Après la Financière Manuvie, c'est au tour de la Financière Sun Life de lancer une garantie de retrait minimum (GRM) dans ses régimes de retraite collectifs. Des concurrents annoncent déjà qu'ils suivront la parade, même si d'autres demeurent de glace.Le produit à garantie de retrait minimum s'est rapidement imposé dans le secteur de l'investissement individuel depuis que Manuvie a ouvert ce marché au Canada à l'automne 2006. Les concurrents ont rapidement suivi l'exemple du produit RevenuPlus : Sun Life, Desjardins Sécurité financière (DSF), Industrielle Alliance, SSQ Groupe Financier, Empire Vie, Transamerica Vie Canada et Great-West (incluant Canada-Vie et London Life).

L'industrie s'attaque au secteur de l'épargne collective avec ce produit qui a bouleversé l'univers des fonds distincts individuels. Y connaitra-t-elle le même succès?

Le moment semble en tout cas bien choisi. Un sondage de l'actuaire conseil Watson Wyatt (maintenant Towers Watson) mené en septembre 2009 auprès de 84 régimes à cotisations déterminées (régimes CD) révèle que les trois quarts d'entre eux « ont pris ou comptent prendre d'autres mesures pour aider leurs participants à maximiser les rendements de leurs placements. » Pour la majorité d'entre eux, ces mesures passent par des modifications sur les options de placement (49 % des répondants).

Pour sa part, Jean Lamontagne, conseiller principal en pratique de gestion de l'actif chez Towers Watson, croit que ces résultats augurent bien pour un produit tel que la GRM collective. « C'est un produit qui a de l'avenir et qui aura du succès. Il est bien adapté aux régimes à cotisations déterminées, car ses participants veulent une garantie de revenu, mais aussi un placement qui a la possibilité de s'apprécier », a-t-il souligné en entrevue au Journal de l'assurance.

Autre moteur de croissance du produit GRM, le besoin de sécurité des participants de régimes n'a jamais été aussi haut. Par exemple, la division canadienne d'Investissements Russell, firme internationale qui gère 190 milliards de dollars (G$) d'actif à travers 40 pays, a commandé un sondage Ipsos Reid. Les conclusions de ce sondage sont préoccupantes.

Il révèle que les Canadiens de 50 ans et plus laissent dormir environ le quart de leur portefeuille d'investissement dans des placements « pépères » (certificats de placement garantis, comptes d'épargne à intérêts élevés). Il s'agit d'un sommet en neuf ans. Ces véhicules de placement cumuleraient 300 G$ au Canada, selon des recherches effectuées par Investissements Russel.

Si les Canadiens laissent dormir leurs épargnes au risque d'affecter leur rendement, c'est en raison de la volatilité exceptionnelle des deux dernières années, croit Fred Pinto, directeur des services de distribution auprès d'Investissements Russell Canada. « Il est normal que bon nombre d'entre eux soient moins tolérants au risque et recherchent davantage la sécurité », dit-il.

Quatrième joueur du marché en épargne collective, Manuvie a fait jaser lors du lancement de RevenuPlus Collectif en 2008, mais n'a pas provoqué d'onde de choc. Or, le lancement en février d'un produit GRM collectif par le joueur numéro un dans ce marché pourrait déclencher une vague. Selon les plus récentes données de Fraser Group, Sun Life détenait 41 % du marché des régimes de retraite collectifs d'accumulation en 2008 au Canada, avec un actif de 28,6 G$, et Manuvie 13 % avec 9,2 G$. Le produit GRM est ainsi disponible dans plus de la moitié du marché canadien de l'épargne collective.

Les données recueillies par Fraser Group auprès des participants à son sondage sur les régimes d'accumulation au Canada, soit un actif total de 69,3 G$, se composent à 46 % de régimes CD (voir tableau). C'est le créneau ciblé par le produit GRM collectif. Les REER collectif comptent quant à eux pour 40 % du marché. Le reste se répartit entre régimes de participation différée aux bénéfices (7 %) et d'autres types de régimes tels que les régimes non enregistrés, les régimes d'achat d'actions et les formules hybrides (7 %). La GRM collective peut s'appliquer à tous les régimes d'accumulation.

Joueur numéro deux avec une part de 24 % et 16,5 G$ d'actif dans les régimes collectifs d'accumulation, Great-West n'avait pas donné duite à nos appels sur cette question au moment de fermer la présente édition.

