De quelle façon l’inflation touche-t-elle certains des plus grands investisseurs au Canada — c’est-à-dire les régimes de retraite — et où ces derniers investissent-ils ? 

Lors d’un récent webinaire organisé par Pensions & Investments sur les divers facteurs auxquels font face les spécialistes en régimes de retraite, notamment la diversification, les catégories d’actifs privilégiés, les conditions climatiques et, bien entendu, l’inflation, les représentants de Fidelity Investments, Gestion de placements Manuvie, Sun Life, Aon, Finisterre et Amundi US ont fait part de leurs réflexions aux participants. 

L’inflation  

Le gestionnaire de portefeuille principal et chef mondial, Équipe Solutions multiactifs, de Manuvie, Eric Menzer, explique que la firme avait envisagé, dès le début de l’année, que l’inflation serait d’abord exacerbée avant que la situation ne se résorbe pour revenir à la normale au cours de 2022.

« Bien entendu, personne n’aurait pu prévoir une guerre entre la Russie et l’Ukraine ou l’émergence de risques géopolitiques partout dans le monde comme c’est actuellement le cas. Cela a de toute évidence changé la donne. » 

Pour l’instant, la firme s’attend à ce que l’inflation s’atténue d’ici la fin de 2022, ajoute-t-il. Elle devrait se stabiliser autour de 3 ou 4 % d’ici la fin de 2022.

Les experts réunis au webinaire ont évalué les régimes de retraite indexés ainsi que la fragilité des régimes de retraite non indexés dans la foulée de l’inflation. Selon eux, les régimes indexés touchent souvent davantage de personnes retraitées que les autres régimes de plus longue portée, moins près de leur maturité. Ils croient que les deux types de régimes subiront les répercussions de l’inflation de manière différente. 

« Si nous ne nous sommes pas penchés sur ces questions, c’est parce que nous étions dans un environnement où les taux d’intérêt et l’inflation étaient stables, faibles ou modérés durant 40 ans. » 

Dans les deux cas, il considère que même des fluctuations mineures et les prévisions en matière d’inflation peuvent provoquer à long terme des répercussions importantes ayant une incidence sur l’état du financement d’un régime de retraite. 

« Dans les cas extrêmes où les régimes indexés comportent des prestations entièrement indexées, le résultat est amplifié, car non seulement les salaires augmentent au fil du temps, mais les prestations sont également ajustées à la retraite », poursuit M. Menzer. 

En réalité, les régimes devront trouver des stratégies de placement et de rendement pour réduire l’écart créé par l’inflation. 

Pour pallier la situation, M. Menzer conseille aux entreprises d’évaluer de près leurs énoncés de politique de placement et de miser sur la flexibilité nécessaire pour s’adapter aux circonstances. 

« De toute façon, une évaluation de l’énoncé de politique de placement devrait se faire une fois l’an, quel que soit le régime de retraite », ajoute-t-il, en précisant qu’il s’agit d’une bonne pratique fiduciaire et de gouvernance.   

« La clé consiste à se donner une marge de manœuvre suffisante pour pouvoir ajuster la stratégie de placement, surtout parce qu’elle touche à d’autres catégories d’actifs. Il faut de la flexibilité pour y arriver. » 

La diversification   

Les dettes des marchés émergents, les actifs réels et les rentes représentent autant d’occasions à saisir pour les régimes de retraite. 

« Il est pratiquement impossible de prévoir quelle catégorie d’actifs présentera le meilleur rendement d’une année à l’autre », explique François Pellerin, stratège en catégories multiactifs à Fidelity. 

Il recommande également une gestion active du portefeuille. « Non seulement à des fins de rendement excédentaire, mais aussi à des fins de gestion du risque. Nous croyons qu’il faut une gestion active, en particulier quand il s’agit de revenus fixes. » 

Les dettes des marchés émergents 

Les dettes des marchés émergents, une catégorie d’actifs à revenu fixe selon Christopher Watson, gestionnaire de portefeuille principal à Finisterre Capital, ont d’abord été présentées aux participants du webinaire comme une option à envisager. « Nous croyons qu’une approche de rendement total est à privilégier, pour cette catégorie d’actifs. » 

Selon lui, si l’on observe l’univers des émetteurs de dettes des marchés émergents, on remarque leur grande présence — positive de surcroît — relativement aux produits de base. 

