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Changer la stratégie pour inciter à l’épargne

par Alain Castonguay | 14 novembre 2019 15h04

Claude Gagnon (à la tribune), Bernard Morency, René Beaudry et Robert Dumas

Selon Robert Dumas, président de la Financière Sun Life au Québec, on a tenté sans succès de responsabiliser les gens à l’importance de l’épargne. Il faut donc changer l’approche.

Dix ans plus tôt, alors qu’il était toujours chez Mercer, M. Dumas concevait des régimes de retraite. « Ces dernières années, j’ai écouté les participants de ces régimes. J’aurais peut-être fait mon travail différemment si j’avais eu cette expérience », raconte-t-il.

M. Dumas était l’un des trois experts lors d’une discussion tenue à l’heure du midi dans le cadre du colloque sur la retraite, le 5 novembre dernier, à Québec. La 7e édition de cet évènement était organisée par le Cercle finance du Québec et les CFA Québec.

Même si l’employeur conçoit un régime très solide, les participants doivent y adhérer et en comprendre les principes, déterminer leur capacité de cotisation et le niveau de cette épargne, choisir le véhicule de placement, etc. Si le travail a été bien fait au départ, il n’en demeure pas moins que c’est toujours le cotisant qui détermine la suite, indique M. Dumas.

Une vaste enquête

Le rapport « Objectif d’épargne 2019 » de Sun Life compile ainsi les commentaires de 1,3 million de participants à 7 300 régimes, lesquels gèrent des actifs d’environ 85 G$. Quelque 38 % de ces régimes comportent une cotisation obligatoire du salarié.

Dans les régimes où la participation est volontaire, seulement 60 % des gens cotisent. « Aux États-Unis, lorsque la cotisation est le choix par défaut, la participation grimpe à 80, voire 85 % dans certains cas », ajoute-t-il. En conséquence, il suggère de retenir cette option de la contribution par défaut, ce qui oblige l’employé à décider de ne pas cotiser.

Près de 80 % des régimes des employés salariés comportent des cotisations patronales complémentaires. Dans certains cas, elles peuvent représenter une partie, voire la totalité des contributions au régime. Or, 80 % participants aux régimes considèrent que la cotisation complémentaire de l’employeur est le principal avantage de l’épargne au travail et ils y attachent une grande importance, précise M. Dumas.

En l’absence d’une telle cotisation de l’employeur, le véhicule est nettement moins attrayant pour le participant. Il suggère donc de concevoir les régimes où l’adhésion est automatique, avec des options d’épargne à plus court terme. Quand ces régimes comprennent une cotisation patronale, on doit offrir des options simplifiées de placement, car 80 % des salariés finissent par n’en choisir aucune et se retrouvent à adhérer à l’option par défaut, laquelle ne correspond pas toujours à leurs besoins.

Une étude menée sur cinq ans, menée conjointement avec Emploi et Développement social Canada, a permis à la FSL de simplifier le processus d’adhésion. « On présente la cotisation de l’employé, celle de l’employeur, et l’impact des cotisations supplémentaires. Pour la stratégie de placement, on suggère à l’employé qui ne veut pas se casser la tête de sélectionner un placement avec une date d’échéance. S’il veut autre chose, c’est possible », dit-il. Et on peut aussi offrir à l’employé de joindre le groupe plus tard.

Grâce à ce processus simplifié, après cinq ans, on observe que 95 % des gens ont pris leur décision sur-le-champ. Le taux d’inscription a grimpé de 25 % et les cotisations individuelles ont augmenté aussi. Le taux de succès de l’adhésion par le formulaire papier n’est que de deux sur 10, tandis que l’adhésion en ligne obtient un succès de presque 100 %.

Chez Sun Life, on a créé le concierge numérique, une combinaison de l’analyse de données et de l’intelligence artificielle. On peut ainsi encourager le participant à se procurer, par exemple, une assurance vie pour sa conjointe et le nouveau bébé. Ce concierge numérique a un portefeuille de 200 idées à partager.

La plateforme Ella propose la solution ciblée en fonction des besoins propres du participant. « Le participant vient s’informer plus souvent sur les différentes plateformes. En plus, les sommes qu’il cotise sont plus élevées », raconte M. Dumas. En 2018, le système a généré quelque deux-millions d’appels et le taux de participation des cotisants est en hausse.

On utilisera la science comportementale pour augmenter le taux d’adhésion. Les participants réagissent davantage lorsqu’on leur présente ce que font les autres participants ayant un profil similaire. « Les gens veulent être accompagnés et sentir qu’ils ont fait le bon choix », souligne Robert Dumas.

L’environnement avant la retraite

Claude Gagnon, président de BMO Groupe financier au Québec, note qu’environ un demi-million de personnes ont marché dans le centre-ville de Montréal, le 27 septembre dernier, pour presser les dirigeants de s’occuper de la lutte aux changements climatiques.

