Pour Pierre Piché, président et membre fondateur du défunt Regroupement des consultants en avantages sociaux du Québec (RCASQ), la perte de la spécificité de la formation en assurance collective est une catastrophe. Il affirme que c’est le reste du Canada qui devrait relever ses critères au niveau de ceux du Québec, et non qu’on assiste à un nivellement par le bas.

M. Piché est maintenant président du cabinet ASQ Consultant en avantages sociaux. Pour bien illustrer son propos, il a fait un retour dans le passé. M. Piché a commencé dans la carrière en collectif en 1982. À cette époque, dit-il, le droit de pratique en assurance collective n’existait pas, puisqu’il était intégré à celui en assurance vie individuelle.

« Le chapitre dédié à l’assurance collective ne faisait que deux pages. Notre mandat était de vendre le produit d’assurance. Le client nous appelait parce qu’on lui disait que ses primes allaient augmenter. Deux raisons pouvaient l’expliquer. Soit cela avait trait à la mauvaise santé financière de l’assureur, soit c’était les employés de l’entreprise qui étaient en mauvaise santé », dit-il.

Voulant aider davantage ses clients, M. Piché est un jour allé voir son patron pour mieux comprendre les raisons qui faisaient augmenter les couts en assurance collective, mais aussi voir où trouver de la formation dans ce domaine. M. Piché fut surpris de la réponse : aucune formation n’existait. Il a vérifié auprès d’autres compagnies pour valider le tout et il en est arrivé au même constat.

Avec une dizaine d’autres conseillers en assurance collective, M. Piché a quitté son employeur, qui était un assureur, pour s’autoformer. Pour se faire reconnaitre, ils ont aussi tenté des démarches auprès de l’Association des intermédiaires en assurance de personnes du Québec (AIAPQ), ce qu’ils n’ont pas réussi sur le coup. Ces conseillers ont donc créé le RCASQ, dont M. Piché est devenu président.

Le projet de loi 188 est ensuite arrivé et le RCASQ a tenté de faire partie des représentations que l’AIAPQ faisait auprès du gouvernement québécois. Peine perdue là aussi, mais le ministre des Finances de l’époque, Bernard Landry, a tout de même demandé à entendre le RCASQ en commission parlementaire.

Le RCASQ a alors fait valoir deux points : qu’il fallait rehausser la qualité de la formation en assurance collective, mais aussi de créer un espace de pratique professionnel pour le secteur du collectif. Le gouvernement a retenu leur position et a créé la discipline distinctive de conseiller en assurance collective, en plus d’instaurer une formation particulière pour ce secteur.

« Une décision terrible! »

Les modifications au Programme de qualification du permis en assurance vie (PQPAV) viennent balayer ces acquis, dit M. Piché. « Nous en sommes maintenant à une époque où l’ont doit bonifier ce régime, dans le but de mieux conseiller nos clients. On doit accroitre notre spécificité, mais aussi la formation qui va avec. Ce que l’Autorité des marchés financiers veut faire, c’est un nivellement par le bas. L’Autorité a cédé au lobbyisme des compagnies d’assurance en abolissant la formation spécifique en assurance collective. C’est terrible », déplore-t-il.

M. Piché voit dans ce geste un « énorme pas en arrière pour soi-disant faire plaisir au Canada. Le Canada devrait plutôt faire un pas en avant et adopter le modèle du Québec. La population n’en serait que mieux servie ».

Avec la nouvelle mouture du PQPAV, M. Piché affirme que la formation en assurance collective se limitera désormais à la vente d’un produit. Et non à une approche pour pourvoir les besoins d’un client, soit un retour à ce qui se faisait au début des années 1980.

« Un étudiant dentiste n’apprend pas uniquement ce qu’est une dent. Il doit comprendre l’environnement dans lequel elle est. C’est la même chose en collectif. L’assurance collective est intimement liée à des choses comme la masse salariale. Ça doit être adapté au milieu de travail. Il faut comprendre ce qui provoque les couts. L’intervention ne doit pas se faire sur le produit, mais sur ce qu’il y a autour du produit », dit-il.

Craintes pour l’avenir de la profession

M. Piché se dit attristé par ce retour en arrière. Il dit aussi craindre pour l’avenir de la profession.

« Quel message envoie-t-on aux étudiants qui pourraient être intéressés par une carrière en collectif? On leur dit : ayez des compétences dans quelque chose qui ne vous intéresse pas du tout! Il ne faut pas documenter le produit, mais bien l’environnement autour du produit. L’Autorité des marchés financiers passe à côté de la cible complètement. On donnera à l’étudiant une idée que l’assurance collective est un endroit où l’on vend des produits », dit-il.

M. Piché convient qu’on ne peut empêcher la croissance des couts en assurance collective. Il souligne d’ailleurs avoir des clients individuels dont la facture annuelle en médicaments dépasse les 60 000 $.

Travailler pour des peanuts

Il affirme que certains de ses collègues ne font que travailler pour des peanuts. « Ceux-ci ne font que produire un copier-coller du produit de l’assurance collective. Ils demandent aux assureurs de soumissionner sur le produit, sans égard à la découverte des besoins du client autre que de celui de payer temporairement moins chers. Ces collègues réduisent à la plus simple expression la discipline de l’assurance collective. Elle est perçue par eux comme une discipline de vente de produit d’assurance collective », dit-il.

Selon M. Piché, la discipline de l’assurance collective doit être perçue à juste titre comme la discipline d’un environnement d’intervention professionnel. « À ce chapitre, afin que les futurs professionnels de l’assurance collective puissent bien conseiller leurs clients, ils devront découvrir l’environnement de ce produit financier. Donc, la formation d’entrée en carrière devrait être grandement bonifiée », dit-il.

Pour M. Piché, la formation actuelle permet de bien faire comprendre les aspects fiscal et légal liés à un produit. « Il faut faire en sorte que l’industrie va mieux se comporter. Ce n’est pas parce que ça va bien en ce moment qu’il faut dire que ça ira mieux plus tard. Ça pourrait aller moins bien aussi. On pourrait se dire, ce n’est pas si pire, la discipline demeure. Toutefois, si on enlève l’intérêt pour la profession dès la formation, c’est certain que l’intérêt de l’étudiant ne s’y portera jamais », dit-il.

M. Piché ajoute qu’il y a un risque réel que l’assurance collective tombe dans l’oubli ou qu’elle soit banalisée. « On voit une industrie qui veut transiger directement avec le client. On donne tout l’espace à l’industrie et aux assureurs pour dire que la profession de conseiller en assurance collective ne sert à rien. C’est peut-être le message caché dans tout cela. Si l’industrie reconnaissait à sa juste valeur ce qu’apportent les conseillers en assurance collective, nous n’en serions pas là », dit-il.