La pandémie de COVID-19 a eu des effets plutôt positifs sur l’entrepreneuriat au Québec. En 2021, de nombreux entrepreneurs ont adopté les technologies numériques dans leur modèle d’affaires ou ont amélioré leur utilisation, selon le plus récent rapport du Global Entrepreneurship Monitor (GEM).
Le rapport du GEM pour le Québec est produit par les chercheurs de l’Institut national de recherche sur la PME (INRPME) de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) pour une neuvième année consécutive. Au début de novembre 2022, les professeurs Étienne Saint-Jean et Marc Duhamel ont présenté leurs données sur la situation de l’entrepreneuriat en 2021 lors d’un webinaire.
La perception
Le rapport personnel des répondants avec l’entrepreneuriat demeure stable et plutôt faible. Seulement 38,2 % des répondants du Québec, comparativement à 55,8 % dans le reste du Canada (RDC), disent connaître un entrepreneur dans leur entourage. Le Québec se classe à cet égard au 21e rang parmi les juridictions qui participent au GEM. L’écart entre le Québec et le reste du pays se creuse d’une année à l’autre concernant cette perception.
Les Québécois s’estiment moins compétents (46 %) pour devenir entrepreneurs comparativement à leurs concitoyens du RDC (62,8 %). Là aussi, l’écart de perception se creuse d’une année à l’autre.
Depuis 2016, le GEM présente la perception de la facilité à démarrer des entreprises sur les territoires concernés. Au Québec, 74,4 % des répondants disent qu’il est plutôt facile de se lancer en affaires, une proportion nettement plus élevée que dans le RDC (64,4 %). Cette proportion n’était que de 47 % en 2016, ce qui est une importante progression, selon les auteurs du rapport.
Les opportunités
Outre la culture entrepreneuriale et le sentiment de compétence ont un effet sur la création des entreprises, on note qu’il existe trois dimensions centrales pour expliquer le taux de création d’entreprises : les opportunités perçues, la peur de l’échec et l’intention d’entreprendre.
Le Québec est le territoire où les citoyens perçoivent le plus d’opportunités en 2021, soit 81,7 %, un bond important sur l’année précédente (56,2 %). « Les six premiers mois de 2021 ont été marqués par la campagne de vaccination massive », rappelle Marc Duhamel lors du webinaire.
La peur de l’échec freinait un peu moins les Québécois (48,4 %) dans leur intention de saisir une opportunité d’affaires, comparativement à 2020 (53,7 %). Néanmoins, cette peur de l’échec semble en progression constante depuis 2013 tant au Québec qu’ailleurs au pays, rapportent les auteurs.
Le GEM mesure aussi l’intention d’entreprendre dans les trois prochaines années. Au Québec, on observe une légère hausse de ce taux, de 18,2 % en 2020 à 19,5 % en 2021. Ce taux est plus bas qu’aux États-Unis (20,5 %) et qu’au RDC (23,4 %), mais nettement inférieure au Chili (51,4 %), au sommet du classement. Si la baisse de l’intention d’entreprendre avait été similaire au Québec et au Canada durant la première année de la pandémie, la reprise est moins forte au Québec, constate le GEM.
L’activité
Le GEM distingue trois types d’activité entrepreneuriale : l’entrepreneur naissant, qui verse des salaires depuis trois mois ou moins, le nouvel entrepreneur (de 4 à 41 mois de salaires versés) et l’entrepreneur établi (42 mois et plus).
Les deux premiers types représentent le taux d’entrepreneuriat émergent (TAE). Au Québec, le TAE atteignait 17,6 % au Québec et 20,8 % au RDC en 2021. Il s’agit du plus haut taux observé depuis 2013 et très semblable à celui de 2019 (17,3 %).
Le Québec est au 10e rang de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour la proportion des entrepreneurs naissants (7,5 %), alors que le RDC est au 2e rang (11 %).
Près de la moitié de ces entrepreneurs naissants (46,9 %) au Québec se lancent en affaires avec d’autres partenaires, une proportion nettement plus forte qu’au RDC (36,5 %).
