Les assureurs doivent cesser de surveiller ce que leur concurrent fait et simplement suivre la parade. En cette ère du numérique, ils doivent s’adapter à leurs clients et non pas s’attendre à ce que ces derniers s’adaptent à eux.

Alex Veilleux, vice-président à l’innovation de Desjardins Groupe d’assurances générales, était l’un des experts présents à la conférence InsurTech Québec, tenue dans le cadre de la Semaine Numérique de Québec, début avril. Responsable de la stratégie « fintech » de l’assureur, Alex Veilleux note que l’offre de produits et service a été grandement modifiée par la distribution numérique. « En assurance, nous ne sommes pas perçus comme étant très agiles ni portés sur le changement. Nous ne sommes plus dans l’ère où c’est au client de s’adapter à nous », dit-il.

Il a travaillé au démarrage d’entreprises technologiques dans la Silicon Valley et à New York. Il constate la « croissance exponentielle » des investissements en capital de risque dans le secteur des technologies associées à l’assurance.

Au sein du fonds de capital de risque Plug and Play, incubateur lancé dans la Silicon Valley et maintenant établi un peu partout dans les grands centres financiers, le secteur des technologies en assurance a été lancé il y a seulement 18 mois. La croissance du secteur « insurtech » est la plus forte, tous secteurs confondus, connue chez Plug and Play, note M. Veilleux.

Selon une étude faite sur l’innovation en assurance entre 1959 et 2007, le secteur a peu évolué durant cette période. « À part le rabais pour le double contrat, on ne peut pas dire qu’on a beaucoup innové » durant cette période, dit-il en souriant.

Depuis 2010, et avec une ampleur renouvelée depuis 2015, les nouvelles « fintechs » ont attaqué les services financiers. Le réseau de distribution a été attaqué en premier. Tous les segments d’affaires en assurance sont visés par les nouveaux joueurs les plus prometteurs.

À venir au Canada

Les cinq entreprises ayant la plus forte capitalisation ne sont pas encore implantées au Canada. Ces firmes sont elles-mêmes supportées financièrement par de très grandes sociétés.

Trov compte parmi ses actionnaires Guidewire et Suncorp, un assureur australien. Slice a trouvé des fonds chez XL Catlin et Munich Re. De son côté, Lemonade est appuyée par de grands réassureurs, de même que par une filiale de Google. « Ce qui est intéressant, c’est que tout le markéting de Lemonade montre bien qu’il s’agit d’un assureur, même si la compagnie n’utilise pas ce terme », souligne-t-il.

Les grands assureurs mondiaux ont commencé à créer des fonds d’investissement pour débusquer les entreprises innovantes les plus prometteuses. L’assureur Mass Mutual a créé sa filiale en capital de risque en 2014, doté de 100 millions de dollars US (M$). Depuis la fin de septembre 2016, le fonds MassMutual Ventures a investi 81,6 M$ US dans quatre sociétés.

M. Veilleux estime que si les assureurs veulent devenir plus agiles, ils doivent attirer les meilleurs talents. Cela passe par l’investissement dans les startups. Chez Desjardins, on pense désormais en termes de produits, et non de projets, comme cela a été le cas pour le module de télématique Ajusto, dit-il.

M. Veilleux cite un sondage mené auprès de grands dirigeants de compagnies d’assurance, dont 44 % affirment que le manque de ressources humaines qualifiées nuit à leur capacité d’innovation. Pour implanter la culture d’innovation, « il faut bâtir un ADN qui autorise les essais ratés et le risque de l’échec », dit-il.

Il a tenu à ce que sa petite équipe vouée à l’innovation relève directement de la haute direction. « Nous avons obtenu le droit de faire les choses différemment », dit-il.

Quand Desjardins a lancé Ajusto, le produit n’était pas parfait. « Il continue d’évoluer », ajoute M. Veilleux. Ajusto a démarré avec un système télématique installé dans le véhicule en 2013. Depuis le 21 mars 2017, tous les services reliés au produit sont désormais accessibles dans une même application.

Il n’est pas toujours aisé d’intégrer l’innovation réalisée à l’externe. M. Veilleux a vu de grands groupes forcer des startups à fournir de multiples versions de leur plateforme, jusqu’à l’épuisement de leurs ressources. « Il faut arriver à décider de se lancer même si on n’a pas toutes les réponses », insiste-t-il.

Pour son programme Alerte en assurance habitation, lancé le 20 mars dernier, son groupe a conçu le produit. L’assureur a toutefois financé une startup pour l’appuyer dans le développement de la plateforme et des capteurs.

L’objectif demeure d’utiliser les ressources de manière optimale. Son passé d’entrepreneur l’aide à faire le lien entre le géant financier et la société en démarrage. « En investissant dans une startup, nous cherchons à obtenir le même rendement que celui demandé pour un investisseur en capital de risque », précise-t-il.

L’assureur doit conserver la propriété intellectuelle de l’application, mais pour toute la quincaillerie, il préfère se fier aux meilleurs fournisseurs, ce que Desjardins a fait pour Ajusto avec Cambridge Mobile Telematics, et pour Alerte avec Roost. « Nous sommes dans l’assurance, nous sommes dans la relation avec le client. Ce n’est pas notre rôle de trouver le meilleur fournisseur de micropuces en Asie », dit-il.

À ses débuts chez Desjardins, on lui demandait des nouvelles de ses « bébelles ». Depuis, l’intérêt montré par le comité de gestion a grandement évolué, comme le montre le temps mis (moins de dix mois) à lancer le programme Alerte, comme cela avait été le cas pour Ajusto. « Nos partenaires ont trouvé que, pour une fois, le gros assureur poussait fort », dit-il.