Il y a quelques années à peine, lorsqu’un employé quittait le travail pour invalidité, il arrivait qu’il ne revienne jamais. Aujourd’hui, les progrès de la médecine sont tels que bien des malades retournent au travail. Or, des employeurs oublient souvent de se préparer à les accueillir.Catherine Chevrette est présidente de Ressources humaines Delta. Le 15 mai dernier à Mont-Tremblant, au 15e colloque de Solareh, elle a donné des trucs pour réussir la recette du retour au travail après une longue période d’invalidité.

Elle a d’abord raconté une anecdote qui a immédiatement détendu l’atmosphère. Un jour, constatant que son client voyait de nombreux travailleurs obtenir un congé de maladie en consultant toujours le même médecin, elle décide de mener une expérience. « Un matin, je ne me suis pas coiffée ni maquillée, et je me suis habillée de manière négligée. J’ai attendu de voir ce médecin à la clinique sans rendez-vous. Quand j’ai fini par le voir après trois heures et demie d’attente, j’ai répondu comme il le fallait à ses questions. Ça a pris 6 minutes avant qu’il ne me signe un papier de congé pour 8 semaines, avec une médication suffisante pour assommer un cheval. Et il ne m’a jamais regardée. »

Selon elle, ces médecins qui doivent voir 100 patients la même journée n’ont pas vraiment le temps d’étudier le dossier du demandeur avant de diagnostiquer un problème de santé mentale. Comme ces absences pour santé mentale sont de plus en plus longues, il est impératif pour l’employeur d’assurer le suivi des dossiers le plus rapidement possible.

Mme Chevrette recommande aux employeurs de ne pas trop attendre pour lancer les démarches de suivi lors d’un congé de maladie, surtout pour des maladies graves qui risquent de prolonger l’invalidité. Assez rapidement, le congé de courte durée (17 semaines) se transforme en longue durée et le temps de traitement chez les assureurs est souvent plus long, car ces dossiers sont complexes.

Hausse des couts

Les couts des régimes d’invalidité et de protection du revenu sont en augmentation constante, tout comme les pertes de productivité. Selon l’Institut national de recherche et de gestion de l’incapacité au travail, en tout temps de 8 % à 12 % de la main-d’œuvre au Canada est absente du travail à cause d’une blessure ou d’une maladie. Catherine Chevrette prédit que d’ici 2020, on atteindra 15 % d’absence.

Selon elle, plusieurs facteurs expliquent l’augmentation du taux d’absentéisme de longue durée : le stress lié aux changements technologiques, les réorganisations administratives, le vieillissement du personnel et, aussi, les nécessités de la conciliation travail-famille. Dans ce cas-ci, ce n’est pas seulement la relation entre le parent et son jeune enfant, mais aussi entre le travailleur et son parent vieillissant et en perte d’autonomie.

Selon la Commission canadienne des droits de la personne, le nombre de plaintes qui surviennent à la suite du retour au travail après une absence prolongée est en hausse. Mme Chevrette constate que ce genre de cas survient tous les mois, alors qu’elle ne s’occupait que de quelques dossiers par année auparavant. C’est ce constat qui l’entraine à traiter deux aspects principaux de l’absence prolongée : les principes juridiques et la recette du retour au travail réussi.

Catherine Chevrette présente les trois principes juridiques fondamentaux associés à l’absence prolongée. Le premier, qui est le plus lourd de sens, est que l’employé est protégé contre toute discrimination en lien avec les limitations fonctionnelles qui découlent de sa période d’invalidité. Si le travailleur n’a pas eu de contacts avec son employeur durant toute sa période d’invalidité, il est fort probable qu’il accueille plus froidement les nouvelles responsabilités qu’on veut lui confier.

Ce principe est en amont du second : l’obligation d’accommodement. L’employeur est tenu d’offrir un poste qui convient aux aptitudes de son travailleur qui revient au boulot. Mais cette obligation ne doit pas entrainer pour lui de contraintes excessives.

Autre élément important : les droits de l’employé concernant sa vie privée, avant, pendant et après l’absence sont toujours les mêmes. L’employeur doit se débrouiller comme il le peut et sans harcèlement pour obtenir l’information dont il a besoin pour gérer les limitations fonctionnelles ou la capacité résiduelle de son employé qui retourne au boulot.

« Aussi est-il nécessaire que vous utilisiez un intermédiaire, par exemple le médecin qui collabore avec l’assureur de votre régime, pour entrer en contact avec le médecin qui suit votre employé. Ces gens sont capables de se parler et d’échanger de l’information sans que ça soit considéré comme une atteinte à la vie privée. »

Parfois, il arrive que la recette tourne mal. Le défi est de trouver le juste équilibre entre le droit de l’employeur à gérer le milieu de travail productif et le droit fondamental de l’employé à l’égalité, à la dignité et au respect de sa vie privée. « Le but de la recette que je propose ne consiste pas à remplacer les politiques internes à l’entreprise, mais de montrer que la communication transparente favorise la gestion efficace du dossier et le dénouement le plus intéressant pour les parties impliquées », note-t-elle.

