Le nombre d’entrepreneurs établis a atteint un creux historique au Québec en 2022 et les dirigeants sont de plus en plus nombreux à fermer leur entreprise. L’activité entrepreneuriale émergente est également en baisse, rapportent les professeurs Étienne St-Jean et Marc Duhamel

Ces chercheurs, auteurs de l’étude sur la Situation de l’activité entrepreneuriale québécoise : rapport 2022 du Global Entrepreneurship Monitor, sont issus de l’Institut national de recherche sur les PME (INRPME) de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR). Ils confirment le constat fait par la Banque de développement du Canada (BDC) quelques jours auparavant. 

Rare bonne nouvelle issue du rapport : le taux de repreneuriat est en hausse constante ces dernières années. Les professeurs Duhamel et St-Jean ont présenté leurs conclusions lors d’un webinaire le 18 octobre dernier.

Ils ajoutent aussi que le Québec est l’un des territoires où l’entrepreneuriat est le plus valorisé au monde, avec 78 % des répondants qui estiment qu’il s’agit là d’un bon choix de carrière. Le Québec se classe deuxième à cet égard, juste derrière le Chili. Le reste du Canada (RDC) se classe au milieu du classement à 65,8 %.

Quelque 26 pays de l’Organisation de coopération pour le développement économique (OCDE) participent à l’enquête du Global Entrepreneurship Monitor (GEM). Les données du GEM Québec rejoignent plusieurs constats faits par la Banque de développement du Canada dans une étude récente sur la situation de l’entrepreneuriat au pays. 

Danger 

Même si l’année 2022 représentait en quelque sorte un retour à la normale sur le plan sanitaire, le contexte économique était substantiellement différent de ce qu’il était avant la pandémie. On mentionne notamment les signes de surchauffe causés par le resserrement du marché du travail, l’augmentation de 5,2 % de la rémunération hebdomadaire moyenne des employés et le vieillissement des entrepreneurs établis. 

Trois enjeux ont été soulevés dans les neuf éditions précédentes du rapport du GEM Québec et ils sont répétés en 2023. Le premier concerne le taux relativement bas d’entrepreneurs établis au Québec par rapport aux autres pays membres de l’OCDE. 

Le deuxième enjeu est le taux élevé d’entrepreneurs hybrides qui travaillent à temps plein au Québec tout en veillant à la naissance de leur entreprise. Le troisième enjeu mentionné est la nécessité de maintenir un niveau élevé de transferts d’entreprises, car les cédants sont pour l’instant plus nombreux à vouloir se départir de leur entreprise que ceux qui sont intéressés à leur pérennité. 

« Un resserrement trop prononcé du marché du travail peut nuire à la vitalité des écosystèmes entrepreneuriaux au Québec », écrivent les auteurs en introduction. 

Seulement 32,8 % des Québécois disent connaître personnellement quelqu’un ayant démarré une entreprise au cours des deux dernières années. Le Québec se classe en 24e place à cet égard, tandis que le RDC est au 12e rang à 51,4 %. 

Quant au niveau de compétence perçu par les citoyens, les Québécois s’estiment moins compétents pour devenir entrepreneurs, à 42,6 %, comparativement à leurs concitoyens du RDC, où 59 % pensent avoir les compétences requises. 

Pourtant, près de deux Québécois sur trois (64 %) perçoivent des opportunités d’affaires dans leur région.

Des constats 

Le premier constat indique que le rapport personnel avec l’entrepreneuriat demeure faible et décline. Au Québec, les gens connaissent assez peu d’entrepreneurs dans leur entourage. Le sentiment de compétence demeure relativement bas. La perception de facilité à démarrer une entreprise est en déclin par rapport à l’année précédente.

Dans le contexte des tensions sur le marché du travail, « cela laisse présager un ralentissement de l’intention d’entreprendre », indiquent les auteurs dans les faits saillants du rapport. 

Deuxièmement, on observe que les opportunités perçues sont en grand déclin au Québec. Même si la peur de l’échec a légèrement décliné au Québec et demeure plus faible que dans le RDC, on constate ainsi une légère baisse de l’intention de démarrer une entreprise dans les trois prochaines années. Ce taux se situe à 18,8 % au Québec et à 20,5 % dans le RDC. 

Le troisième constat concerne le taux d’activité entrepreneurial émergent (TAE). Le TAE combine les entrepreneurs naissants (7,3 % au Québec en 2022) à ceux qui rémunèrent des employés depuis moins de trois ans et demi, ou 42 mois (8,5 % au Québec en 2022).

Au Québec, le TAE a ainsi atteint 14,7 % en 2022, comparativement à 17,6 % en 2021. On rappelle que ce taux était le plus élevé en 2021 par rapport à toutes les éditions du rapport du GEM Québec. 