De son côté, Standard Life, troisième joueur en épargne collective avec une part du marché canadien de 15 %, n'a pas de produit GRM actuellement. Mais l'assureur a l'intention d'en offrir un avec garantie de retraits à vie dès cette année dans sa famille de fonds distincts Séries Signature Series.

« Standard Life envisage toutes les options pour potentiellement entrer dans le marché canadien des fonds avec garantie de retraits à vie, tant dans le secteur individuel que le secteur collectif. Toutefois, nous n'avons pas arrêté une date précise », a révélé au Journal de l'assurance Michel Fortin, vice-président, marketing et développement des ventes, réseaux individuels chez Standard Life.

Les produits d’investissement arrivent à un point tournant
Le PDG de Financière Sun Life Canada, Kevin Dougherty, croit que le moment ne pouvait être mieux choisi pour lancer Mon argent la vie durant, sa GRM collective.
« Des centaines de milliers de babyboumeurs passent chaque mois du mode accumulation au mode décaissement. C’est un point tournant dans le secteur des produits d’investissement. Les institutions financières ne peuvent plus seulement offrir le meilleur produit d’accumulation; elles doivent maintenant se préparer à proposer les meilleurs stratégies de décaissement », soutient-il.
Sun Life sonde l’humeur des retraités depuis trois ans. L’assureur a découvert que 50 % des Canadiens croient qu’ils devront travailler au-delà de 65 ans pour s’assurer une retraite confortable. Les trois quarts des personnes sondées souhaitent avoir une certaine forme de revenu de retraite garanti. « Ils ne veulent pas se retrouver exposés au risque de volatilité dans les 20 à 25 prochaines années. À 35 ans, vous pouvez vous refaire en cas de coup dur. Pas à 65 ans », rappelle M. Dougherty.
Le PDG de Sun Life Canada croit aussi que ce genre de produit de décaissement montre l’aptitude du secteur privé à apporter une partie de la solution aux problèmes d’inadéquation des régimes de retraite, soulevés par les ministres des Finances à la conférence de Whitehorse en décembre (voir Journal de l’assurance, Février 2010).
« Les gens vivent de plus en plus longtemps. Comment vivre 35 ans avec des revenus suffisants, sans travailler ? Le gouvernement ne peut certainement pas répondre seul à cette préoccupation des Canadiens. Il doit partager cette tâche avec le secteur privé. » Le produit de GRM s’inscrit selon lui dans le registre des solutions qui peuvent être facilement et efficacement implantées pour régler le problème de l’insuffisance appréhendée des revenus de retraite.
Éric Filion, de Desjardins Sécurité financière, n’a pas été surpris par le lancement de Sun Life, pas plus qu’il ne l’a été par celui de Manuvie deux ans plus tôt. Savoir comment ils décaisseront leur pécule de retraite est la préoccupation de l’heure pour les babyboumeurs qui partiront bientôt à la retraite.
« Les babyboumeurs ont influencé le marché des services financiers à toutes les étapes de leur vie. » M. Filion croit qu’il est maintenant primordial pour un assureur d’avoir sur ses tablettes des produits qui répondent à cette phase critique de leur vie.
De son côté, Mike Collins, de la Financière Manuvie, croit que le produit de GRM réparti mieux le risque des retraités lors du retrait. Il croit que le besoin des Canadiens ne se limite pas à la GRM. Leur besoin de sécuriser leurs prestations de retraite amènera selon lui les institutions financières à envisager plusieurs autres façons d’aider les participants de régime à se construire un revenu de retraite plus rapidement.
Cela dit, M. Collins croit que le moment est idéal pour lancer un produit GRM en collectif, avec les gouvernements qui mettent l’accent sur l’inadéquation du système de pension actuel. « Chaque Canadien devrait avoir au moins une partie de son revenu de retraite garanti. »
Pour sa part, Tom Reid, vice-président principal, régimes collectifs de retraite chez Sun Life, croit que le produit aide à faire du régime CD un fonds de pension qui se rapproche davantage du régime à prestations déterminées. Ce régime garantit le revenu de retraite en fonction des années de service. Sa popularité est toutefois en perte de vitesse chez les employeurs en raison de son cout élevé.

Pour sa part, DSF est le 7e joueur en épargne collective au Canada avec une part de marché de 1 % et un actif sous gestion de 900 millions de dollars (M$) au sein de ses régimes d'accumulation. L'assureur ne semble pas pressé de suivre la vague, mais dit en étudier la possibilité.

