progressive, par l’entremise du programme Snapshot, confirme la tendance : plus le rabais offert se prolonge dans le temps, meilleure est la rétention du client.

Pour l’instant, les données fournies par les outils télématiques sur la conduite appartiennent au client, et elles ne sont pas encore transférables d’un assureur à l’autre. La fréquence du freinage brusque est un bon indicateur de la distraction du conducteur, et elle est souvent reliée à l’usage du cellulaire ou de la messagerie texte au volant, selon M. Laurin.

Quel est l’avantage pour les assureurs d’implanter une technologie couteuse qui fait probablement baisser leurs revenus? Michel Laurin indique que le produit augmente la valeur de la marque de l’assureur. Stéphane Morency souligne que l’innovation est toujours bien vue par les consommateurs dans un marché où les assureurs ont la réputation de former un milieu très conservateur. Patrick Barbeau ajoute qu’en matière de gestion du risque, la possibilité de distinguer les consommateurs en fonction de leur comportement au volant représente une information de grande valeur pour l’actuaire. De plus, le client comprend de manière intuitive que le produit d’assurance couvre exactement le risque qu’il représente.

Patrick Barbeau précise que le marché du Québec est très bien vu, comparativement aux autres provinces, pour la qualité de la couverture offerte dans le marché de l’automobile. La résistance à l’innovation en assurance automobile est plus forte dans les autres provinces, dit-il.

En Ontario, les consommateurs magasinent davantage leur assurance en ligne que ne le font les Québécois, mais ils sont bien plus méfiants envers les assureurs, note Stéphane Morency. Chaque changement règlementaire est longuement discuté en Ontario, où l’assurance auto est un thème récurrent lors des campagnes électorales.