Manon Labrie, présidente d’un petit cabinet de courtage d’assurances de dommages qui avait diversifié ses opérations en investissant dans l’immobilier, s’en mord aujourd’hui les doigts. La découverte d’un très grave vice caché dans un immeuble qu’elle avait acheté il y a quatre ans l’a contrainte à déposer son bilan, entraînant dans la faillite les actifs qu’elle possédait dans le domaine de l’assurance, même si ses activités de courtière en assurance n’y étaient pour rien. 

Selon des documents consultés par le Portail de l’assurance, le passif des Assurances Manon Labrie s’élevait à 326 531 $ et ses actifs à 320 000 $ liés à l’immeuble en cause. Mais dans les faits, comme la bâtisse est atteinte du « cancer du bâtiment », elle ne vaut presque plus rien. Elle pourrait même être démolie si elle est jugée irrécupérable.

Parmi ses créanciers non garantis, on relève une marge de crédit de 18 173 $ à la Caisse populaire Desjardins de Rivière-du-Loup, 27 682 $ au CLD de Montmagny, 46 371 $ chez Visa Desjardins ATTN Centre de perception Accord D et 30 000 $ aux anciens propriétaires à qui elle avait acheté l’immeuble.

Son principal créancier garanti est la Caisse populaire Desjardins de Rivière-du-Loup qui avait financé le prêt hypothécaire. Cette créance s’élève à 192 458 $. C’est aujourd’hui cette institution qui se retrouve avec la patate chaude en raison de la faillite. 

Une femme aux intérêts très variés 

Manon Labrie est la fondatrice du cabinet d’assurances qui portait son nom. Elle a connu son lot de déconfitures dans le domaine de l’assurance, a-t-elle dit au Portail de l’assurance en entrevue. 

Deux fois dans sa carrière, ses contrats avec des assureurs ont été résiliés : la première fois avec Promutuel Bellechasse pour laquelle elle a été agente autonome durant 10 ans, la deuxième fois avec Assurances générales Desjardins à Rivière-du-Loup, où elle avait été agente exclusive en opérant sous le nom des Assurances Manon Labrie. Après une série de mauvaises expériences, elle dit en avoir ras le bol des compagnies d’assurance et ne croit plus revenir dans ce domaine dans le futur. 

« J’ai eu mon cabinet pendant 25 ans, un bel accomplissement. J’ai ouvert le territoire du Bas-Saint-Laurent durant sept ans pour ensuite fermer mon bureau en octobre 2020 (…). Je suis investisseuse en immobilier à temps partiel », se décrit-elle sur sa page LinkedIn

Ce sont justement ses investissements dans l’immobilier par l’entremise de son cabinet d’assurances qui ont causé sa perte.

Un immeuble avec un grave problème caché 

Elle avait acheté un quatre logements à L’Islet-sur-Mer, dans Chaudière-Appalaches, en 2019, ainsi que deux condominiums locatifs en 2020. Elle a revendu les condos avec succès, mais quand elle a voulu en faire autant avec l’immeuble en 2024, l’inspection a démontré la présence de la mérule pleureuse, un champignon qui ronge la structure en bois au point de la détruire. Un des logements était attaqué. Un entrepreneur a évalué les travaux de rénovation entre 200 000 $ et 250 000 $, mais l’immeuble pourrait aussi être considéré comme une perte totale selon l’évolution de la mérule, ce qui le rend invendable. 

Dans cette affaire, Manon Labrie met en cause le courtier immobilier qui avait le mandat de vendre le bâtiment et qui lui avait mis beaucoup de pression, ainsi que son propre inspecteur qui n’avait pas relevé la présence de la mérule. Les graves problèmes qu’elle a vécus dans ce dossier l’ont aussi désillusionnée sur l’immeuble comme source d’investissements.

« Les Assurances Manon Labrie ont mis 55 000 $ et j’ai fait installer quatre portes neuves, ce qui m’a coûté 10 000 $ de plus. Je n’ai pas déposé mon bilan parce que ça me tentait, mais il aurait fallu que je paie pour les expertises des dommages et que je sorte un autre 15 000 $ à 20 000 $, a-t-elle confié au Portail de l’assurance. Je me suis dit que c’était assez. Pour m’en sortir, je suis allé voir un syndic de faillite. Je perds la bâtisse et mon investissement que je voyais comme une partie de mon fonds de pension. Je pleurais ma vie. À 63 ans, je perds tout. » 

Contamination de ses actifs 

Son autre grande erreur avait été de ne pas séparer ses acquisitions dans l’immobilier des Assurances Manon Labrie. Elle aurait dû créer une autre compagnie, dit un expert consulté par le Portail de l’assurance, ce qu’elle n’a pas fait. Elle a plutôt contaminé ses actifs en finançant une partie de l’immeuble avec l’argent de sa compagnie de gestion dont faisait partie son cabinet même s’il avait abandonné les assurances depuis quelques années.

De l’avis de cet expert, Madame Labrie aurait dû créer une compagnie avec laquelle elle aurait fait ses acquisitions dans l’immeuble. Quand les choses ont mal tourné avec cet achat, elle aurait pu liquider cette entreprise sans toucher aux Assurances Manon Labrie.

Pire encore, selon la façon dont le dossier évoluera, elle s’expose à devoir choisir entre une proposition de consommateur ou déclarer faillite de façon personnelle. 

Elle garde un goût amer de cet « investissement ». « Mon ambition, nous a-t-elle dit, c’était de me monter un portefeuille d’immeubles. L’immobilier, dit-elle, c’est terminé pour moi. Quand on suit des cours, ils te vendent du rêve. Mais ce n’est que du rêve. »

« Ceux qui font de l’argent dans l’immobilier, ce sont les vrais initiés qui ont une expertise dans ce domaine. Ceux qui se lancent dans ce genre d’aventure avec une espérance de profits en faisant cela à temps partiel sont souvent des brebis sacrifiées sur l’autel », commente une source bien au fait de ce dossier. 

De l’assurance aux excursions sur le fleuve 

Malgré cette série de déconfitures qui en auraient conduit plus d’une personne à la dépression, Manon Labrie fait preuve d’une résilience peu commune.

« Je ne veux pas rester prise dans ce cheminement, dit-elle. Même si je me mets la tête dans le sable, je ne peux rien y changer. Je continue d’avancer. » 

Après avoir pris sa retraite du milieu de l’assurance, elle s’est lancée dans une nouvelle aventure en 2023 : elle offre des excursions en Zodiac sur le fleuve depuis la marina de Rivière-Ouelle. Le nom de son entreprise, Les Excursions de la Providence, vient de l’île de la Providence, située dans l’archipel de Kamouraska, dont son père fut déjà propriétaire. « Capitaine Manon », comme elle se fait surnommer, a beaucoup navigué dans ce secteur quand elle était jeune. Elle y amène aujourd’hui des touristes à qui elle fait découvrir son ancien milieu naturel sur le Saint-Laurent. 

« Ma passion a toujours été la navigation, dit-elle sur son site web. J’ai travaillé 25 ans dans le domaine des assurances, et là-dessus je dois avoir passé plus d’une dizaine d’années à rêver de ce projet. Aujourd’hui, c’est un rêve qui devient réalité. » 

 Manon Labrie a abandonné le secteur de l’assurance et possède aujourd’hui son entreprise d’excursions en Zodiac dans l’archipel de Kamouraska. Elle est au volant de son bateau pneumatique.