Le domaine des affaires doit aujourd’hui faire face à quatre transformations majeures. Pour la première fois de l’histoire, tous ces défis surviennent en même temps.
Le 23 janvier dernier, Geneviève Fortier, cheffe de direction de Promutuel Assurance, était invitée par le Cercle canadien de Montréal pour discuter de la question. D’entrée de jeu, elle précise que, malgré le contexte actuel, elle refuse de se présenter devant 300 leaders du monde des affaires pour répéter les prévisions macro-défaitistes de plusieurs économistes reconnus.
Mme Fortier vise au contraire à ce que, d’ici 2030, sa compagnie parvienne à doubler le cap du milliard en volume de primes atteint l’an dernier. Toutefois, sur une vision plus large, quatre formes de transformation viennent actuellement perturber l’ensemble de l’industrie : le climat, la numérisation, la démographie et la chaîne d’approvisionnement.
« C’est une tempête inédite qui vient influencer la façon dont on dirige notre organisation. Les réflexes que l’on avait ne sont plus les bons, et il faut se réinventer », dit-elle.
La transformation climatique
Madame Fortier cite ici les principaux problèmes découlant de la transformation reliée au climat :
- le climat géopolitique hypertendu entre de grandes puissances mondiales et toujours prêt à exploser ;
- les risques accrus de pandémies de toutes sortes menaçant à nouveau de prendre en otages plusieurs populations vulnérables.
Devant cette crise, elle propose les solutions suivantes :
- faire du Québec un champion du développement durable et de l’intervention conséquente des facteurs ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) ;
- protéger jalousement ses ressources telles que l’eau et l’électricité ;
- savoir les mettre au service d’une économie intelligente et réfléchie ;
- engager chacune des entreprises à faire des choix d’investissement, de production et de gestion responsable contribuant à la réduction des gaz à effet de serre ;
- assurer le recyclage des biens consommés à travers un modèle passant du linéaire au circulaire ;
- créer les incitatifs nécessaires pour qu’un mouvement de masse s’enclenche.
« Vous n’êtes pas que des décideurs. Vous êtes des influenceurs. La science a démontré que nous nous dirigions vers une catastrophe climatique prévisible à court terme. Elle est là. On ne peut plus la repousser. On doit y faire face. Et c’est là que le pouvoir de décision prend tout son sens », dit-elle.
À ses yeux, le plus important dans cette lutte aux changements climatiques, c’est que les influenceurs décident d’utiliser leur voix pour changer le cours des choses avec des gestes qui comptent, et en amenant d’autres personnes qui deviendront à leur tour des vecteurs de changement.
Geneviève Fortier met au défi tous les influenceurs assis devant elle pour qu’ils posent au moins un geste favorable à l’environnement.
La transformation numérique
La technologie s’étant imposée partout, le milieu des affaires ne peut plus continuer à utiliser les modèles d’hier devenus désuets. Les entreprises nagent dorénavant en pleine spirale de transformations numériques.
« Ce qui compte, c’est d’appuyer financièrement les entreprises qui font le choix d’accélérer leur transformation numérique afin de mieux servir leurs clients. Ce faisant, elles feront face plus efficacement aux enjeux des ressources humaines dans leur organisation et leur secteur d’activité », dit-elle.
Geneviève Fortier croit également que les entreprises devraient dès maintenant adopter des processus modernes d’automatisation et d’optimisation. De plus, ces innovations modernes devraient contribuer à répondre au défi de main-d’œuvre dans lequel le Québec est plongé.
« Nous continuons d’investir significativement dans le déploiement d’une stratégie omnicanale complète, incluant une partie de cette expérience en mode numérique, mais sans pour autant remplacer les interactions humaines là où elles sont souhaitées par nos membres assurés », note Mme Fortier.
La pandémie sera également venue changer le rapport qu’entretiennent les employés face à leur lieu de travail. « Chez nous, 53 % travaillent maintenant en mode hybride, 44 % sont en télétravail à la maison et ne viennent au bureau que lorsqu’ils sont conviés. Pourtant, la productivité continue d’être aussi bonne qu’avant la pandémie et le taux de roulement s’est stabilisé », dit-elle.
La transformation démographique
Selon Geneviève Fortier, les conséquences de la transformation démographique ont déjà rattrapé l’industrie. Plusieurs défis se dressent. « Une surchauffe récente du marché de l’immobilier, des taux d’intérêt élevés, une inflation galopante, un déséquilibre déconcertant du marché de l’emploi avec un nombre de postes largement supérieur à l’offre de candidats et un contexte d’économie de marché actuel créant de nombreuses barrières pour les jeunes ! Quel menu ! », dit-elle.
