Prévoir la récurrence et la sévérité des aléas météorologiques au Canada est un exercice périlleux. Ce l’est encore plus pour la fréquence et la sévérité des épisodes de pluie verglaçante, un phénomène météorologique qui est fort mal documenté, selon une étude récente.

Christopher McCray

Christopher McCray est spécialiste des simulations et analyses climatiques du consortium Ouranos. En entrevue avec le Portail de l’assurance, il rappelle que cet organisme a vu le jour peu de temps après la grande tempête de verglas qui a paralysé le réseau de distribution d’électricité en janvier 1998, ce qui a plongé une bonne partie du Québec dans la noirceur. La société d’État Hydro-Québec voulait mieux comprendre l’effet des changements climatiques sur son réseau.

L’étude de la pluie verglaçante demeure un sujet complexe, indique M. McCray. Les données requises pour décrire ses caractéristiques ne sont pas toujours disponibles. On parle de la durée de l’épisode ou de l’accumulation de glace, « mais rarement des deux. Bien qu’il soit possible de lier ces deux caractéristiques de la pluie verglaçante, la conversion directe entre les durées et les accumulations demeure approximative », souligne-t-on dans l’étude Évolution de la pluie verglaçante au Québec, publiée à l’automne 2024. Christopher McCray en est l’un des auteurs avec Dominique Paquin.

Dans cette mise à jour des connaissances scientifiques sur la pluie verglaçante, Ouranos fait observer que les pannes d’électricité de janvier 1998 ont été provoquées par deux épisodes successifs qui ont laissé une épaisse couche de verglas sur la végétation et les infrastructures.

Conditions requises

Peu importe la température à la hauteur du sol, durant l’hiver, la précipitation qui tombe des nuages est sous forme de neige, précise M. McCray. Celle-ci se met à fondre lorsqu’elle traverse une couche d’air plus chaud sous les nuages où la température dépasse le point de congélation.

Cette eau peut à nouveau geler en traversant une autre couche d’air plus froid à quelques kilomètres au-dessus du sol ou en touchant les surfaces plus froides au sol. Si les surfaces ne sont pas gelées, ou si la couche d’air chaud plus près du sol est trop épaisse, cette eau restera sous forme de pluie ou de grésil.

Le réchauffement du climat modifiera la trajectoire des épisodes de pluie verglaçante au Québec, selon l’étude d’Ouranos. Le sud du Québec est l’une des régions du continent où la pluie verglaçante se produit le plus fréquemment. En raison de leur topographie, les vallées sont propices à la formation de la pluie verglaçante.

Les valeurs médianes les plus élevées se trouvent dans les vallées du fleuve Saint-Laurent et de la rivière des Outaouais, qui reçoivent annuellement de 40 à 50 heures de pluie verglaçante, suivies par la vallée de la rivière Saguenay, avec de 30 à 40 heures par année. La vallée de la rivière Richelieu est aussi favorable à la formation de pluie verglaçante.

« La pluie verglaçante peut aussi être formée lorsque la température en altitude est à la fois trop chaude pour former de la neige et trop froide pour former de la pluie. Dans ce cas, les précipitations se trouvent, dès leur formation, sous forme d’eau surfondue, et gèlent ensuite au contact d’objets dont la température est négative. Ce type de formation est moins courant au Québec », indique-t-on dans l’étude d’Ouranos.

« Au sud du Québec où il y a beaucoup de verglas actuellement dans la vallée du Saint-Laurent, en général, on projette une légère diminution de la fréquence de pluie verglaçante. En hiver, on le voit de plus en plus, la température dépasse le point de congélation, donc trop chaud pour que l’eau gèle en contact avec le sol », explique Christopher McCray.

Au nord du 50e degré de latitude, les conditions propices seront davantage présentes. Les projections où les probabilités de pluie verglaçante sont les plus élevées sont près de la frontière du Labrador. « C’est un territoire peu habité, mais on y trouve des infrastructures importantes de transport d’électricité », précise-t-il.

Épisodes extrêmes

Seulement un pour cent (1 %) des épisodes de pluie verglaçante observés en Amérique du Nord durent 18 heures et plus. En janvier 1998, les deux épisodes très rapprochés ont totalisé cinq jours.

Le 1er avril 2023, l’épisode de pluie verglaçante a duré 13 heures. Il a néanmoins été assez long pour endommager la forêt urbaine et provoquer des pannes électriques dans la grande région métropolitaine de Montréal. Malgré les recommandations de la commission Nicolet qui a analysé les impacts de la tempête de janvier 1998, les fils électriques ne sont toujours pas enfouis sous terre dans les grandes agglomérations.

Dans son rapport, Ouranos souligne également la difficulté de développer des modèles qui tiennent compte de la topographie et des fines variations de température en surface. Cette modélisation devient nécessaire si l’on veut obtenir une représentation adéquate de la pluie verglaçante, notamment dans la vallée du fleuve Saint-Laurent.

