Le rapport personnel avec l’entrepreneuriat au Québec reste faible, même si la situation s’est légèrement améliorée par rapport aux années précédentes.
Dans le cadre d’un webinaire tenu en novembre, les chercheurs Étienne St-Jean et Marc Duhamel présentaient la 11e édition de la Situation de l’activité entrepreneuriale québécoise : rapport 2023 du Global Entrepreneurship Monitor. Les deux professeurs sont associés à l’Institut national de recherche sur les PME (INRPME) de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).
La comparaison de la situation du Québec est faite avec les données du reste du Canada et avec les 25 autres pays de l’Organisation de coopération pour le développement économique (OCDE) participant à l’enquête du Global Entrepreneurship Monitor (GEM).
Un des indicateurs intéressants soulevés lors du webinaire est la mesure de l’opinion des Québécois sur la carrière entrepreneuriale. Quelque 79,5 % des personnes sondées considèrent que l’entrepreneuriat est un bon choix de carrière. Le Québec arrive au premier rang parmi les juridictions qui participent à l’enquête du GEM.
À cette même question, quelque 67,4 % des répondants hors-Québec partagent cet avis. Étienne St-Jean souligne que cette bonne opinion a peu varié au fil des 11 années d’analyses faites par les auteurs du rapport GEM au Québec.
Quelque 74,5 % des Québécois perçoivent des opportunités d’affaires dans leur région. Encore une fois, c’est le pourcentage le plus élevé en comparaison avec les autres pays sondés. Dans le reste du Canada, cette proportion atteint 59,4 %.
Le rapport personnel avec l’expérience entrepreneuriale contribue à forger l’intérêt des gens envers ce choix de carrière. Or, à peine 32,8 % des personnes sondées au Québec disent connaître personnellement un entrepreneur, contre 56,2 % dans les autres provinces. Le Québec arrive au dernier rang du classement à ce chapitre.
Le sentiment de compétence est une donnée importante, précisent les auteurs du rapport, car c’est un indicateur significatif du passage à l’action. À cet égard, à 46,8 %, les Québécois s’estiment moins compétents pour devenir entrepreneurs comparativement à leurs concitoyens du reste du Canada (59,5 %). Cet écart de perception a aussi été relativement stable au fil des ans.
Peur de l’échec
Quelque 55,7 % des Québécois affirment que la peur de l’échec les freine dans la saisie d’une opportunité d’affaires, comparativement à 54,5 % hors-Québec. « Cela reflète une inquiétude croissante chez les personnes du Québec quant à la prise de risque entrepreneurial », soulignent les chercheurs.
« Avant la pandémie de COVID-19, la peur de l’échec augmentait régulièrement depuis 2013, tant au Québec qu’ailleurs, atteignant un pic en 2020 », écrivent les auteurs du rapport. « Depuis lors, bien que la tendance générale ait montré une baisse progressive post-pandémie, les données pour 2023 montrent une remontée notable de la peur de l’échec au Québec, après une baisse en 2021. Cette remontée indique que malgré une période de relative baisse, la peur de l’échec est redevenue un obstacle significatif pour les entrepreneurs potentiels. »
L’intention de démarrer une entreprise dans les prochaines années est aussi un indicateur de l’engagement des citoyens pour développer l’entrepreneuriat. À 21,1 % en 2023, les Québécois se classent 7e rang des pays participants. Les autres provinces canadiennes arrive nt en 4e place, à 25 %, devancé seulement par le Mexique (33,2 %), la Corée du Sud (34,3 %) et le Chili (53,9 %).
Activité entrepreneuriale
De son côté, Marc Duhamel a présenté les résultats du sondage concernant l’activité entrepreneuriale. Le GEM classe les gens en trois catégories, et les deux premières représentent l’entrepreneuriat émergent :
- l’entrepreneur naissant, qui verse des salaires depuis trois mois ou moins. Ils étaient 12,4 % des répondants au Québec, contre 15,9 % hors-Québec, les deux en forte hausse par rapport aux précédentes;
- le nouvel entrepreneur qui verse des salaires pour une période allant de 4 à 41 mois; quelque 7,3 % des répondants du Québec font partie de cette catégorie, contre 9,9 % dans les autres provinces.
- l’entrepreneur établi, qui paie des employés depuis 42 mois ou plus. À cet égard, le Québec compte 5 % d’entrepreneurs établis, en 19e place du classement du GEM, contre 8,6 % hors-Québec.
Les sorties entrepreneuriales ont grimpé au Québec et dans les autres provinces en 2023, pour atteindre respectivement 9,2 % et 10,7 %, comparativement à 8,8 % et 8,1 % respectivement en 2022.