L’information

Le premier ingrédient essentiel à la réussite du retour au travail est la nécessité pour l’employeur de recueillir l’information, afin de bien évaluer la situation. « Quand vous prenez des vacances, illustre-t-elle, plus la durée est longue et plus votre retour au travail sera difficile. Ça vous prend plus de temps à retrouver votre productivité habituelle. Pourquoi ça serait différent pour l’employé qui rentre au travail après une longue invalidité ? », dit-elle.

Ce contact peut être établi par l’entremise du supérieur immédiat, par exemple en invitant l’employé absent lors des activités sociales de l’entreprise ou lors d’une fête pour souligner le départ à la retraite d’un collègue. « Tenez la personne au courant de ce qui se passe dans l’entreprise. Elle ne pourra peut-être pas venir au 5 à 7, mais elle sera contente que vous l’ayez invitée. »

Dès le début de l’absence « et non pas à deux jours du retour au travail », dit-elle, il importe que l’employeur crée le dossier dans lequel sera compilée toute l’information médicale touchant l’absence. Ainsi, il sera plus facile de déterminer quel poste on pourra confier à l’employé à son retour, surtout dans le cas où l’invalidité a créé des limitations fonctionnelles. « Ne vous gênez pas pour demander à l’employé son autorisation pour que vous puissiez obtenir les renseignements sur son dossier médical ou sa santé. » Bien entendu, il importe de préserver la confidentialité de l’information. Cela n’est pas toujours facile, convient-elle, surtout dans les PME où c’est souvent la même personne qui gère les dossiers d’invalidité, les ressources humaines et le service de la paie. Ce risque de divulgation de renseignements personnels peut nuire à la réussite du retour au travail, insiste-t-elle.

En obtenant de l’information sur la nature de l’invalidité et les limitations de l’employé, si celles-ci existent, l’employeur sera mieux outillé pour offrir un poste correspondant aux aptitudes de son travailleur.

Le personnel médical

Le deuxième ingrédient est la consultation du personnel médical et des professionnels de la santé. L’employeur a le droit d’obtenir les renseignements à caractère médical sur l’état de santé, le pronostic du rétablissement et les aptitudes au travail, si celles-ci ont été modifiées par la maladie.

Dans ce contexte, il arrive que l’employeur doive se résoudre à demander un examen médical indépendant, ce qui peut être particulièrement délicat, notamment pour les cas d’invalidité pour cause de maladie mentale. Elle insiste : l’employeur ne peut demander un examen médical simplement parce qu’il craint une récidive ou l’aggravation éventuelle de la maladie de l’employé.

Dans les entreprises syndiquées, il est aussi requis de consulter les représentants syndicaux, tant pour préparer le milieu de travail que pour planifier les accommodements requis. C’est le troisième ingrédient de la recette. « Ce sont souvent ces gens qui maintiennent des contacts avec votre employé durant son invalidité. »

Les syndicats ont le devoir de collaborer à la recherche de solutions permettant d’accommoder l’employé qui rentre au travail, ajoute-t-elle. Même si les mesures d’adaptation peuvent entrer en conflit avec les dispositions de la convention collective, la jurisprudence montre que les tribunaux donnent la préséance au droit du travailleur de reprendre le travail après son absence prolongée. L’employeur doit néanmoins s’efforcer de respecter la convention collective. « Mais l’ancienneté ne joue plus dans ces cas-là », dit-elle.

Les accommodements

Il est nécessaire d’examiner toutes les possibilités d’accommodement en présence de l’employé et des autres intervenants, que ce soit la CSST ou l’assureur, note Catherine Chevrette comme quatrième ingrédient de la recette. L’employeur doit soumettre ses recommandations à l’employé, afin que ce dernier sache et sente que son retour au travail est souhaité.

Droit de refus

Si l’absence découle d’une incapacité couverte par la CSST, le processus est plus ouvert, confirme-t-elle. Par contre, l’employé peut refuser la première expertise qui touche son incapacité, mais s’il refuse le poste offert par l’employeur, la CSST peut cesser de verser les indemnités. Elle rappelle que les communications se font de manière écrite avec la CSST, mais surtout verbalement avec l’assureur du régime.

Enfin, la mise en œuvre des mesures d’adaptation est le cinquième ingrédient. C’est bien de prévoir le retour au travail, mais si l’employé doit attendre des semaines avant que l’équipement dont il a besoin pour réaliser ses tâches soit disponible, cela peut créer un climat malsain.

Malgré toute cette bonne volonté, il arrive parfois que la situation devienne trop complexe, par exemple si l’employé refuse de donner son autorisation à l’employeur, ou s’il refuse de se soumettre à un examen médical indépendant. Si l’employé a été continuellement informé des intentions de l’employeur à son endroit, il est rare qu’il refuse les accommodements proposés. Ultimement, l’employeur peut malgré tout déterminer que le retour au travail comporte des contraintes excessives pour son organisation.