Elle suggère des pistes de solution :
- favoriser la réinsertion professionnelle de personnes aptes à l’emploi bénéficiant actuellement de programmes gouvernementaux ;
- promouvoir la diversité dans laquelle le Québec a déjà commencé à s’engager, mais en prenant grand soin, souligne Mme Fortier, de garder bien en vie la langue française.
La chaîne d’approvisionnement
Les dernières années de pandémie auront démontré les faiblesses des chaînes d’approvisionnement. Le coût de remplacement de certains biens s’est accru de manière exponentielle depuis trois ans.
« Pénurie de vaccins, de matériel médical, de puces électroniques et de conteneurs sont toutes des pénuries auxquelles nous avons été exposés ces trois dernières années. Cela a mis en position de vulnérabilité plusieurs de nos entreprises. Il est impératif d’accroître notre autosuffisance localement », dit-elle.
« Chez nous, tout comme chez les autres assureurs de dommages, nous sommes confrontés à une augmentation sans précédent des coûts de réparations des véhicules et des résidences, ainsi qu’à des délais extraordinairement longs pour assurer les réparations et les travaux après sinistre », précise Mme Fortier.
La situation entrave particulièrement le travail des compagnies d’assurance. « Comme compétiteur, nous travaillons à mettre en place des mécanismes pour que le coût relié aux intermédiaires de la chaîne d’approvisionnement en assurance ne mette pas indûment à risque les besoins qu’ont les consommateurs de s’assurer à un juste prix », dit-elle.
À l’échelle planétaire, les prix élevés de certains biens importés et la difficulté de les obtenir en cas de crise incitent à redéfinir les enjeux de production et de circulation.
« Pouvoir poser les gestes qui comptent pour agir sur le transport d’une chaîne d’approvisionnement, ça signifie identifier les plus grands risques à notre autonomie en cas de guerre, de pandémie, de catastrophe naturelle et d’investir rapidement et massivement dans les infrastructures pour assurer la production et la distribution de biens et denrées nécessaires à notre survie », souligne Mme Fortier.
En ce qui touche la relève
Alors que ces quatre transformations s’entrechoquent, la réaction des jeunes travailleurs est de déplorer que les vieux modèles ne correspondent plus à leurs valeurs. Les entreprises tentent alors de les retenir par de nouveaux moyens.
« On doit mettre en place des approches nécessaires pour assurer l’attraction et la fidélisation des talents, en allant bien au-delà des incitatifs financiers à court terme. Nous devons nous engager à redonner du sens au travail et au sentiment d’appartenance des employés », dit-elle.
L’une des stratégies dont Geneviève Fortier est actuellement témoin, c’est la décision de son entreprise d’assurer aux jeunes une présence en qualité d’observateurs au sein de son conseil d’administration. On les invite aussi à partager les activités qui ne rassemblaient généralement que les cadres plus âgés. Cela leur permet non seulement d’établir des contacts, mais aussi de devenir plus impliqués dans des discussions et des recherches de solutions.
« Nous devons donner une place beaucoup plus grande à la prochaine génération, et ce dans toutes nos structures de gouvernance d’entreprise et opérationnelles », insiste Mme Fortier.
De quoi les générations Y et Z souhaiteraient-elles discuter avec celles les ayant précédées? Possiblement des sujets à propos desquels les jeunes veulent des progrès :
- la charge mentale dans plusieurs secteurs d’activités ;
- l’absentéisme et des solutions pour le régler dans certains secteurs ;
- les iniquités sociales, économiques et raciales ;
- les gaz à effets de serre ;
- l’empreinte écologique.
« Je me suis aussi dit qu’ils penseraient qu’on devrait faire mieux en termes de déficit de capital minimal pour l’acquisition d’une première maison. C’est tough d’avoir 25 ans. Et je suis également convaincue qu’ils souhaiteraient que nous arrêtions de parler et que nous nous mettions à agir », indique-t-elle.
Geneviève Fortier suggère de traiter « cette jeunesse inspirante » avec beaucoup d’égards et d’en prendre soin, notamment en s’engageant à ne pas embaucher des travailleurs de 12, 13 ou 14 ans pour pourvoir les postes vacants. Selon elle, il vaut mieux les laisser se concentrer sur leurs études et leur adolescence.
En conclusion, elle pose une question aux leaders actuels : comment peut-on se permettre de façonner la société dans laquelle les prochaines générations vont évoluer sans leur demander leur avis, ou pire encore en prenant des décisions qui affecteront leurs capacités à entrer avec confiance dans leur vie d’adulte?