Le grand transfert intergénérationnel de richesse est déjà en cours au Canada. En 2023, CIBC estimait que 100 milliards de dollars avaient déjà changé de main au cours des 24 derniers mois. En 2025, Banque Scotia prévoit que de 120 à 150 milliards de dollars supplémentaires seront transférés ces deux prochaines années.

Une partie de cet argent risque toutefois de tomber dans les poches de bénéficiaires qui ne sont pas préparés et n’ont pas le support de professionnels de la planification pour bien gérer les sommes reçues et en minimiser les impacts fiscaux. 

Selon la Boussole Financière 2025 de la firme de recherche marketing Léger, tirée d’un sondage réalisé en ligne à travers le pays entre le 7 et le 20 juillet, 48% des gens interrogés n’ont pas de conseiller financier et 42% n’ont pas de stratégie financière. Or, 56% s’inquiètent de commettre des erreurs avec leur argent. 

Autre donnée tirée de cette enquête : « seulement » 27%  des personnes prévoyant donner un patrimoine ou hériter d’une somme importante ont l’intention de demander des conseils.  

Savoir à quelle génération appartient son client 

Aurèle Courcelles

« Ce que me dit d’abord ce sondage, c’est qu’il faut toujours connaître son client, à quelle génération il appartient et quelles sont ses valeurs », dit Aurèle Courcelles, vice-président, planification fiscale et successorale, chez IG Gestion de Patrimoine en entrevue avec le Portail de l’assurance.

« Les gens en 2025 ont tendance à faire leurs propres recherches sur internet, et à moins consulter un conseiller et lui être moins fidèle. Mais quand vient le moment de la décision, 53% préfèrent la prendre en personne, car ils tiennent à l’élément humain que ne peut leur apporter la technologie. »

« ll y a plusieurs années, on prétendait que les gens allaient moins se fier aux conseillers parce que la technologie avançait, poursuit-il. Elle avance encore, mais le conseiller est toujours là. Plusieurs sondages démontrent que les clients perçoivent une valeur dans les conseils humains qui leur sont donnés par des professionnels. » 

La confiance envers l’IA  

D’ailleurs, la Boussole indique que 28% des répondants envisageraient les conseils financiers provenant de l'intelligence artificielle (IA). Pour Aurèle Courcelles, cette réponse montre que les gens ne sont pas encore rendus au point où ils accordent toute leur confiance aux suggestions faites par l’IA. 

Même s’il est d’avis que l’IA va continuer d’évoluer à vitesse grand V au cours des prochaines années, M. Courcelles ne pense pas que le conseiller humain sera un jour totalement remplacé par la machine ou le robot.

« Est-ce qu’on va toujours se cacher dans notre sous-sol ou notre bureau, ne jamais en sortir et se fier uniquement à ce qu’on lit à notre écran, se demande-t-il. Moi, je ne le vois pas. » Il souligne l'aspect émotionnel et intuitif des individus. « Peut-être que je ne suis pas à l’aise de prendre plus de risques, mais l’IA ne pourra pas s’en apercevoir », illustre-t-il. 

L’importance des valeurs dans les placements 

La Boussole Financière 2025 fait ressortir l’importance des valeurs personnelles dans le choix des plus jeunes générations : 80% souhaitent un accompagnement financier aligné sur leurs valeurs personnelles et 55% privilégient les investissements dans des entreprises socialement responsables.  

Ces valeurs peuvent être environnementales, politiques ou encore économiques. Des gens refuseront que leur argent soit placé, par exemple, dans l’armement, le tabac ou le pétrole. 

Les valeurs ont toujours été importantes, commente Aurèle Courcelles, « mais on le souligne beaucoup plus que dans les sondages antérieurs. Le conseiller doit connaître ses clients, monsieur et madame, pour savoir quelles sont leurs préoccupations et leurs valeurs afin de pouvoir bien les conseiller et les garder comme clients. » 

Son interprétation du sondage va plus loin : « si les clients ont l’impression que le conseiller ou la conseillère ne donne pas des conseils qui sont 100 % compatibles avec leurs valeurs, ils vont chercher ailleurs. » 

Un fait que confirme l’étude de Léger : 70% des héritiers changent de conseiller dans l’année, non pas à cause des frais ou des rendements, mais parce que leurs valeurs ne sont pas alignées avec lui. 

C’est un changement avec le passé, selon M. Courcelles. Il y a 35 ans, dit-il, l’accent était mis sur le rendement. L’enquête montre qu’aujourd’hui, les clients cherchent un partenariat avec leur conseiller qui comprend leurs valeurs et va leur offrir des conseils qui vont largement dépasser les placements et leurs rendements.

Les nouvelles générations ne se contentent pas de constituer des portefeuilles, mentionne le sondage. Elles expriment leur identité ; deux tiers des milléniaux (génération Y) affirment que leurs décisions financières diffèrent « considérablement » de celles de leurs parents. 

Un portefeuille qui change de main et de génération 

L’enquête indique aussi que 32% des membres de la génération Z (Gen Z) et 33% des millénaux ont déjà reçu un héritage. Toutefois, ils sont 1,4 fois moins susceptibles d’avoir un conseiller financier et 1,6 fois moins susceptible d’avoir une stratégie financière

« C’est très inquiétant, commente Aurèle Courcelles. C’est quoi la meilleure utilisation que tu feras de cet argent, [si, en plus,] tu n’as plus tes parents vers qui te tourner pour avoir des conseils ? » 

Cet expert en patrimoine insiste donc sur l’importance de développer une relation avec les enfants des donneurs dans une optique de transfert de clients et de génération. 

Selon lui, un bon planificateur ou conseiller devrait prendre le temps avec son client de revoir son testament et son plan financier, et avoir des discussions visant à savoir à qui il veut laisser ses biens et ses placements. Ça ouvre la porte à développer une relation avec le fils, la fille, qui ne sont pas vos clients nécessairement, dit-il. « Peut-être le deviendront-ils grâce à ce contact? Si on n’a jamais rencontré les enfants, quelles sont les chances qu’ils veuillent faire affaire avec nous? », se demande-t-il. 

Un portefeuille qui change de main et de génération, c’est une clientèle naturelle pour les conseillers financiers, selon M. Courcelles.

D'autres chiffres tirés de la Boussole Financière 2025 

  • La majorité (61%) des Canadiens ont l’intention de donner, mais beaucoup le font sans planification. De plus, 14% ont déjà donné. 
  • Près de la moitié des Canadiens (45%) ont déjà reçu un héritage, et 35% prévoient en recevoir un.
  • 32% des femmes s’attendent à recevoir un héritage. 
  • Les héritages sont donnés et reçus souvent sans accompagnent. Par exemple, un quart des donateurs disent qu’ils géreront tout eux-mêmes, et la même proportion l’a déjà fait. 
  • 89% des Canadiens qui prévoient donner le feront par le biais de leur testament. 
  • 63% des Canadiens s’éloignent des décisions financières parentales.