Selon Charles Morin, il est impératif de ne plus banaliser l’impact des troubles du sommeil sur la productivité en entreprise. Ce professeur de psychologie confirme les conséquences de l’insomnie. Il suggère des moyens pour y remédier.
M. Morin, directeur du Centre d’étude des troubles du sommeil de l’Université Laval, est aussi titulaire d’une chaire de recherche du Canada et a écrit plusieurs livres sur le sujet, dont « Vaincre les ennemis du sommeil ». Il était conférencier au Congrès sur l’assurance et l’investissement, dans une session destinée aux spécialistes des régimes collectifs.
Après 30 années de recherche sur la thématique des troubles du sommeil et de l’insomnie, M. Morin avoue ne pas avoir encore trouvé la solution complète. Il souligne que l’insomnie n’est qu’une des 80 pathologies reliées au sommeil.
Un pilier de la santé durable
« Le sommeil est en fait l’un des trois piliers pour une santé durable, aussi important que la saine alimentation et le besoin d’être actif physiquement. Le sommeil joue un rôle vital pour la santé psychologique, physique et même intellectuelle », dit-il.
Le facteur le plus important sur la qualité et la durée du sommeil est l’âge, insiste M. Morin. L’insomnie existe non seulement chez les jeunes et les moins jeunes, mais aussi chez les personnes très âgées. La prévalence de l’insomnie augmente en vieillissant, dit-il.
La nuit de sommeil adéquate est de sept à huit heures pour l’adulte. Certaines personnes ont besoin de dormir de neuf à dix heures et d’autres arrivent à fonctionner avec seulement cinq à six heures de sommeil.
« Très peu de gens peuvent fonctionner avec seulement cinq heures par nuit. Plusieurs aiment se le faire croire. Dès le moment où ils ont l’occasion de faire la sieste, on les perd rapidement », dit-il.
L’équipe du professeur Morin a participé à une enquête menée par Angus Reid en mai 2016, faite à la demande des Producteurs laitiers du Canada. Selon le sondage, 59 % des adultes disaient être en manque de sommeil.
Les deux tiers des répondants disaient vouloir une meilleure qualité de sommeil. « Mais en dépit du fait que les gens manquent de sommeil et veulent une meilleure qualité de sommeil, il y en a quand même 71 % qui disent que c’est la première chose qu’ils vont sacrifier quand ils manquent de temps », souligne Charles Morin.
Les gens qui souffrent le plus de la privation de sommeil sont ceux qui travaillent de nuit, et qui essaient de dormir le jour. « Nous sommes faits pour dormir la nuit », confirme M. Morin.
On estime que les travailleurs nocturnes dorment l’équivalent d’une nuit en moins par semaine que les travailleurs diurnes. « Il s’agit des gens qui sont dans la quarantaine ou la cinquantaine. À 20 ou 30 ans, il est beaucoup plus facile de s’adapter à des horaires atypiques », ajoute-t-il.
Les impacts
La conséquence première du manque de sommeil est la fatigue. La somnolence excessive guette la personne qui est en grande privation de sommeil. On peut cumuler une dette de sommeil en ne dormant pas le nombre d’heures dont on a besoin. « Plusieurs peuvent récupérer la fin de semaine en faisant une longue sieste ou en se levant plus tard le matin. Ça peut aller jusqu’à un certain point », dit-il.
Si on n’arrive pas à récupérer, les problèmes surviennent : fatigue, baisse de l’énergie, problème d’attention, humeur volatile, etc. « On peut passer d’un état d’irritabilité à un état d’euphorie lorsqu’on est en grande privation de sommeil », précise M. Morin.
Les courts dormeurs sont à risque accru d’avoir des problèmes d’embonpoint. Il confirme la véracité du dicton « Qui dort dine ». La nuit, on produit une substance qui nous aide à contrôler notre appétit. Si on dort moins, on en produit moins. On a donc tendance à manger davantage.
L’impact du manque de sommeil ne doit pas être négligé non plus lorsqu’on pense à la sécurité publique. Après des années à mener des campagnes sur l’alcool au volant, la vitesse ou la distraction causée par le téléphone mobile, la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) encourage maintenant les conducteurs à s’arrêter s’ils sentent la fatigue.
Il ne faut pas négliger l’effet du rythme biologique. La température du corps humain baisse entre 3 heures et 6 heures du matin, ce qui affecte aussi la vigilance. « Si on a le choix, on ne devrait pas se présenter à l’urgence la nuit », lance-t-il en souriant.
La vigilance est grandement perturbée par la fatigue, ce qui augmente les risques d’accident. On a mesuré en laboratoire la performance à réaliser des tâches cognitives à l’ordinateur en fonction du nombre d’heures d’éveil. Jusqu’à 18 à 20 heures d’éveil en continu, la performance est encore relativement bonne. Après cela, on note que la performance se détériore très rapidement. Pour une personne éveillée depuis plus de 21 heures, la performance est équivalente à celle d’une personne qui a un taux d’alcoolémie qui dépasse la limite légale pour conduire.
Développer de saines habitudes de sommeil
M. Morin insiste sur la nécessité d’adopter de saines habitudes reliées au sommeil. Il recommande aux insomniaques de compresser leur fenêtre de sommeil. S’ils dorment seulement six heures sur les huit heures passées au lit, on leur demande de restreindre cette fenêtre de sommeil à six heures par nuit.
En faisant cela, on se trouve à augmenter la pression physiologique de dormir. Au lieu de se demander si elle sera capable de dormir, la personne pense plutôt à ce qu’elle devra faire pour rester éveillée jusqu’à minuit, ce qui a un effet paradoxal.
La chambre à coucher n’est pas un quartier général
Sans oublier son utilisation pour les activités sexuelles, Charles Morin insiste sur la nécessité de réserver la chambre à coucher pour le sommeil. « Beaucoup de gens font de leur chambre à coucher un quartier général, un endroit privilégié pour résoudre les problèmes, pour planifier la journée du lendemain. Il ne faut pas faire cela », dit-il.
Les écrans sont à proscrire, incluant la télé, et on ne doit pas avoir accès aux appareils électroniques (téléphone, tablette). À moins de trois heures du coucher, la caféine est proscrite tout comme la consommation d’alcool.