« Dans une région qui observe historiquement des conditions propices à la formation du verglas, un réchauffement de l’atmosphère pourrait faire en sorte que les températures en surface inférieures à zéro deviennent moins fréquentes, et une diminution de la pluie verglaçante pourrait être envisagée », indique-t-on dans le rapport.

Cependant, dans les régions plus froides où ce type d’épisode de verglas est rare, le réchauffement de l’atmosphère au niveau de la couche d’air chaud pourrait favoriser la formation de pluie verglaçante au détriment de la neige. Le Québec se situe à la frontière de ces deux zones et selon l’ampleur du réchauffement, entre 2 °C et 4 °C, les changements attendus seront très différents d’une région à l’autre.

Les dommages causés par les événements extrêmes, comme ceux survenus en janvier 1998 et en avril 2023, sont plus difficiles à modéliser, car ces épisodes sont très rares. Le niveau de confiance des résultats modélisés est moyen, sinon bas pour les rares études à avoir projeté les changements liés au réchauffement du climat.

La combinaison du verglas et des vents forts peut contribuer à empirer les dommages à la végétation et aux infrastructures. Pour la vallée de la rivière Saguenay, les différentes simulations montrent une augmentation de l’épaisseur de la glace et de l’intensité des vents pour les événements ayant une période de retour de 50 ans. Les simulations ne permettent pas de tirer de conclusions certaines pour les autres régions.

Fin du siècle

Selon le scénario utilisé, par rapport à la période 1980-2009, le nombre d’événements de pluie verglaçante d’ici à la fin du siècle (2070-2100) sera semblable aux changements projetés avec les divers degrés de réchauffement planétaire, soit une diminution dans les basses terres du Saint-Laurent, une grande partie des régions de l’Outaouais, de la moitié sud de l’Abitibi-Témiscamingue et du littoral de la Côte-Nord et du Nunavik. Plus d’événements sont prévus dans le reste du Québec.

L’étude d’Ouranos souligne aussi que distribution saisonnière de la pluie verglaçante sera modifiée. Le nombre d’heures de pluie verglaçante à l’automne devrait diminuer partout au Québec, peu importe l’ampleur du réchauffement. Au printemps, les régions plus au sud peuvent s’attendre à des diminutions.

Pour la période hivernale, dans le scénario d’un réchauffement planétaire de 4 °C, la moyenne des durées médianes de pluie verglaçante devrait diminuer dans la vallée du Saint-Laurent, ainsi que tout au long du littoral de l’estuaire et du golfe. En revanche, pour la région située entre le 50e et le 55e parallèle, des augmentations allant jusqu’à 10 heures de plus par saison sont attendues.

Réchauffement du climat

Sur la thématique générale des événements extrêmes toutes saisons confondues, le Canada a connu plusieurs sinistres naturels majeurs durant l’été 2024. Dans le contexte où la température moyenne y grimpe plus rapidement qu’à l’échelle du globe, on peut prévoir que les journées de canicule et les précipitations iront en augmentant au fil des ans, indique Christopher McCray.

Il rappelle que « plus il fait chaud, l’air a plus de capacité à retenir l’humidité ». Chaque degré Celsius de réchauffement équivaut à 7 % en humidité supplémentaire.

D’ici la fin du siècle au Canada, le climat se réchauffera de trois à dix degrés, selon la région et le scénario climatique, disent les experts en simulation du climat. Pour le même événement dans le climat actuel qui se reproduira dans le futur où il fera plus chaud, « il y aura de fortes chances que cet événement-là produise plus de précipitations », souligne M. McCray.

Ouranos a mené de nombreuses études sur l’érosion des berges du fleuve Saint-Laurent et la submersion côtière, puis sur les débordements de cours d’eau lors des crues printanières. En matière d’adaptation au climat, les chercheurs du consortium proposent des mesures de mitigation des impacts causés par les inondations pluviales en milieu urbain.

« On essaie de pousser des mesures d’adaptations un peu inspirées de la nature, comme déminéraliser les sols, enlever l’asphalte et le béton et de les remplacer par des surfaces plus perméables, justement pour enlever un peu de pression sur le réseau d’égouts », dit-il.

« Il n’y a aucune ville qui va être capable de complètement refaire des égouts centenaires en même temps partout », ajoute M. McCray.

Concernant la récurrence des dommages causés par les feux de forêt, les conditions de chaleur précoce et de sécheresse qui ont été notées en 2023 au Québec sont susceptibles de survenir plus souvent, selon l’expert d’Ouranos. À cet égard, il constate que la gestion du territoire et l’intervention humaine peuvent contribuer au déclenchement et à la propagation des feux.

Le réchauffement des océans met à risque de nombreuses agglomérations densément peuplées. « Les mouvements de population et la migration climatique qui seront engendrés par les désastres, c’est quand même préoccupant », dit-il.