Les données plus à jour sur la situation de l’entrepreneuriat au Québec se font attendre. Depuis 2009, la Fondation de l’entrepreneurship du Québec publiait la mise à jour de l’Indice entrepreneurial du Québec au mois de novembre. L’Indice 2019 sera publié en mars 2020, à une date à déterminer, a indiqué la Fondation le 28 novembre dernier au Portail de l’assurance.

Du côté du ministère de l’Économie et de l’Innovation (MEI), on a aussi l’habitude de produire une mise à jour des données sur l’entrepreneuriat dans une courte synthèse. En 2019, les données les plus récentes ont été mises dans des tableaux publiés dans la section « Portrait de l’entrepreneuriat au Québec » du site Internet du MEI, mais sans réelle mise en contexte.

Report de la retraite

D’autres données nous ont été fournies par Pierre Bisson, de la Direction des politiques et de l’analyse économiques du MEI. Selon les données de l’Enquête sur la population active (EPA) de Statistique Canada et compilées par le MEI, l’âge moyen des entrepreneurs qui prennent leur retraite a été de 66 ans en 2018.

Après une chute de cet âge moyen à 60 en 2000, et à 61 ans en 2009, la tendance des dernières années montre que les entrepreneurs attendent plus longtemps pour partir à la retraite. De 1996 à 2016, l’âge moyen des entrepreneurs au moment de prendre leur retraite a toujours été inférieur à 65 ans, sauf en 2006, où il a atteint cet âge.

Un autre tableau transmis par le MEI montre que la proportion d’entrepreneurs âgés de 55 ans et plus est en progression depuis 1995. Cette année-là, seulement 15,7 % des entrepreneurs faisaient partie de cette tranche d’âge. La tendance observée depuis est à la hausse, atteignant 25 % en 2004, puis 30,2 % en 2013. Elle était de 35 % en 2018.

Les données de l’EPA incluent les travailleurs autonomes avec aide rémunérée, c’est-à-dire des personnes qui travaillent à leur propre compte et qui embauchent d’autres personnes.

Baisse confirmée

Du côté de l’enquête du Global Entrepreneurship Monitor (GEM) 2018, dont la version québécoise a été publiée le 30 avril dernier par Étienne St-Jean et Marc Duhamel, de l’UQTR, on confirme que l’activité entrepreneuriale émergente (TAE) a chuté au Québec en 2018, après cinq années de hausse.

Le TAE mesure la somme des entrepreneurs naissants et des nouveaux entrepreneurs. L’entrepreneur naissant a créé une entreprise et versé jusqu’à trois mois de salaires, tandis que le nouvel entrepreneur verse des salaires depuis au moins quatre mois, jusqu’à un maximum de 41 mois. Après trois années et demie à verser des salaires, on estime au GEM que le chef d’entreprise fait partie de la classe des entrepreneurs établis.

Selon les chercheurs de l’UQTR, associés à l’Institut de recherche sur les PME (INRPME), le TAE a été de 13 % parmi la population adulte en 2018, comparativement à 16,7 % un an plus tôt.

La baisse est d’autant plus étonnante que dans le reste du Canada (RDC), le TAE a plutôt été en hausse en 2018, atteignant 20,4 %.

« Ce premier recul du TAE depuis 2013 laisse planer le spectre d’une activité entrepreneuriale moins dynamique et d’une économie moins performante et innovante dans les années à venir », écrit le professeur St-Jean. Le GEM rapporte aussi une forte baisse de l’intention d’entreprendre, du nombre d’entrepreneurs naissants et de l’activité entrepreneuriale d’opportunité en 2018.

« Nous croyons que la situation du marché du travail aura réussi à freiner les élans d’un bon nombre de personnes pour les phases initiales de l’activité entrepreneuriale. Le plein emploi pourrait décourager ou retarder l’intérêt de certains à profiter des opportunités entrepreneuriales perçues qui sont tout de même en hausse depuis 2015 », souligne le professeur Duhamel.

Les chercheurs confirment aussi le constat touchant l’entrepreneuriat hybride fait dans le rapport GEM 2017. Ce profil se définit par la personne qui travaille à son projet entrepreneurial tout en ayant un emploi rémunéré dans une autre organisation. « Seulement 17,6 % des entrepreneurs émergents du Québec se dévouent entièrement à leur projet d’affaires, alors que cette proportion est de 29,9 % dans l’ensemble des autres provinces », fait observer Étienne St-Jean. La tendance est en hausse constante au Québec depuis 2013, et ce taux a particulièrement augmenté chez les femmes depuis 2016.

L’intention d’entreprendre dans les trois prochaines années est également un indicateur clé de l’engagement des citoyens pour développer l’entrepreneuriat. En 2018 au Québec, ce taux a chuté à 18,4 %, en nette baisse sur l’année précédente (25,6 %). Au contraire, l’intention d’entreprise est en constante progression depuis 2013 dans le RDC.

