Le président du Mouvement Desjardins, Guy Cormier, estime qu’il est temps pour la société de réfléchir à ce que deviendra l’économie après la pandémie de la COVID-19. Selon lui, il faudra apprendre à mesurer la santé de notre économie autrement que par la seule croissance du produit intérieur brut (PIB).
M. Cormier était invité du Cercle finance du Québec lors d’une conférence virtuelle présentée le 18 février dernier avec la collaboration de la Chambre de commerce de Lévis. Après son allocution, la directrice générale de cet organisme, Marie-Josée Morency, lui a posé des questions sur les gestes posés par Desjardins pour soutenir ses membres et les entrepreneurs durant la crise.
Tenir une conférence en mode numérique et travailler de la maison sont désormais des activités bien ancrées dans les mœurs, selon Guy Cormier. « Il y a des effets collatéraux au télétravail, notamment sur la demande de pieds carrés dans les immeubles de bureaux et les espaces commerciaux. Il y a des impacts sur les moyens de transport, les revenus fiscaux et même sur la construction résidentielle », souligne-t-il.
Après la pandémie, il faudra relancer l’activité économique dans les centres-villes dont dépendent de nombreux entrepreneurs. « Le fait de rencontrer des gens en ville, ça aide à faire rebondir des idées. C’est une concentration d’intelligence et de créativité dans un même lieu et on en a besoin », plaide-t-il.
Le secteur privé, tout comme les gouvernements, a dû s’adapter à la pandémie. Le Mouvement a ainsi conclu des ententes de report de remboursement de prêts avec des milliers de clients et d’entreprises. Quelque 40 000 salariés de Desjardins ont été mis en mode télétravail en un temps record partout au pays, soit 80 % de son personnel.
Des dommages
La pandémie est une vraie tragédie humaine qui a causé de nombreux dommages et provoqué beaucoup de détresse. « Nous avons un devoir collectif de mémoire à l’égard de cette crise et on doit en tirer des leçons pour l’avenir », poursuit M. Cormier.
À l’été 2020, les économistes du mouvement prévoyaient une baisse du produit intérieur brut (PIB) de 4,5 % au Québec pour l’année 2020. La sévérité du deuxième confinement en octobre a plutôt fait baisser le PIB de 5,4 % et les emplois de 4,6 %. Selon lui, il faudra attendre la deuxième moitié de 2022 pour l’économie du Québec retrouver le même rythme que celui atteint en 2019.
Guy Cormier juge nécessaire d'aider trois groupes distincts sur le marché du travail. Premièrement, la fermeture des frontières a fait chuter le nombre d’immigrants et les effets se feront sentir lorsque les entreprises chercheront du personnel, comme c’était le cas avant la pandémie. Deuxièmement, de nombreux jeunes prendront du retard dans leur parcours académique et professionnel, ce qui accentuera les problèmes de relève. Troisièmement, les femmes occupent la majorité des emplois dans plusieurs secteurs parmi les plus éprouvés par la crise.
Des atouts pour sortir de la crise
Selon M. Cormier, les entreprises ont montré leur capacité d’adaptation en implantant le télétravail, en améliorant leur plateforme de commerce électronique et en investissant dans les technologies; elles sont devenues plus agiles et ont pu maintenir, voire augmenter leur productivité.
Une large majorité de Québécois ont réussi à maintenir leurs revenus et ont même augmenté leur taux d’épargne. Il leur sera plus facile de reprendre leurs dépenses de consommation. Le contexte des taux d’intérêt au plus bas devrait durer encore quelques années, prévoit-on chez Desjardins.
Dès l’été 2020, le marché du travail avait repris quelque 90 % des emplois perdus au début de la pandémie. La deuxième vague à l’automne a créé de nouvelles pertes d’emplois. « La reprise ne ramènera pas tous les emplois », prévient Guy Cormier, et il y aura toujours une pénurie de relève dans certains métiers. Le taux de chômage, qui était de 5,1 % en 2019, devrait être de 7,6 % en 2021 et de 7,1 % en 2022.
Le taux d’inflation devrait se maintenir, prévoit-on chez Desjardins. « Il faudra surveiller la montée des prix s’il y a une forte demande sans que l’offre suive », dit-il. Les banques centrales pourraient aussi changer de cap et tolérer une inflation plus élevée, mais rien ne le laisse présager.
Les déficits budgétaires records et la dette publique gonflée nous mènent-ils vers une crise des finances publiques? Tant que les taux d’intérêt sont bas et que les obligations gouvernementales trouvent preneurs, la situation sera maitrisée, selon les économistes de Desjardins. Guy Cormier demande aux gouvernements de préserver un certain ordre social, car la relance ne sera pas là pour tout le monde en même temps.
Pas juste le PIB
La pandémie a mis en lumière certains problèmes découlant du capitalisme débridé en vigueur depuis la décennie 1980, souligne Guy Cormier. Le seul indicateur du PIB a ses limites. « Dans une communauté, si la moitié des gens voit leurs revenus doubler, tandis que l’autre subit une baisse de 50 %, le PIB est en croissance, mais la détresse est aussi en hausse dans cette même société », illustre M. Cormier.
Citant une commission dirigée par l’économiste Joseph Stiglitz en 2009, Guy Cormier rappelle que le bien-être d’une population ne dépend pas seulement de son niveau de vie, que l’on relie généralement au PIB, mais aussi à la qualité de vie. Celle-ci est basée sur quatre types de capital : physique, naturel, humain et social.
Selon lui, il faudrait développer des indicateurs pour chacun de ces types de capital. « Imaginez si on avait une bourse sociale où les actions de l’entreprise prennent de la valeur lorsqu’elle réduit sa pollution de l’environnement ou ses accidents de travail, ou lorsqu’elle met en place un service de garderie dans ses murs », indique-t-il.
Cela n’est pas de la science-fiction. « Chez Desjardins, on appelle ça de la coopération », dit-il.
Des tendances
Cette crise est historique par l’ampleur de sa sévérité et de ses impacts. Guy Cormier note que trois tendances se dégagent de l’après-pandémie :
1) Les technologies et la révolution numérique, dont le télétravail et le commerce électronique ne sont que « la pointe de l’iceberg ». L’adoption de nouvelles technologies a été devancée de 3 à 5 ans dans plusieurs secteurs, voire de 10 ans pour d’autres;
2) le climat et l’environnement : de nombreux États préparent la relance de leur économie en favorisant les projets d’infrastructures plus écologiques et les moyens de transport soutenus par des sources d’énergie renouvelable. Guy Cormier suggère de sortir du modèle linéaire (extraction, transformation, utilisation et le rejet après usage), pour passer à l’économie circulaire. Desjardins investit 2 millions de dollars (M$) en 5 ans pour accompagner des projets pilotes supervisés par l’École de technologie supérieure et qui sont axés sur le cycle de vie des produits;
3) la transformation des valeurs : la crise a mis en évidence la nécessité des pouvoirs publics comme protecteurs du bien commun, mais aussi la difficulté d’agir quand les moyens sont limités. Il devient nécessaire d’établir des partenariats public-privé sur le thème de la responsabilité partagée, de la solidarité et du bien commun.
« Les défis à relever sont immenses. Il faut les aborder avec intelligence, courage et humanité, et nous en sommes capables, comme on vient de le prouver ces derniers mois », conclut-il.