Le cycle d’inflation des marchés émergents profite également d’une bonne longueur d’avance comparativement au nôtre : les banques centrales, partout dans le monde, intensifient déjà l’application de leur politique monétaire, et ce, avec une certaine vigueur dans certains marchés émergents. 

De plus, si les investisseurs se penchent sur le rendement des actifs des marchés émergents, ils constatent un certain paradoxe. « Bien que ce soit contradictoire, les actifs des marchés émergents ont connu un excellent rendement au début des cycles de resserrement », avance M. Watson. 

Les actifs réels 

En ce qui concerne les actifs réels, les experts qui se sont exprimés au webinaire pensent que les promoteurs de régimes doivent évaluer leur positionnement actuel et celui qu’ils désirent obtenir. 

« Si l’inflation persiste au-delà des prévisions, nous devrons nous tourner vers les infrastructures, l’immobilier, le bois d’œuvre et les terres agricoles. On observera ces actifs selon leur comportement dans différents environnements inflationnistes, affirme M. Menzer. Nous avons examiné l’historique de diverses périodes d’inflation sur au moins 20 années et nous avons remarqué les avantages asymétriques de ces actifs. Dans les environnements où le taux d’inflation augmente, on constate un bon rendement provenant de ces actifs réels, soit des actifs privés et directs qui sont liés aux marchés publics, aux actions de sociétés ouvertes et aux revenus fixes. » 

Il ajoute que les actifs tiendront le coup lorsque l’inflation sera à la baisse. « Les corrélations faibles relativement aux actifs des marchés publics sont un réel avantage pour se prémunir contre les fluctuations de l’inflation. » 

Les rentes   

Un régime de retraite à prestations déterminées peut se diriger vers des options d’achat ou de rachat. Dans un tel cas, Alexandre Larouche, directeur principal des relations clients et des solutions de prestations déterminées à Sun Life, explique que la valeur des rentes se positionne de façon avantageuse grâce à des rendements qui se rapprochent de ceux d’un portefeuille d’obligations de sociétés. La concurrence au sein des sociétés qui élaborent des solutions semblables a contribué à améliorer les capacités et l’intérêt pour le risque. « Cela permet d’effectuer des transactions dont l’envergure et le profil sont diversifiés. » 

M. Larouche soutient que les sociétés désireuses de mettre la main sur ce type d’affaires devraient fournir des données claires et complètes, et bien se préparer au moment d’intégrer le marché à l’aide d’une bonne gouvernance et d’un ensemble d’éléments déclencheurs connus des décideurs. 

Les facteurs en matière d’environnement 

Enfin, Annie Chor Joyce, directrice principale et cheffe du service environnement, affaires sociales et gouvernance à Amundi US aux États-Unis, croit que l’enjeu des changements climatiques représente une tendance macro qui est là pour de bon. La fréquence et l’intensité des cycles de températures extrêmes et l’action des organismes de réglementation de par le monde auront des répercussions sur le marché. Les promoteurs et gestionnaires de régimes de retraite doivent dès maintenant privilégier une planification tenant compte des futurs risques environnementaux. 

« Les changements climatiques représentent une tendance majeure qui influence les orientations à long terme, explique-t-elle. Ils pourraient faire disparaître 23 billions de dollars du PIB mondial d’ici 2050 si les perturbations de températures se poursuivent de la sorte à l’échelle mondiale », ajoute Mme Joyce, en précisant qu’il faut absolument déterminer les investissements nécessaires pour atteindre des émissions nettes neutres d’ici 2050. 

« Assurez-vous de comprendre vos actifs et gardez l’œil sur les mesures à prendre pour ce portefeuille afin de passer d’une perspective de transition à une économie à faibles émissions de carbone. »