Le RDC (11,1 %) et le Québec (10,9 %) arrivent au sommet du classement pour la proportion des nouveaux entrepreneurs. Le retard a été comblé comparativement à 2020 où beaucoup d’entrepreneurs naissants avaient dû repousser la date de démarrage en raison de la pandémie.
À cet égard, la pandémie a eu davantage d’impacts sur les entrepreneurs naissants que ceux sur les entrepreneurs émergents, tant pour le démarrage que sur la croissance.
Par ailleurs, 65,4 % des entrepreneurs émergents disent avoir profité des opportunités de développement reliées à la pandémie. Dans cette même catégorie d’entrepreneurs, on note que 78 % d’entre eux estiment que les programmes de soutien du gouvernement ont été efficaces, au sommet du classement.
L’adoption des technologies numériques par les entrepreneurs émergents a atteint 19,6 % au Québec en 2021, comparativement à 34,8 % au RDC. Quelque 31,9 % des entrepreneurs émergents ont amélioré leurs technologies numériques pour la vente, comparativement à 29,6 % au RDC.
Les établis
Les entrepreneurs établis sont moins nombreux au Québec (5,8 %) qu’ailleurs au Canada (8,9 %).
Le Québec est l’un des territoires analysés où les entrepreneurs établis ont été les moins touchés au niveau de leurs projets de croissance. Quelque 23,6 % d’entre eux ont vécu ce ralentissement de la croissance en 2021, comparativement à 36 % au RDC.
Dans le même groupe des établis, 60,7 % d’entre eux ont pu saisir de nouvelles opportunités induites par la pandémie. Le Québec se situe au sommet du classement à ce chapitre.
L’activité entrepreneuriale
L’activité entrepreneuriale comprend les sorties de la carrière entrepreneuriale, ce qui inclut les ventes et les fermetures d’établissements. La continuité des activités de l’entreprise (ou le repreneuriat) passe par la nouvelle génération des entrepreneurs ou encore par les entrepreneurs établis qui cherchent à développer de nouveaux marchés.
Le Québec (4,7 %) et le RDC (6,3 %) font partie des endroits dans le monde où les sorties entrepreneuriales mènent le moins à l’interruption des activités. Les sorties entrepreneuriales, qui atteignaient 2,2 % au Québec, sont en baisse constante depuis 2017. Ailleurs au pays, ce taux est plutôt en hausse, atteignant 6,7 %, un sommet depuis 2013.
En 2021 au Québec, 12,3 % des sorties entrepreneuriales ont été causées par la pandémie, un taux plus bas que dans le RDC (17 %) et qu’aux États-Unis (27,3 %).
Dans les cas plus complexes, rappellent les auteurs, une personne déjà en affaires qui fait l’acquisition d’une entreprise en activité via la sortie de son fondateur ne considérera pas être un repreneur si elle ajoute une entreprise à celle qu’elle a précédemment créée.
La tendance au Québec demeure la même depuis 2013 : il est difficile de passer de l’intention entrepreneuriale à l’entreprise établie, ce qui montre les difficultés à rendre les entreprises pérennes. Par contre, comme le Québec affiche globalement moins de sorties, cela suggère que si la mise en action entrepreneuriale y est plus difficile, elle mène à des activités entrepreneuriales à plus long terme.
Le mode hybride
Depuis plusieurs années, les auteurs du rapport GEM Québec s’intéressent aux entrepreneurs hybrides, c’est-à-dire aux gens qui conservent leur emploi tout en œuvrant au démarrage de leur entreprise ou en gérant les débuts.
Cela s’apparente à une stratégie de mitigation des risques financiers d’une transition de carrière du salariat vers l’entrepreneuriat. La stratégie sert parfois au financement de l’activité entrepreneuriale lorsque les conditions offertes par les institutions financières sont défavorables et peu avantageuses.
La proportion des entrepreneurs émergents qui ont un tel statut hybride atteignait 76,3 % en 2021. La tendance est en déclin depuis la période 2016-2018. Il est aussi possible que le resserrement du marché du travail au Québec retienne une proportion plus importante d’entrepreneurs dans des emplois mieux rémunérés, indiquent les auteurs.