« On parle ici de retraite, alors qu’une bonne partie de notre population se préoccupe davantage de l’état du monde dans quelques décennies. Je ne peux m’empêcher de me demander comment on peut arrimer ces deux concepts », indique M. Gagnon.

Parler d’épargne et de retraite reste difficile dans notre société, ajoute-t-il. Il estime que l’industrie financière a collectivement échoué à sensibiliser les gens à l’importance de l’épargne. Quelque 46 % des Canadiens n’ont aucun plan pour leur retraite, et 53 % des Québécois sont dans la même situation. Tant au Québec qu’ailleurs au pays, les gens sous-estiment les montants qu’ils devront épargner pour suppléer à leurs besoins à la retraite.

Le niveau d’endettement des Québécois ne cesse de progresser. Comme la moitié des salariés vivent d’un chèque de paie à l’autre sans épargner, on comprend mieux pourquoi la moitié des 25-40 ans n’a jamais pris la peine d’évaluer combien il faut épargner pour la retraite, dit-il.

Encore trop de gens pensent pouvoir vivre exclusivement des prestations gouvernementales rendues à la retraite. « Il faut se préparer, et ça presse », insiste M. Gagnon. Il y a encore beaucoup de travail à faire, de la part de tous les intervenants de l’industrie, pour développer cette culture de l’épargne.

Claude Gagnon suggère de profiter de la vigueur économique actuelle pour créer les conditions nécessaires à affronter le défi du vieillissement démographique. Il faut aussi se préoccuper de l’amélioration de la productivité des entreprises québécoises, lesquelles trainent de la patte sur celles du reste du pays.

Éduquer X et Y

Bernard Morency, qui a passé 30 ans chez Mercer avant de devenir professeur associé à HEC Montréal, animait la discussion, à laquelle participait aussi René Beaudry, de Normand Beaudry. (NDLR : Les propos de M. Beaudry ont été préalablement publiés dans un autre texte. Pour le consulter, cliquez ici.)

M. Morency rappelle que près de 20 % de la population du Québec est âgée de 65 ans ou plus, et que ce groupe formera 26 % de la population en 2031, qui comptera 9,1 millions de Québécois. Les plus jeunes boumeurs auront déjà alors 65 ans. En 2019, dans le secteur privé, à peine 10 % des travailleurs ont accès à un régime collectif.

En 2031, la génération X (50-64 ans) comptera 1,7 million de personnes. Les membres de la génération Y (30-49 ans) seront 2,3 millions. « Il faudra continuer à éduquer ces générations à la nécessité de l’épargne et à remplir nos promesses en matière de rendement et surtout, les promesses en matière de soins de santé d’une population vieillissante », note M. Morency.

Impact du RVER : peu spectaculaire

Selon Robert Dumas, l’arrivée du régime volontaire d’épargne retraite (RVER) est une bonne nouvelle puisqu’on a obligé les employeurs à instaurer un régime de retraite, peu importe sa forme. Toutefois, les résultats ne sont pas spectaculaires pour l’assureur. Dans les entreprises où Sun Life distribue le produit, la moitié des salariés ont choisi de cotiser au RVÉR. La cotisation moyenne est d’environ 1 000 $ par année.

Après trois années, le solde cumulatif demeure modeste. Est-ce que ça suffit ? « Probablement pas. On ne visait pas à combler tous les besoins à la retraite, mais à créer une habitude à l’épargne », note M. Dumas.

Il constate par ailleurs qu’il y a eu autant de nouveaux régimes de retraite qui ont été conçus depuis le lancement du RVER. « En conséquence, si on veut analyser l’impact de ce nouveau véhicule de retraite, il faut regarder la hausse globale des participants à un régime », poursuit-il.

Le rôle du conseiller

En matière de littératie financière, Robert Dumas estime que l’on ne peut transmettre l’information sur le régime sans accompagner l’adhérent. Sun Life collabore à Porte-Monnaie, une plateforme numérique avec Québecor, orientée vers les 20-39 ans. On n’y parle jamais d’épargne ou de retraite, mais on y prodigue des conseils sur la gestion des finances personnelles : combien ça coute, avoir un enfant ? Comment peut-on obtenir un meilleur forfait d’abonnement au cellulaire ?

« On voit qu’il faut faire la mise en marché du produit d’épargne. On ne peut pas juste donner ça aux gens en leur disant d’être responsables, ça ne marche pas », souligne M. Dumas.

Robert Dumas constate lui aussi que le conseiller financier a désormais les outils pour desservir un plus large bassin de clients. « La technologie, certains la voient comme un concurrent du conseiller, c’est plutôt une extension qui lui permet de se concentrer à mieux comprendre les besoins de ses clients », dit-il.

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