En assurance de dommages, l’indemnisation demeure l’étape cruciale de la relation client. La gestion du sinistre détermine le degré de satisfaction que le client accordera à son assureur.

Or, l’industrie fait face à une crise de confiance du public à cet égard. Il faut la régler, conviennent des spécialistes et des assureurs réunis à la Journée de l’assurance de dommages. L’industrie doit améliorer l’expérience client, ont reconnu les experts qui ont témoigné à cet effet. Bernard Deschamps, PDG de la Mutuelle des municipalités du Québec (MMQ), a animé le débat. D’emblée de jeu, il a souligné qu’il était nécessaire pour l’industrie de maintenir le délicat équilibre entre la gestion des couts et sa promesse de paix d’esprit faite à la clientèle.

« En raison de son caractère quasi obligatoire, l’assurance est devenue un mal nécessaire pour la grande majorité de nos clients. Notre plus grand défi est de transformer cette perception en faisant mieux faire connaitre notre valeur ajoutée auprès de la clientèle », a-t-il dit.

M. Deschamps a souligné que l’industrie de l’assurance de dommages se porte très bien. Même si les catastrophes naturelles des dernières années ont couté 130 milliards de dollars (G$) en indemnités, le capital disponible est encore à son plus haut niveau.

« De façon générale, le consommateur nous fait confiance à 65 % », souligne-t-il en énumérant quelques constats de l’Indice de confiance de la Chambre de l’assurance de dommages, où l’on mesure les facteurs qui influencent le niveau de confiance des consommateurs envers l’industrie.

Quelque 49 % des répondants affirmaient hésiter à faire une réclamation à leur assureur par peur de voir augmenter leur prime. Ils étaient aussi nombreux (39 %) à souligner le caractère subjectif et aléatoire du traitement des demandes d’indemnisation. Les délais prolongés et la complexité du processus d’indemnisation sont aussi déplorés par 42 % des répondants.

Crise de confiance

M. Deschamps conclut de ces résultats qu’il y a une crise de confiance dans l’industrie. Selon lui, les pratiques d’indemnisation ne sont pas étrangères au degré de cynisme montré par les consommateurs.

Certains assureurs considèrent l’étape de l’indemnisation comme un simple poste de dépenses et font tout pour réduire le cout des indemnités, a lancé M. Deschamps. Des règlements sont durement négociés et les franchises rigoureusement appliquées. Ensuite, les assureurs font pression sur les fournisseurs afin de réduire les prix.

En agissant ainsi, ils nuisent à la réputation de leur industrie et ouvrent toute la porte à de nouveaux concurrents, a mentionné M. Deschamps. De nombreux secteurs ont déjà été victimes de l’émergence de nouveaux joueurs issus de l’ère numérique : taxi, hôtellerie, musique, films et divertissement et commerce de détail en sont quelques-uns.

Dans tous les cas, même si les bouleversements qui affectent ces secteurs sont issus de sources multiples, un point commun les unit, dit M. Deschamps « Leur actif principal est devenu leur passif le plus important. »

L’industrie de l’assurance de dommages doit y penser avant de voir les consommateurs migrer vers de nouveaux modèles, a ajouté M. Deschamps. « Les joueurs émergents capitalisent justement sur nos faiblesses », dit-il en citant l’exemple de Lemonade, qui en exploite deux : le manque de confiance des consommateurs et la désuétude des technologies employées par les assureurs traditionnels.

Lemonade offre une couverture sans montant de franchise et toute l’expérience client est basée sur l’intelligence artificielle. Le tiers des réclamations est géré en temps réel par un robot et le montant de l’indemnisation est versé en quelques secondes. Lemonade affirme avoir servi 170 000 clients à ce jour.

L’assurance : une nécessité…comme le dentiste

Bruno Guglielminetti, consultant indépendant et vulgarisateur du domaine numérique, a été invité à jouer le rôle du consommateur lors du panel. Il a confirmé les propos de l’animateur. « Vous êtes malheureusement un mal nécessaire. Il en faut, de l’assurance. On a aussi besoin du dentiste. »

Les perceptions à l’égard de l’industrie sont bien collées dans l’esprit des consommateurs, a-t-il ajouté. Les clients attendent de pied ferme les intermédiaires, comme on le voit en courtage immobilier, a-t-il rappelé.