« Un produit comme celui de Sun Life a sa place, mais il est primordial que le participant soit accompagné lors de la transition vers la retraite, peu importe le produit qu'il choisit. Pour notre part, nous avons toujours privilégié l'accompagnement et l'éducation des participants en ce sens », explique Éric Filion, directeur principal, développement de produits et tarification, épargne-retraite collective chez DSF.

Avant de se commettre, DSF étudie l'opportunité d'offrir ou non une GRM collective. La tarification et la flexibilité seront des éléments à considérer, révèle M. Filion. Comment fixer un cout raisonnable à la garantie tout en assurant la rentabilité du produit? Dans quelle mesure le produit pourra-t-il être transféré si le promoteur de régime change de fournisseur? Ce sont les questions que se posent DSF dans le moment.

Sun Life offre 200 options de placement au sein de son produit GRM collectif
Si Financière Sun Life est le deuxième joueur à lancer un produit de GRM en collectif, il est le premier à le décliner sous près de 200 options d’investissement différentes. Chez Financière Manuvie, la GRM collective n’ouvre accès qu’à un seul fonds.
Sun Life vante d’ailleurs aux participants de régimes à cotisations déterminées (régimes CD) la possibilité de conserver la plupart sinon la totalité de leurs options de placement existantes au moment de faire le saut vers la GRM. L’assureur exige toutefois que le participant conserve dans leur compte une proportion de 40 % en titres à revenu fixe. Le compte est automatiquement rééquilibré tous les mois pour conserver la répartition de l’actif choisie par le participant.
L’assureur s’attend d’ailleurs à un taux de transfert élevé, surtout si le produit est bien expliqué aux membres et que cet exercice de communication est appuyé par les promoteurs de régimes et les consultants. « Nous nous attendons à un taux de pénétration de 100 % chez les 45 ans et plus parce qu’ils se trouvent plus près du corridor de la retraite », a révélé Tom Reid, vice-président principal, régimes collectifs de retraite chez Sun Life.
M. Reid croit atteindre ce taux au cours des prochaines années, au fur et à mesure que les participants connaitront mieux le produit.
Pour sa part, Manuvie n’a pas l’intention d’ajouter des options d’investissement au sein de son produit GRM, qui offre pour l’instant un fonds équilibré multi-gestionnaires et multi-stratégies. Deux-cents choix de placements dans la GRM collective, c’est trop, tranche Mike Collins, vice-président marketing, épargne collective et solutions de retraite chez Manuvie. « Cela ajoute inutilement de la complexité pour des investisseurs qui n’ont pas directement accès à un service conseil en placement », croit-il.
M. Collins préfère mettre l’accent sur la simplicité en offrant un seul fonds diversifié. Ce fonds est toutefois de type multi-gestionnaires et multi-stratégie d’investissement. Confondre les participants avec trop de choix d’investissement risque de paralyser leurs décisions de placement au sein de leur régime, ajoute M. Collins.
Pendant nos groupes de discussions, les participants ont clairement indiqué leur préférence pour un produit offrant le plus vaste choix de fonds possible, a pour sa part argué Brent Simmons, vice-président actuariat. Produit complexe, la GRM destinées aux régimes collectifs? Oui, et M. Simmons en sait quelque chose. Il a passé un an et demi sur sa conception. « C’est le produit le plus compliqué qui soit dans le monde des actuaires », a confié l’architecte du produit de Sun Life au Journal de l’assurance. Le produit a été tarifé pour garder le cout abordable tout en offrant une bonne couverture du risque, a-t-il expliqué. « Nous devions nous assurer de couvrir à prix raisonnable des promesses faites aux clients pour les 30, 40, 50 prochaines années », a ajouté M. Simmons.
Les frais imputables au produit sont de plus ou moins 1,5 %, selon les catégories d’actif sous garantie, précise M. Simmons. Les frais d’assurance s’ajoutent aux frais de gestion. Ils peuvent changer et Sun Life s’engage à en informer ses clients.
Le produit offre par ailleurs une garantie de retrait à vie de 5 % par an, que le participant peut recevoir dès qu’il atteint 65 ans. Le rentier peut choisir de recevoir un montant plus ou moins élevé. S’il choisit de recevoir plus de 5 %, l’excédent retiré contribue toutefois à diminuer la base de la garantie.
Sun Life détermine cette base selon la valeur de la cotisation initiale du participant et ses autres cotisations par la suite moins ses retraits. La base pourra augmenter au moment des rétablissements automatiques qui ont lieu tous les trois ans à l’anniversaire du participant.
Autre particularité, celle-là propre à tous les produits GRM dans le marché, c’est que le client peut retirer plus de son fonds GRM si le retrait minimum légal prévu à son FERR est supérieur à 5 %. Cet excédent ne grugera pas la base de la garantie.

