En assurance de dommages des biens, les assureurs ajustent normalement la tarification en fonction d’une augmentation moyenne de 4,5 % par année pour considérer les coûts de reconstruction. Selon le grand patron d’Opta Intelligence informationnelle, cette mesure d’indexation ne suffit plus du tout à considérer l’impact de l’inflation. Cet écart augmente le problème des valeurs assurables insuffisantes.
Lors d’un entretien avec le Portail de l’assurance, Greg McCutcheon a fait part des efforts qu’il mène comme PDG d’Opta pour sensibiliser les courtiers et les assureurs à l’impact de l’inflation sur la tarification en assurance des immeubles résidentiels ou commerciaux.
M. McCutcheon a déjà fait des présentations devant des groupes de courtiers dans plusieurs provinces et il espère venir bientôt au Québec pour faire de même.
L’inflation
Les pressions inflationnistes ont frappé partout sur la planète en 2022 et le Canada n’y a pas échappé, souligne-t-il. En juin 2022, l’indice des prix à la consommation a atteint 8,1 % sur une base annuelle, le plus haut taux atteint en 39 ans.
En conséquence, les coûts de construction des édifices commerciaux ont augmenté de 12,5 % en 2022, soit la hausse la plus élevée depuis 1981.
Opta constate aussi qu’en 2021, la valeur des permis de construction a atteint 126,5 milliards de dollars (G$), ce qui représentait une hausse de 25,6 % sur l’année précédente. Il s’agit du taux annuel de croissance le plus élevé jamais enregistré.
« Durant la pandémie, les gens ont investi dans leur résidence, car ils voulaient avoir plus d’espace ou de confort comme ils travaillaient à partir de la maison », dit-il. Il y a eu des investissements dans les piscines et la transformation des sous-sols en espaces habitables.
En même temps, l’année 2022 a été la troisième plus coûteuse de l’histoire récente du Canada en matière de dommages assurés, à 3,1 G$. Il souligne notamment les dégâts causés par le derecho de mai 2022, qui ont totalisé 1 G$ en Ontario et au Québec, et l’ouragan Fiona qui a frappé l’est du Canada en septembre et entraîné des dommages assurés de plus de 800 millions de dollars (M$).
« Ce sont des chiffres importants qui ont un impact sur notre industrie, et ce, dans une très courte période », ajoute M. McCutcheon.
En sus, les coûts de la réassurance ont grimpé de manière sensible lors du renouvellement des traités en janvier 2023. « Notre plus gros client était capable de couvrir à même ses propres capacités une limite de 50 M$. Il doit désormais augmenter sa limite à 110 M$ avant de pouvoir utiliser son contrat de réassurance », dit-il.
Le ratio des coûts d’exploitation de cet assureur a ainsi grimpé de 2 % juste en raison de la réassurance. « Et les réassureurs pointent justement du doigt la mauvaise évaluation des coûts de reconstruction comme un des principaux facteurs expliquant cette correction des taux », poursuit-il.
Plus que la moyenne
Greg McCutcheon estime que les assureurs doivent refaire leurs devoirs en matière de tarification pour mieux considérer l’inflation. Il note qu’un client correctement assuré ne devrait pas avoir à subir une hausse systématique de sa limite chaque année. À son avis, imposer à tout le monde cette hausse moyenne de 4,5 % équivaut à faire payer la facture des clients mal assurés par ceux qui sont adéquatement couverts.
D’autre part, cette indexation de 4,5 % ne suffit plus à couvrir l’inflation. « Quand il faut payer des indemnités pour des pertes totales, on se rend compte que les propriétés sont largement sous-assurées », dit-il.
Dans le graphique ci-dessous, Opta a évalué l’évolution des coûts de reconstruction pour le secteur résidentiel, sur trois ans et sur cinq ans. À l’échelle canadienne, ces coûts ont grimpé de 19,4 % en trois ans et de 32,3 % en cinq ans.
En Ontario, au Québec, en Colombie-Britannique et en Alberta, qui sont les provinces où l’on trouve les plus grandes agglomérations urbaines, on voit que la hausse des coûts a été supérieure à la moyenne canadienne lors des cinq dernières années.
Pour les trois dernières années, il n’y a qu’en Ontario où la hausse des coûts a été légèrement inférieure à la moyenne nationale.
Chez Opta, on valide régulièrement les coûts de reconstruction des portefeuilles immobiliers des grands assureurs en habitation. S’il y a une minorité d’édifices qui sont correctement assurés, chaque fois, la firme souligne qu’elle en trouve dont la valeur assurable est sous-estimée de 100 %.
Dans l’immobilier commercial, Opta note également que les trois agglomérations urbaines où les coûts de construction ont grimpé le plus rapidement ces dernières années sont Toronto, Ottawa et Montréal.
« Il n’y a aucun indice qui laisse croire que la tendance ira en diminuant », insiste Greg McCutcheon. La pénurie de main-d’œuvre qualifiée dans l’immobilier commercial ou institutionnel ainsi que le coût des matériaux et du transport alimentent encore plus l’inflation dans ce marché.
Le cas des provinces maritimes
Concernant la remontée des coûts de construction à la suite des sinistres causés par l’ouragan Fiona en septembre 2022, Greg McCutcheon rappelle la situation particulière qui prévaut dans les provinces maritimes. « On peut avoir une maison dont la valeur foncière est de 85 000 $, mais qui est assurée pour 250 000 $ en cas de perte totale, car c’est ce que ça coûtera pour la reconstruire. Ce n’est pas une bonne chose », dit-il.
Lors d’un récent passage dans les Maritimes, on a rapporté à Greg McCutcheon que de nombreux dossiers de réclamation qui ont suivi le passage de Fiona n’étaient pas encore fermés. Bien des propriétaires ont découvert que l’indemnité offerte par l’assureur était loin de suffire à couvrir le coût de reconstruction.
Le climat
Comme on le constate en 2023 au Canada, les sinistres climatiques liés aux inondations ou aux feux de forêt augmentent en fréquence et en intensité. La température se réchauffe plus vite au pays et c’est encore plus vrai dans la partie septentrionale du Canada. Les impacts du réchauffement ne peuvent plus être niés, selon Greg McCutcheon.
« Historiquement, les assureurs voyaient le Canada comme un endroit où les catastrophes climatiques étaient rares par rapport aux États-Unis, où il y a plus souvent des ouragans et des tornades », rappelle-t-il. Ce n’est plus le cas.
En conséquence, les Souscripteurs des Lloyd’s de Londres ont commencé à se retirer de certains marchés en assurance aux entreprises ces dernières années. Cette frilosité des assureurs n’est pas une bonne nouvelle pour les segments où la concurrence est déjà insuffisante, indique Greg McCutcheon.
On le voit avec les assureurs qui désertent des États comme la Californie ou la Floride en raison des catastrophes naturelles.
Similaire aux États-Unis
Dans un blogue récent publié par l’agent général Burns & Wilcox, les experts consultés soulignent l’effet d’entraînement de l’inflation sur la sous-assurance des propriétés résidentielles aux États-Unis.
« Si les assurés ne font pas réévaluer leurs biens par des experts qui connaissent le coût de reconstruction ou de remplacement, il y a de bonnes chances qu’ils soient largement sous-assurés », indique Heather Posner, vice-présidente adjointe de la firme.