Ces derniers ajoutent que l’on ne doit pas exclure la multiplication d’un entrepreneuriat complémentaire, phénomène exacerbé par l’économie des petits boulots (« Gig Economy »). Les chercheurs promettent de continuer à surveiller le phénomène.
La motivation
Auparavant, le consortium GEM utilisait la dichotomie de l’entrepreneuriat de nécessité ou d’opportunité, désormais jugée trop réductrice.
Dans le plus récent rapport, on a introduit quatre motivations au démarrage :
- faire une différence dans le monde ;
- créer une grande ou des revenus très élevés ;
- poursuivre une tradition familiale ;
- gagner sa vie parce que les emplois sont rares.
Chaque entrepreneur émergent devait indiquer, sur une échelle de 1 (fortement en désaccord) à 5 (fortement en accord), s’il s’agissait d’une de ses motivations pour créer son projet. Les auteurs ont retenu la proportion de répondants qui ont répondu 4 et 5 sur chacune de ces catégories.
Quelque 69,9 % des entrepreneurs émergents du Québec disent vouloir faire une différence dans le monde, un taux légèrement plus bas que celui du RDC (70,5 %) et des États-Unis (71,2 %), au sommet du classement.
Pour la création de richesse, le Québec arrive au 5e rang (66,6 %). Le Québec est au sommet du classement pour la proportion des entrepreneurs émergents qui désirent poursuivre une tradition familiale (50,7 %).
À 62,1 %, la province se trouve au milieu du peloton, en 10e place, pour la motivation reliée à la nécessité de gagner sa vie en raison de la rareté des emplois.
Le développement durable
Le consortium GEM a aussi voulu mesurer la notion d’entrepreneuriat durable, laquelle comprend les objectifs de préservation de l’environnement, d’équité sociale et de richesse économique.
La prise en compte des répercussions sociales préoccupe 77,8 % des entrepreneurs émergents. Le Québec est au 8e rang du classement, tandis que le RDC est 5e (80,9 %).
On pose aussi une question relative aux mesures prises dans la dernière année pour maximiser l’impact social. À 48,9 % des entrepreneurs émergents, le Québec est au 7e rang, derrière le RDC qui arrive au 1er rang, à 67,5 %.
La prise en compte des répercussions environnementales n’est mentionnée que par 68,8 % des entrepreneurs émergents, ce qui place le Québec au 15e rang des territoires comparables. Le RDC est au 11e rang à cet égard (73,1 %).
Là aussi, on a voulu évaluer que les actions suivaient le discours. Quelque 62 % des entrepreneurs émergents ont pris de telles mesures pour réduire l’impact environnemental de leurs activités, ce qui place le Québec au 4e rang du classement. Le RDC est encore premier avec un taux de 67,2 %.
On a enfin voulu vérifier si la prise en compte de l’impact social et environnemental du projet entrepreneurial passait avant les objectifs de croissance et de profitabilité. Le Québec figure à la 9e place avec un taux de 58,9 % de ses entrepreneurs émergents qui priorisent l’impact environnemental et social. Le RDC affiche un taux de 68,8 % (5e place).
On constate que la proportion des entrepreneurs établis qui disent avoir fait des efforts concrets dans la dernière année pour réduire l’impact environnemental est légèrement plus élevée, à 63,3 %, que celle des entrepreneurs émergents (62 %).
Méthodologie
Quelque 2 439 personnes ont répondu à l’enquête canadienne, dont 563 répondants du Québec. Chaque pays participant mène une enquête auprès d’un échantillon représentatif de sa population adulte d’au moins 2 000 personnes. Dans le rapport, on compare les résultats du Québec avec ceux du reste du Canada (RDC) et d’autres pays membres de l’OCDE.
La présentation du rapport par les professeurs Duhamel et Saint-Jean et la discussion avec les entrepreneurs Jean-Simon Venne et Julie-Poitras Saulnier est disponible sur la chaîne YouTube de l’INRPME.
Jean-Simon Venne, directeur de la technologie et cofondateur de Brainbox AI, et Julie Poitras-Saulnier, cofondatrice de LOOP Mission, ont participé à l’activité en racontant leur parcours entrepreneurial.