L'Industrielle Alliance possède une part de 2 % du marché canadien de l'épargne collective. « Tout cela est à l'étude », s'est limité à dire Jacques Carrière, vice-président, relations avec les investisseurs, sur la possibilité pour l'assureur de lancer son produit GRM en collectif.

Joueur de petite envergure dans ce marché, SSQ Groupe Financier a annoncé ses intentions. Revenu Garanti Astra migrera du côté collectif. L'horizon de temps pour le lancement : quelque part en 2010. « Il faut prendre le temps de bien ficeler les aspects de tarification, de responsabilité fiduciaire, du mode de décaissement, etc. », a confié au Journal de l'assurance Marc Trépanier, vice-président au développement des affaires en épargne individuelle et collective chez SSQ.

Selon lui, la migration du produit GRM individuel vers le secteur collectif est un incontournable et le produit présente un grand potentiel de pénétration. « Avec deux gros joueurs dans le marché, les chances que les autres suivent sont grandes. Nous avons cela dans nos plans. Les actuaires conseils nous le demandent. Le téléphone commence à sonner et ils nous posent des questions sur le produit de GRM en collectif, signe que la tendance est bien là », croit-il.

Joueur reconnu en collectif, mais aussi très présent en épargne individuelle, SSQ dit connaitre du succès avec son produit de GRM individuel lancé à l'automne 2008. Il représente maintenant 30 % de ses ventes de placements individuels et cette proportion s'accroit constamment, révèle M. Trépanier Il croit qu'en collectif, le produit intéressera particulièrement les clients de 50 ans et plus.

Autre joueur mineur dans le secteur des régimes collectifs d'accumulation, Empire Vie dit n'envisager aucune GRM collective pour le moment. La porte-parole Mary Beth Gauthier a toutefois précisé que l'épargne collective n'est pas une priorité pour Empire Vie, qui met plutôt l'accent sur l'assurance collective.

Transamerica Vie Canada est quant à lui absent du secteur de l'épargne collective.

En sa qualité de pionnier, tant pour le produit individuel que collectif, Manuvie salue la venue de Sun Life dans le marché de la GRM collective. « L'arrivée de concurrents est une très bonne chose, car cela stimule le marché », souligne Mike Collins, vice-président marketing, épargne collective et solutions de retraite chez Manuvie.

M. Collins observe que l'arrivée de nouveaux joueurs attire l'attention sur le produit collectif, particulièrement dans le cas des gros dossiers pilotés par les actuaires conseils. « Ils peuvent ainsi offrir une nouvelle option à leurs clients », ajoute-t-il.

Manuvie croit que le marché ainsi revitalisé connaitra une poussée de croissance. Pour l'heure, M. Collins constate que la moitié de ses nouveaux clients ont adhéré à RevenuPlus Collectif. La proportion se fait toutefois beaucoup plus modeste dans les régimes existants. Bien que M. Collins n'ait pu la révéler, il convient que ce produit se vend plus aisément aux nouveaux groupes. La complexité du produit oblige ainsi les groupes existants à refaire leur plan de communication aux participants pour y inclure la GRM.

Communications simples et formation adéquate sont d'ailleurs la pierre angulaire du produit, explique M. Collins. À adhésion facultative, la GRM collective ne peut espérer une bonne pénétration au sein d'un groupe si elle n'est pas bien compris par les participants. L'assureur qui cible autant les petits que les grands groupes note une participation des membres qui va de 4 % à 60 % selon les groupes. Or, la moyenne se rapprochera constamment du haut de l'échelle, au fur et à mesure que les participants comprendront les bénéfices de la garantie, croit M. Collins.

Il se base sur l'expérience américaine pour dire que la pénétration de la GRM collective est inéluctable. « Aux États-Unis, le passage de la GRM individuelle à la GRM collective a aussi pris un certain temps », fait-il remarquer.

Pour l'heure, M. Collins note une moyenne de 73 participants à la GRM collective par régime, pour un actif sous gestion moyen total de 1,2 M$.