Les marchés de la classe moyenne et des familles au Canada sont mal desservis. Pourtant, les Canadiens affirment qu’ils veulent — et qu’ils manquent — d’assurance vie. Parallèlement, le bassin de talents de l’industrie vieillit et se rétrécit. 

Autre constat : le nombre de polices d’assurance vie vendues ne suit pas la croissance démographique. Si les primes moyennes augmentent, le volume des contrats vendus diminue. Ce constat a été au cœur d’un panel tenu le 30 septembre à Toronto, dans le cadre du Canada Sales Congress, organisé par les Éditions du Journal de l’assurance

Les dirigeants réunis ont souligné que si l’industrie déplaçait une partie de son attention du marché des clients à valeur nette élevée (HNW pour high net worth en anglais), l’écart de couverture — et l’occasion d’affaires correspondante — serait considérable. Aujourd’hui, 31% des Canadiens sont non assurés ou sous-assurés, rappelle Cathy Hiscott, présidente et chef de la direction de PPI

« Nous avons devant nous une immense occasion de marché, affirme-t-elle. Nous avons aujourd’hui plus de moyens que jamais pour offrir des solutions aux Canadiens : 31% d’entre eux affirment vouloir souscrire une assurance ou en obtenir davantage. L’opportunité est là, sous nos yeux. »

[L'extrait du congrès qui suit et les extraits suivants sont en anglais.]

Des obstacles à l’entrée 

Les panélistes reconnaissent toutefois que le bassin de talents n’est pas suffisant pour répondre à cette demande. Et que l’industrie n’est pas réputée pour faciliter l’entrée de nouveaux conseillers. 

S’il est vrai que les conseillers expérimentés peuvent facilement trouver du soutien, ce n’est pas toujours le cas des nouveaux entrants, qui sont souvent livrés à eux-mêmes. Comme le souligne George Sigurdson, président et conseiller en sécurité financière chez Sigurdson Financial Group Inc., aucune autre industrie au monde ne partage librement toutes ses idées de vente au sein des réseaux de distribution. « C’est ce qui rend ce milieu absolument unique. » 

Shawn Redford, chef du développement des affaires chez Experior Financial Group, dit observer une forte disparité dans l’accompagnement des conseillers. 

« Il y a une courbe en cloche : les 10% de meilleurs conseillers sont traités comme de l’or et reçoivent les plus hautes rémunérations. À l’autre bout du spectre, d’autres sont laissés seuls sur une île. Ils sont isolés et ils s’épuisent, parce que toutes les occasions de revenus reposent sur leurs épaules. » 

Il affirme que seulement 8% des conseillers demeurent en poste plus de sept ans. 

« La demande pour nos services augmente, mais le nombre de conseillers diminue. Il faut faire mieux, » ajoute Barry L. Dayley, président du conseil d’administration de l’International Association of Registered Financial Consultants (IARFC) et président du cabinet américain Money Concepts. « Nous devons trouver comment faire entrer de jeunes talents dans la profession, leur offrir une expérience positive et les intégrer auprès des professionnels en place. »

Une profession exigeante 

Même en facilitant l’accès à la profession, le métier de conseiller en assurance nécessite un profil particulier. 

« Penser que tout le monde peut faire ce métier est une erreur, » affirme Jim Ruta, conférencier et coach. « Ce n’est pas un emploi facile. Il faut des gens qui y croient et qui croient en la sécurité financière. » 

Ce n’est pas qu’un travail, poursuit-il : « Il faut aimer ses clients, avoir une passion pour les gens, pour l’aide qu’on leur apporte. Et tout le monde n’a pas cette passion. » 

Des idées fausses et un marché négligé 

À cela s’ajoute une perception erronée chez les Canadiens : l’assurance vie est souvent perçue comme plus coûteuse qu’elle ne l’est en réalité

Selon Cathy Hiscott, cette confusion vient en partie de l’industrie elle-même : pour maximiser les commissions, certains conseilles privilégient des solutions complexes, alors que des produits simples suffiraient parfois. 

Shawn Redford ajoute que les agents généraux (MGA dans le jargon de l’industrie pour managing general agents en anglais) ignorent souvent le marché de masse, celui destiné à un large public.

« Moi-même, dans ma pratique personnelle, j’ai fini par hausser la barre au fil de ma réussite, explique-t-il. Mais on doit aller à la rencontre des Canadiens là où ils sont, et aujourd’hui, nous ne sommes tout simplement pas assez nombreux pour le faire. » 

Selon lui, la course au haut de gamme pousse plusieurs organisations à délaisser les produits abordables : « Tout le monde se concentre sur les produits vie entière et les clients fortunés. Mais qui parle aux consommateurs de leur endettement, de leurs besoins en gestion de leurs avoirs ou de la police d’assurance vie temporaire qu’une mère monoparentale pourrait souscrire pour protéger sa famille? »

Ce n’est pas rentable... alors peu s’y intéressent, estime-t-il. 

L’attrait des placements 

Avec l’expérience, plusieurs conseillers se tournent vers la vente de produits de placements — une transition rarement réciproque. 

Pour ceux déjà concentrés sur la gestion d’actifs, vendre de l’assurance exige un autre état d’esprit et davantage d’efforts. 

« Quand j’ai commencé chez MetLife en 1991, on m’a appris que la planification holistique était la priorité, raconte Mme Hiscott. Aujourd’hui, cette planification est souvent réduite à la gestion de placements. La protection contre les événements imprévus — décès, invalidité, maladie — passe au second plan. »

La vente trop complexe 

« Si les ventes chutent au Canada et aux États-Unis, c’est parce que c’est devenu trop difficile de vendre une police d’assurance vie. Le processus est trop lourd », soutient Cathy Hiscott. Un conseiller doit suivre autant de règles de conformité pour une prime de 100 $ que pour une prime de 1 000 $, dit-elle. 

Cette lourdeur administrative a poussé de nombreux conseillers à se tourner vers les placements. Les conseillers réclament des produits d’assurance à émission simplifiée, ce qui se compare à un fonds commun, pour combler cet écart de protection. 

Des solutions concrètes : reconnaître et prioriser 

Pour George Sigurdson, une des clés est de ramener des programmes de reconnaissance comme le « Club des 100 », qui récompensaient les conseillers réalisant cent dossiers de vente par année. 

« Il faut redonner aux conseillers le goût du produit. Vendre des fonds communs, c’est simple : on prend une commande. Pour l’assurance vie, il faut aller rencontrer les gens. » 

Autre solution évoquée : rappeler aux équipes que la vente d’assurance vie est une priorité stratégique. 

Dans son cabinet Money Concepts, M. Dayley raconte le déclic survenu il y a quatre ans : « Nous connaissions une croissance annuelle de 30%, mais seulement 2% de nos revenus provenaient de l’assurance vie. Nous avons lancé un programme interne et une récompense pour stimuler les ventes. Quatre ans plus tard, nous sommes passés à une croissance en assurance de 2% à 15%. » 

Une collaboration accrue 

Les banques et les réseaux captifs offrent généralement davantage de soutien et de formation aux nouveaux conseillers que ne le font d’autres acteurs. 

« Nous devons miser sur les partenariats et collaborer, y compris entre MGA concurrents, souligne Cathy Hiscott. Nos assureurs partenaires ont également un rôle important à jouer. » 

« Il faut que le milieu s’organise, lance Jim Ruta. Trouver les bonnes personnes et les former correctement. Des personnes passionnées, qui aiment ce métier. »