Chaque année, l'industrie de l'assurance reçoit des réclamations qui contiennent des éléments de fraude. Traditionnellement, les cas de fraude à l'assurance touchaient l'automobile. Les fraudeurs se sont toutefois perfectionnés et ne se limitent plus uniquement aux voitures.La détection des fraudes n'est pas chose facile. Car, les pratiques évoluent avec le temps. « Les fraudeurs se sont perfectionnés, ce qui nous donne plus de travail qu'avant. À titre d'exemple, les fraudes préparées au sein d'organisations sont élaborées et parfois difficiles à détecter. Pour y parvenir, il faut avoir du pif », souligne André Yergeau, président du cabinet d'expertise en sinistre André Yergeau et Associés et vice-président du regroupement Trans-Québec.
Autre problème : le processus pour déterminer qu'une réclamation est une fraude à l'assurance est parfois long. « L'enquête peut être rapide et ne durer qu'un mois ou deux, mais elle peut aussi se prolonger. En cas de désaccord avec le résultat, l'assuré peut poursuivre l'assureur au civil », dit Charles Berthiaume, expert en sinistre chez Réclamations C. Berthiaume.
Il n'y a pas non plus de profil type du fraudeur. Selon M. Yergeau, ce sont généralement des hommes âgés entre 20 et 50 ans. Toutefois, un point commun les caractérise : ils ont souvent un problème financier.
« Après la perte de leur emploi ou après une mise à pied, certains assurés se tournent vers les réclamations pour se faire de l'argent, fait remarquer M. Yergeau. De la même manière, les réclamations non fondées augmentent en période de crise financière. »
Les fausses déclarations faites au moment de la souscription se multiplient, révèlent les intervenants interrogés par le Journal de l’assurance.
« Il faudrait faire des enquêtes complètes au moment de la souscription, car on voit de plus en plus de fraudes potentielles », constate Louise Leclerc, vice-présidente, indemnisation technique chez AXA.
Le Bureau d’assurance du Canada (BAC) a aussi identifié ce type de fraude. « Un assuré peut faire exprès de ne pas déclarer que son fils conduit régulièrement sa voiture pour payer une prime moindre », a expliqué Anne Morin, responsable des affaires publiques au BAC, au Journal de l’assurance.
L’organisme répertorie d’autres types de fraude qui vise à percevoir les indemnités. Parmi les cas les plus fréquents, il distingue, le gonflement excessif de la réclamation, le sinistre intentionnel et le faux sinistre. « Le gonflement reste la fraude la plus courante », dit Yvon Parmentier, du cabinet Gravel David Rouleau & Associés. L’assuré déclare le vol de 25 objets alors qu’on ne lui en a volés que 15.
Le sinistre intentionnel consiste par exemple à faire bruler, voler ou disparaitre son véhicule parce qu’elle a un problème mécanique ou un kilométrage trop élevé dans le but d’en percevoir l’indemnité. « Parfois l’accident est arrangé et la réclamation pour le véhicule est demandée à plusieurs assureurs », raconte Mme Leclerc. Quant au faux sinistre, il n’a jamais eu lieu.
De nombreuses compagnies d’assurance luttent contre la fraude à l’assurance par le biais notamment d’unités d’enquêtes spéciales. Le BAC essaie, de son côté, de sensibiliser les assurés aux méfaits de la fraude qui contribuent notamment à augmenter les primes.
D'autres éléments comme le divorce du réclamant, une maladie, un déséquilibre ou un stress peuvent alerter les experts en sinistre. Ainsi, au cours de l'enquête qui suit la réclamation, ils sont particulièrement attentifs à la situation financière du réclamant. Ils peuvent alors avoir accès aux renseignements personnels sur le réclamant, et ce, avec son autorisation. Si la personne refuse, ce n'est pas bon signe, disent-ils.
Il faut aussi s'informer sur les éventuelles autres réclamations formulées par l'assuré. Car, bien souvent un fraudeur n'en est pas son premier coup d'essai. Autre point commun à de nombreux fraudeurs : le dossier criminel. « Ils faut qu'on vérifie le dossier des réclamants pour savoir s'ils n'ont pas commis de vols de dépanneurs ou de véhicules par exemple», ajoute M. Berthiaume.
Il semblerait que les fraudeurs ne mesurent pas la gravité de leur geste. « Voler son assureur n'est pas perçu comme quelque chose de grave. En plus, c'est extrêmement rentable pour les fraudeurs, surtout pour les automobiles. En matière de gonflement de la réclamation, les gens hésitent encore moins à frauder », souligne Yvon Parmentier, expert en sinistre senior au sein du cabinet Gravel David Rouleau & Associés.
Difficile à quantifier
La fraude à l'assurance demeure aussi un phénomène difficile à quantifier. Les dernières données dont Bureau d'assurance du Canada (BAC) dispose sur ce sujet datent d'il y a dix ans. L'organisme y avançait qu'entre 10 % et 15 % seraient frauduleuses, ce qui couterait près de trois milliards de dollars (G$) à l'industrie de l'assurance, tous segments confondus.