La publication de l’édition 2018 du GEM a eu au lieu au printemps 2019, plutôt qu’à l’automne, car le professeur St-Jean a pris un congé sabbatique au deuxième semestre de 2019. Dans un courriel, il nous précise que les données du GEM sont compilées dès le mois de février de l’année subséquente. Diverses contraintes font en sorte que la date de publication n’est pas à un moment fixe, indique-t-il.

Nombre d’entrepreneurs : une hausse étonnante qu’il reste à confirmer

Dans sa première édition de 2019, le Journal de l’assurance comprenait un dossier sur la situation de l’entrepreneuriat. On y constatait que le nombre d’entrepreneurs n’a cessé de chuter depuis trois décennies. Étonnamment, les chiffres de l’Enquête sur la population active (EPA) montrent qu’en 2018, il y aurait eu une hausse inhabituelle du nombre d’entrepreneurs, atteignant 169 400 au Québec, soit 10 500 de plus que l’année précédente (+ 6,6 %).

Pourtant, les chiffres les plus récents sur le nombre d’entrées et de sorties au Québec montrent qu’en moyenne sur un an, le Québec compte 7 400 nouveaux entrepreneurs pour 6 900 qui sortent du milieu des affaires, entre 2014 et 2018. L’entrepreneur entrant est comptabilisé lorsqu’il a acquis ce statut dans les 12 derniers mois.

Cette hausse estimée en 2018 laisse perplexe. Nous avons demandé une explication à l’économiste Pierre Bisson, au MEI. « Pour un mouvement du seuil positif, deux facteurs entrent en jeu. Soit j’ai eu une augmentation importante des entrées, soit j’ai eu une baisse importante des sorties. Dans ce cas-ci, c’est probablement ce facteur qui intervient », dit-il.

Le nombre de sorties reste une estimation indirecte, précise-t-il. Pour les entrées, l’EPA sonde l’échantillon et on prend toutes les personnes qui déclarent être entrepreneurs depuis moins de 12 mois. Ce même échantillon de répondants ne fournit pas de réponse permettant de savoir combien d’entre eux ont fermé leur entreprise dans les 12 derniers mois. C’est l’écart entre le nombre total d’entrepreneurs d’une année à l’autre, en fonction du nombre d’entrées, qui permettent d’estimer indirectement le nombre de sorties.

Petit échantillon

Néanmoins, 10 500 entrepreneurs de plus sur un an serait un nombre étonnant, même si on n’avait eu aucune sortie, alors que la moyenne des entrées depuis cinq ans est de 7400 par année. Pierre Bisson explique que l’estimation des entrées est basée sur un très petit nombre de répondants. En appliquant la pondération statistique sur ce petit groupe, la moindre variation peut créer des écarts importants. « C’est très technique, j’en suis conscient », avoue-t-il.

Le nombre qui ne fait pas de sens ici est celui des entrées, poursuit-il, et il n’est d’ailleurs pas publié dans le page du MEI sur l’entrepreneuriat. On y mentionne seulement une moyenne annuelle sur cinq ans.

L’écart de 10 500 entrepreneurs notés par l’EPA peut être attribué en partie à la marge d’erreur de l’échantillon. On peut se retrouver avec l’effet combiné des variabilités de l’échantillon sur deux années : celle qui s’applique à 2017, où l’on avait estimé le nombre d’entrepreneurs à 158 900, puis celle touchant 2018.

Si la marge d’erreur est de plus ou moins 3 %, 19 fois sur 20, en reportant cet écart sur une population de 160 000 personnes, l’écart-type peut ainsi être de 4 800 une année. L’EPA pourrait avoir sous-estimé la population la première année, puis l’avoir surestimé la deuxième année, ce qui pourrait expliquer l’écart.

En conséquence, d’une année à l’autre, ces variations sont relativement peu fiables, insiste Pierre Bisson. « L’interprétation qu’on peut faire sur la variation d’une année à l’autre est effectivement très limitée. » C’est pourquoi il préfère utiliser les moyennes basées sur plusieurs années. Il reconnait que la prudence s’impose lorsqu’on observe une variation sur une seule année et une mise en garde pourrait être ajoutée sous ce tableau.

« On peut probablement conclure que 2018 a été effectivement une bonne année, mais on peut avoir des réserves sur l’ampleur de l’écart. C’est légitime, vu la variabilité quant à la manière dont on tire les données de l’échantillon », note Pierre Bisson. Si on regarde l’ensemble de la courbe sur 40 ans, il y a eu d’autres années où des écarts importants ont été observés d’une année à l’autre quant au nombre d’entrepreneurs. En 2001, l’année suivant l’écrasement de la bulle technologique sur les marchés boursiers, on a ainsi noté une baisse de 12 500 entrepreneurs (-6,4 %).

Le MEI utilise d’autres enquêtes sur la création d’entreprises et pourra mettre en relief cette donnée tirée de l’EPA, mais la plus récente sur le sujet couvrait l’année 2017. « On n’a donc aucune certitude quant à l’exactitude de cette hausse en 2018 », dit-il. Pierre Bisson aura des données plus fraiches dans quelques mois. Une affaire à suivre.