L’industrie canadienne de l’assurance de personnes doit cheminer d’un marché de vendeurs de produits à un marché de spécialistes en conseils financiers, si elle souhaite juguler les pratiques d’affaires répréhensibles chez certains conseillers.Et il revient aux assureurs de mener la charge en acceptant de revoir leurs manières de faire, particulièrement pour les concours de ventes et les modes de rémunération, pour insuffler les changements nécessaires.

Voilà en substance ce qu’a affirmé au Journal de l’assurance Larry Bathurst, président du Regroupement indépendant des conseillers indépendants de l’industrie financière du Québec (RICIFQ).

M. Bathurst réagissait ainsi, au nom de son organisme, à l’article paru dans le Journal de l’assurance du mois d’août (« Des compagnies déclarent la guerre aux représentants escrocs »).

L’article faisait état d’une offensive lancée, depuis le Québec, par des compagnies d’assurance au Canada afin d’assainir les pratiques d’affaires dans l’industrie. Cette idée a germé au sein du Comité des dirigeants de ventes du Québec, qui agit comme table ronde informelle où les compagnies partagent des préoccupations communes.

Plusieurs pratiques avaient notamment été identifiées comme répréhensibles : la fraude commise à l’encontre des assureurs et des consommateurs, les rabais sur primes, les remplacements systématiques, les faillites ainsi que les plaintes répétitives formulées par le public contre des conseillers.

L’article relatait que les assureurs sont résolus à mettre sur pied une série de mesures coercitives, dont des poursuites judiciaires, à l’encontre des représentants qui se livrent à de mauvaises pratiques d’affaires. Les assureurs militent aussi en faveur d’une réévaluation périodique des compétences des conseillers.

Un virage s’impose

En dépit du fait que le RICIFQ salue l’initiative des assureurs, le Regroupement doute que les représentants frauduleux soient le véritable problème de l’industrie de l’assurance de personnes.

« Les représentants qui se livrent à des mauvaises pratiques sont des cas isolés. Il s’agit d’une minorité », tonne Larry Bathurst. Ce point avait d’ailleurs été reconnu par les assureurs dans nos pages.

« Les mauvaises pratiques sont un problème de régie interne chez les assureurs et les agents généraux. Ce problème dure depuis des années. Il y a rien de nouveau là », dit M. Bathurst.

Selon le président du RICIFQ, le véritable problème consiste en ce que l’industrie est encore axée sur la vente de produits et tarde à cheminer vers une industrie de spécialistes en conseils financiers.

Pourtant, dit-il, la réforme du secteur financier québécois, qui a conduit à l’adoption de la Loi sur la distribution de produits et services financiers, au tournant des années 1990, devait favoriser ce virage.
« Cette réforme avait pour but de nous faire passer d’une industrie axée sur la vente à une industrie qui est réglementée comme une industrie de conseils », dit-il.

« L’industrie des valeurs mobilières et celle des fonds de placement ont entrepris ce virage. Elles ont interdit tout forme de concours de ventes dès 1997 », rappelle M. Bathurst. « Par contre, l’industrie de l’assurance vie n’a pas suivi », déplore-t-il.

Pourquoi? En grande partie à cause des assureurs, affirme Larry Bathurst. Il pointe notamment deux pratiques cautionnées par les compagnies pour expliquer ce retard. Il s’agit des concours de ventes, par lesquels les conseillers peuvent se qualifier pour participer à des congrès et des voyages.

Il blâme également les modes de rémunération actuels par lesquels les conseillers touchent la totalité des commissions cinq ans après avoir vendu une police.

« Un conseiller ne peut vivre de son métier s’il n’a plus de rémunération après la cinquième année », fait-il valoir. « Il faut revoir les modes de rémunération et en adopter de plus uniformes », ajoute-t-il. M. Bathurst souhaite d’ailleurs relancer le débat des commissions nivelées, qu’il voit comme une des conditions nécessaires pour entreprendre le virage vers une industrie de conseils.

« Ces pratiques encouragent une vision à court terme dans notre industrie et développent le réflexe de la vente chez les conseillers », déplore le président du RICIFQ.

M. Bathurst pousse cette analyse un cran plus loin. Selon son organisme, concours et modes de rémunération encouragent des comportements déviants chez certains conseillers. « Je ne parle pas de tous, mais bien de ceux qui pourraient avoir une morale élastique », dit-il.

Les concours de ventes encouragent la concentration des activités des représentants auprès d’un seul assureur, dit-il. « La concentration des activités est aussi une voie directe vers le remplacement systématique, car des conseillers peuvent être tentés d’en faire leur billet gagnant pour être admissibles à un concours », ajoute M. Bathurst.

« Par ces pratiques, les assureurs placent les conseillers en conflit direct avec leur code de déontologie, les incitant à sacrifier l’indépendance de leurs conseils vis-à-vis des consommateurs », dit-il.

Seules les caractéristiques des produits, leurs prix et la qualité du service offert devraient dicter la recommandation des conseillers, estime le Regroupement.

« Les assureurs devraient se donner comme devoir de ne s’adonner à aucune pratique d’affaires qui ferait entrave au seul gage de confiance dans la crédibilité de notre industrie : l‘indépendance des conseils offerts », dit-il.

Le RICIFQ s’oppose aussi à la suggestion des assureurs voulant que les conseillers se soumettent à des réévaluations périodiques de leurs compétences. « Il n’est pas nécessaire d’en rajouter par-dessus les exigences en matière de formation continue de la Chambre de la sécurité financière », affirme M. Bathurst.

Il est d’avis que les conseillers sont déjà soumis à un dur régime de formation continue, ce qui constitue un gage des compétences face au public, dit-il.