De nombreux assureurs ont pris le virage numérique et facilitent la gestion de la réclamation par les assurés eux-mêmes, ce qui selon lui rétablit le niveau de confiance. Chaque fois qu’un nouvel outil est proposé, les retombées sont positives. Les consommateurs en demandent davantage, citant à cet effet un sondage du CEFRIO sur la perception des assurés face au numérique.

M. Guglielminetti a relaté avoir passé des commandes aux assistants numériques de Google et Amazon dont il dispose. Aucun n’a pu lui suggérer des références québécoises en assurance auto ou habitation. Pourtant, les jeunes consommateurs sont particulièrement friands des plateformes numériques. « Ils sont autonomes et capables de chercher par eux-mêmes. »

Une fois l’assurance souscrite de la manière simple, le consommateur s’attend à un processus de réclamation rapide et sans anicroche. Ayant lui-même récemment vécu un accident automobile, il souligne avoir été pris par la main par le représentant de l’assureur. Une fois la réclamation soumise, la communication s’est poursuivie par courriel et par messagerie électronique, afin de suivre en ligne l’évolution de la réparation de son véhicule par le fournisseur.

Jugeant cet aspect méconnu, Bruno Guglielminetti estime que les assureurs auraient avantage à faire valoir l’expérience client lors du règlement de sinistre. Le client sait qu’il doit payer une prime pour couvrir son risque, mais il veut savoir ce que fera l’assureur pour lui lorsqu’il aura besoin d’appliquer cette garantie, conclut-il.

Ce que des assureurs en pensent
Deux assureurs ont participé au panel. Ils ont confirmé le déficit de perception entre l’industrie et les consommateurs.

Michel Laurin, président et de chef de l’exploitation d’iA Auto et habitation, a souligné que, comme plusieurs, il est arrivé en assurance par accident. « Quand j’avais sept ans, mon rêve n’était pas de travailler en assurance. J’y suis parce que j’étais bon en mathématiques et je suis devenu actuaire. »

Il a rapidement constaté que l’assurance était un milieu stimulant. Toutefois, dans sa famille, la parenté profite de son statut professionnel pour lui faire part d’histoires d’horreur vécues lors d’une réclamation.

« Nous avons tenu le client pour acquis, parce qu’il l’est. Il n’a pas le choix de s’assurer, au moins pour son automobile. Ce service est obligatoire. Nous avons mérité notre mauvaise réputation », a-t-il dit. À son arrivée chez iA en 2002, il a dit avoir été surpris de constater que le directeur du service des réclamations recevait une bonification en fonction du taux de sinistre. « C’est probablement encore comme ça dans certaines organisations », dit-il.

Quelque 70 % des revenus des assureurs sont versés en indemnisations. Chaque dollar économisé dans la gestion des réclamations est important. Cela ne doit pas se faire au détriment de la satisfaction de la clientèle, a insisté M. Laurin.

Mauvais réflexes

« On a eu de mauvais réflexes dans le passé. » M. Laurin en donne pour exemple le traitement en 1996 du nombre élevé de réclamations pour des piscines endommagées par les nombreux épisodes de gel et de dégel. L’année suivante, les assureurs ont décidé de ne plus couvrir les piscines installées depuis plus de dix ans. « C’est ainsi qu’on a dit merci au client qui n’avait pas fait de réclamation, tandis que son voisin a pu avoir une piscine neuve. »

Désormais, la gestion des réclamations doit être centrée sur le point de vue du consommateur. « Le sinistre est un évènement important pour l’assuré. Il n’a pas besoin de vivre un deuxième traumatisme au moment de la réclamation », a dit M. Laurin.

De son côté, Denis Dubois, président et chef de l’exploitation de Desjardins Groupe d’assurances générales (DGAG), confirme que les pratiques d’indemnisation sont l’objet d’une révision importante depuis une décennie. Un comité du Bureau d’assurance du Canada réfléchit notamment à l’intention du contrat en matière d’application des exclusions, a-t-il rappelé

Les outils d’intelligence analytique améliorent désormais la détection de la fraude. Cela facilite le travail des experts en sinistre qui peuvent axer leur intervention sur l’accompagnement. « Gestion des couts n’est pas incompatible avec expérience client », note M. Dubois.

Il cite l’exemple de l’enquête menée par Aviva Canada qui a pu mettre au jour un système de fraude à l’assureur automobile en Ontario par l’entremise des fournisseurs de l’industrie. « Nos clients témoins de ces abus n’aiment pas cela. Ils savent bien que la fraude a un impact sur les primes », a dit M. Dubois.