Le Journal de l'assurance a aussi fait une tournée des assureurs pour obtenir des chiffres. Dans certains cas, les assureurs ne tiennent pas de données sur le phénomène. Quant aux autres, ils n'ont pas voulu partager leurs chiffres sur la fraude à l'assurance.
Selon Yvon Parmentier, une réclamation sur 20 pourrait présenter des éléments de fraude. C'est toutefois un taux qui varie, précise-t-il.
De son côté, AXA Assurances considère qu'environ 1 % des dossiers sont potentiellement frauduleux chaque année », rapportent Louise Leclerc, vice-présidente, indemnisation technique, et Gilles Beaulieu, directeur, unité spéciale d'enquêtes au sein du service de l'indemnisation.
Autre difficulté, les assureurs n'ont pas tous la même définition de ce qu'est une fraude à l'assurance, souligne Robert Rochon, directeur technique, pertes majeures et unité d'enquête spéciale chez Co-operators. « Il faudrait que les personnes chargées de produire des statistiques s'entendent sur la définition d'une fraude à l'assurance pour que celles-ci soient pertinentes », dit-il.
Anne Morin, responsable des affaires publiques au sein de l'organisme, confie que c'est pour cette raison que le BAC a de la difficulté à déterminer quels sont les secteurs les plus touchés par la fraude à l'assurance.
Fraudes plus nombreuses en automobile
Les intervenants interrogés par le Journal de l'assurance s'entendent aussi sur un point : c'est en automobile qu'il y a le plus de réclamations frauduleuses. « Il y a beaucoup de voitures volées chaque semaine au Québec. Par conséquent, il y a énormément de réclamations. La loi des grands nombres s'appliquant, le risque de voir émerger un plus grand nombre de réclamations frauduleuses est accru », dit André Yergeau
Un autre facteur pourrait influencer la fraude en automobile selon Charles Berthiaume : l'absence d'enquête sur le terrain après réclamations. « Comme l'enquête se fait souvent au téléphone, il n'y a pas de contrôle des circonstances de l'accident. Il n'y a pas de confrontation directe avec le réclamant, ce qui facilite le geste frauduleux. À l'inverse, après une réclamation pour incendie, les experts visitent les locaux endommagés », dit-il.
Toutefois, certains assureurs mènent des enquêtes. C'est le cas d'AXA Assurances. « Les véhicules volés et incendiés vont tous à l'enquête. Les fraudeurs doivent le savoir, car ces dossiers ont ainsi diminué de 50 % au cours des dix dernières années », mentionne Louise Leclerc.
Le secteur de l'automobile n'est toutefois pas le seul touché. Celui de l'habitation l'est aussi. Les fraudes en ce qui a trait au résidentiel portent souvent sur la quantité ou sur la valeur des biens du réclamant, observe M. Berthiaume.
Toutefois, un scénario se répète depuis quelque temps, soit les réclamations découlant d'incendies dans des maisons où des locataires faisaient pousser du cannabis. « Comme les installations prévues à cet effet demandent beaucoup d'électricité et d'arrosage, il arrive que cela provoque un incendie. L'humidité générée par le dispositif cause aussi des dégâts », explique M. Yergeau. Il s'agit d'une réclamation frauduleuse, car la culture de cannabis est interdite par la loi et n'a donc pas pu être signalée lors de la souscription.
Autre type d'incendies volontaires : celui qui vise à annuler l'hypothèque. « Parfois des gens qui ne sont plus en mesure de la payer décident de bruler leur maison. Ils veulent ainsi éliminer la dette », relate M. Yergeau.
L'incendie volontaire existe aussi en entreprises. « Dans de tels cas, les réclamants cherchent à régler leurs comptes, dit M. Parmentier. Nous avons aussi des réclamations concernant des débits de boissons ».
Chez AXA, on remarque que de potentielles réclamations frauduleuses touchent le matériel électronique. À l'inverse, il y en a moins concernant les bijoux et fourrures, car les gens en portent moins. Les fraudeurs ne sont pas tous ingénieux. Charles Berthiaume se souvient être intervenu après un incendie dans une maison, déclenché, selon le réclamant, par un chaudron laissé sur la cuisinière alors qu'il était chez le dépanneur. Après enquête, l'expert constate que les quatre plaques de la cuisinière étaient restées allumées.
Ainsi, les experts en sinistre doivent veiller à la cohérence des témoignages. Même démarche au sein de l'unité spéciale d'enquête d'AXA : « Nous sommes attentifs aux discours des conjoints par exemple. Nous veillons à ce qu'il n'y ait pas de contradictions. Les documents ou factures altérés peuvent aussi être des indices », souligne Louise Leclerc.