La proportion des sorties entrepreneuriales où les activités de l’entreprise se poursuivent est plus élevée au Québec et au Canada. Les entreprises québécoises sont parmi celles qui survivent le plus lorsque leur dirigeant sort de l’entrepreneuriat : quelque 5,4 % des répondants du Québec ont quitté l’entrepreneuriat en 2023 alors que leur entreprise continuait ses activités, alors que ce taux est de 4,5 % dans le reste du Canada. Cela montre que le repreneuriat continue de croître au Québec, indique M. Duhamel.
Les auteurs du rapport refont le même constat déjà souligné les années précédentes. Il semble exister une réelle difficulté au Québec (comparé au reste du Canada) lorsqu’on veut passer de l’intention d’entreprendre à l’entreprise établie. « Une telle situation suggère des difficultés à rendre les entreprises pérennes », disent-ils.
L’entrepreneuriat hybride se renforce, malgré une légère fluctuation, poursuit M. Duhamel. La proportion d’entrepreneurs émergents ayant un emploi salarié dans une organisation qu’il ne dirige pas a atteint 65,2 % au Québec pour la période 2021-2023. Il s’agit d’une légère baisse par rapport aux années précédentes. Cette proportion atteint 66,5 % hors-Québec, où l’entrepreneuriat hybride était auparavant moins répandu qu’au Québec.
Pour plus de deux entrepreneurs émergents sur trois, les chercheurs constatent que les risques et les barrières au financement externe des nouvelles entreprises ne permettent pas à son principal dirigeant de se dévouer exclusivement au développement de son entreprise.
Différences selon le genre
L’écart entre les genres s’est rétréci du côté des intentions entrepreneuriales au Québec, avec 23,1 % pour les hommes comparativement à 18,9 % chez les femmes en 2023. L’année précédente, ces intentions atteignaient 22,9 % pour les hommes et 14,6 % chez les femmes.
On constate cependant une baisse de l’activité entrepreneuriale émergente chez les femmes. En 2020, le taux était le même, peu importe le genre, à 12,1 %. Comme c’était le début de la pandémie et des mesures de confinement, la tentation était forte d’abandonner son statut d’entrepreneur émergent, explique Étienne St-Jean.
Depuis, un écart d’au moins 5 points de pourcentage s’est maintenu, et il a même atteint 8,6 points en 2023. Le constat est le même pour les entrepreneurs établis, où 7,7 % des hommes du Québec font partie de cette catégorie, contre seulement 2,3 % chez les femmes.
« On peut voir que la perception positive de la carrière entrepreneuriale par les femmes ne se solde pas en intentions ni en entrepreneuriat émergent ou établi de manière autant marqué que les hommes. Cela pourrait être causé par le faible sentiment de compétence qu’elles ont, une situation qui pourrait refléter les stéréotypes de genre présents dans la carrière d’entrepreneur », indique-t-on dans le rapport.
Repreneuriat
Étienne St-Jean constate également l’importance du repreneuriat comme moyen d’accéder à la propriété d’une entreprise. Cet indicateur présente la proportion d’entrepreneurs nouveaux et établis qui sont entrés dans le monde des affaires par le repreneuriat. Le pourcentage est présenté par une moyenne mobile de trois années.
Au Québec, pour la période 2021-2023, quelque 36,5 % de ces entrepreneurs nouveaux et établis sont devenus propriétaires en reprenant une entreprise existante, comparativement à 23,4 % hors-Québec.
Les auteurs du rapport précisent cependant que l’écart entre les sorties entrepreneuriales avec continuité de l’entreprise et la proportion de repreneurs ne pourra jamais concorder parfaitement, car ce ne sont pas toutes les sorties qui impliquent un repreneur. Certains entrepreneurs peuvent vendre à d’autres entrepreneurs déjà établis, qui peuvent fusionner la société acquise à la leur ou élargir leur portefeuille. En pareil cas, l’acquéreur déjà en affaires pourrait ne pas se considérer comme un repreneur.
Conclusion
La situation entrepreneuriale au Québec demeure « globalement positive » quand on la compare aux autres provinces ou aux autres pays de l’OCDE, indiquent les chercheurs de l’INRPME.
Concernant le dynamisme entrepreneurial au Québec, ils précisent ceci : « Si certains indicateurs, tels que la perception des opportunités et l’intention d’entreprendre, laissent entrevoir une possible reprise, d’autres comme la peur de l’échec et la difficulté à pérenniser les entreprises naissantes appellent à la prudence. Il est important de maintenir un équilibre entre les incitations à l’entrepreneuriat et la réalité du marché du travail, où la rémunération salariale peut parfois l’emporter sur les avantages perçus d’une carrière entrepreneuriale. »