Le rapport constate que les entrepreneurs naissants sont plus nombreux au Québec à considérer que le démarrage d’une entreprise est difficile (57,8 %). 

Quatrième constat : les sorties entrepreneuriales sont en hausse au Québec en 2022 et atteignent 8,8 %, un niveau inégalé. Plus de la moitié de ces sorties, soit 5,1 %, représentent des sorties sans continuité de l’entreprise. 

Enfin, le repreneuriat semble devenir une voie d’entrée importante dans l’entrepreneuriat au Québec. La moyenne mobile sur trois ans, qui était de 21,9 % pour la période 2016-2018, atteint désormais 35,9 % pour la période 2020-2022. 

Le taux des entrepreneurs établis est de seulement 3,0 % au Québec en 2022, ce qui place la province parmi les trois derniers au classement du GEM. Ce taux est de 7,2 % dans le RDC. Depuis une décennie, le taux le plus élevé d’entrepreneurs établis a été atteint en 2014 avec 8,5 %. 

Le repreneuriat 

La présentation du rapport par les professeurs Duhamel et Saint-Jean et la discussion avec deux entrepreneurs est disponible sur la chaîne YouTube de l’INRPME. Alexandre Ollive, du Centre d’entraide en transfert d’entreprises du Québec (CETEQ), participait aussi à la discussion. Celui-ci rappelle que le CETEQ évaluait à 35 000 le nombre d’entreprises qui étaient prêtes à être transférées vers un nouvel entrepreneur en 2020. Ce nombre a sûrement augmenté depuis, de l’avis de M. Ollive.

Dans un récent sommet sur le repreneuriat, on observait cependant que le financement de la première reprise par un nouvel entrepreneur demeure un exercice complexe et encore plus quand le taux d’intérêt est plus élevé, comme c’est le cas depuis un an. 

Claudia Goulet a dû prendre la relève de l’entreprise familiale après le décès subit de son père en 2006, avant de céder ses parts aux autres membres de la famille deux ans plus tard. Elle se réjouit du fait que l’écosystème entrepreneurial est désormais mieux organisé et favorise le repreneuriat. Elle est propriétaire de Combustion Experts Énergie depuis 2013. 

Jessy David Carignan, de Toitures Letendre et Forcier, a pris la direction de l’entreprise plus récemment. Il note de son côté que le repreneuriat représente une avenue moins risquée que le démarrage d’une toute nouvelle entreprise. Selon lui, le financement doit être pensé dans le même esprit que l’investisseur qui se lance dans l’immobilier. « Le plus dur, c’est la première transaction. Si tu t’en sors bien après la première, ça va mieux après », dit-il. 

Conseils au futur repreneur 

Quel est l’élément à ne pas sous-estimer par le nouvel entrepreneur qui reprend et poursuit les activités de la société ? Jessy David Carignan juge important de bien s’entourer à l’étape du montage financier. « Il ne faut pas négliger les sommes à mettre pour payer les professionnels compétents », dit-il. 

Par ailleurs, une fois la transaction conclue, un fossé culturel émerge assez souvent entre le cédant et le repreneur, ajoute M. Carignan. Il faut au moins une année pour réussir la transition et gagner l’adhésion des principaux dirigeants qui, souvent, voient le cédant comme leur leader. « Il faut faire très attention à la manière dont on met les pieds dans une entreprise », dit-il. 

Claudia Goulet note que cet « écart culturel » se vit une fois la transaction conclue, alors on ne peut pas parler d’un « deal breaker » puisque la vente est faite. Lors d’une transaction subséquente, elle a constaté la pertinence d’un conseil qui suggérait au repreneur de ne pas essayer à tout prix de garder le cédant dans l’entreprise. 

« Nous avons essayé de le faire, car le cédant voulait continuer à contribuer, il ne voulait pas s’arrêter. Mais le conflit est arrivé très vite. Jessy a raison : il faut être résilient, il ne faut pas en faire une affaire personnelle », dit-elle.

Mme Goulet ajoute que le niveau de préparation du vendeur n’est pas toujours suffisant. « Les cédants n’ont pas toujours réalisé que la transaction signifie qu’ils vont prendre leur retraite », dit-elle. 

Méthodologie 

Quelque 2 000 personnes ont répondu à l’enquête canadienne, dont 461 répondants du Québec. Chaque pays participant mène une enquête auprès d’un échantillon représentatif de sa population adulte d’au moins 2 000 personnes. La marge d’erreur d’un tel échantillon est de 4,5 % dans 95 % des cas. 

Dans le rapport, on compare les résultats du Québec avec ceux du RDC et d’autres pays membres de l’OCDE. Le chapitre 5 est par ailleurs en compte par les entrepreneurs des enjeux environnementaux et sociaux.