Bien des économistes et chercheurs universitaires mettent en garde les gens d’affaires : la société a tellement changé depuis 5 ans qu’il est imprudent de planifier son avenir sur un à trois ans. De grandes sociétés le font encore, déplorent-ils. 

L’exercice est encore plus périlleux pour certains secteurs industriels.

Au hasard de mes rencontres, beaucoup de leaders en appellent aux Éditions du Journal de l’assurance pour les aider à se préparer à l’avenir.

C’est ce que nous tentons de faire régulièrement à travers nos congrès et nos portails d’assurance. Toujours tenter de voir le plus loin possible. Avec le plus de partenaires possibles. Afin d’élargir la réflexion, et du même coup, l’enrichir.

Nous l’avons fait à la Journée de l’assurance de dommages, le 30 mars 2022. Avec 60 leaders de l’industrie, de segments différents, et la collaboration de Mosaic, le Pôle de créativité et d’innovation HEC Montréal. L’objectif ? « Réfléchir ensemble au devenir de l’industrie, à travers une série d’exercices en empathie avec des représentations d’usagers potentiels. » Quel fut le résultat ? Le groupe a « prédit » que la technologie allait « disrupter » la distribution et que la solution pour continuer de croître était d’investir massivement dans l’expérience client liée à l’expérience employé.

Huit mois plus tard, le 30 novembre 2022, le « disrupteur en chef » est né : ChatGPT. Nous l’avons même invité sur le panel d’ouverture de la Journée de l’assurance de dommages 2023. Depuis, il compte bien une dizaine de concurrents.

Il y aura encore des suites à la Journée de l’assurance de dommages 2024, le 28 mars prochain. 

Aujourd’hui, ChatGPT et ses acolytes en intelligence artificielle sont-ils des ennemis ou des alliés ?

C’est selon qu’on les maîtrise ou qu’on les ignore. Dans ce dernier cas, c’est ouvrir la porte au danger. 

Qu’en est-il de l’assurance de personnes individuelle ? 

À quoi ressemblera 2030, me demande-t-on ?

Depuis le printemps 2023, j’interroge des leaders à travers le Canada.

Bien des gens se questionnent. Autant y vont de leur analyse. Mais personne ne veut ouvertement partager sa réflexion.

Dans nos magazines, nos Portails et nos congrès, nous avons cependant levé le voile sur l’avenir de l’assurance de personnes individuelle d’ici 2030, à plus ou moins une année près.

Cela risque d’être ombragé.

Avant tout, rappelez-vous du commentaire des chercheurs plus haut : il faut se méfier des planifications sur un et trois ans. Or, un autre commentaire est tout aussi important. Il faut se méfier des tendances à court terme. Elles sont justement faussées par la vue à court terme. L’arbre qui cache la forêt.

Moins de polices vendues 

En assurance vie individuelle, à l’orée de 2023, la tendance la plus lourde de sens est la baisse des ventes de polices d’assurance depuis plus d’une décennie.

En se fondant sur les statistiques de vente de polices d’assurance compilées par LIMRA, un peu plus de 700 000 polices d’assurance vie ont été vendues au Canada en 2010, alors que 12 années plus tard, en 2022, le nombre de polices vendues a chuté à quelque 600 000 contrats.

Le portrait est encore plus sombre qu’il n’y paraît à première vue puisque la population du Canada a fortement augmenté entre les deux périodes. Ainsi, Statistique Canada rapporte que la population canadienne est passée de 34 millions de personnes en octobre 2010 à 39 millions en octobre 2022.

Si la vente de contrats d’assurance avait suivi la croissance de la population canadienne, on aurait vu des ventes de plus de 800 000 polices. C’est plutôt un déficit de quelque 200 000 polices qu’on observe. Moins de Canadiens assurés.

Certes, les primes recueillies ont augmenté. On observe aussi plus de contrats avec de fortes primes. Reflet de la performance accrue de certains conseillers, de l’inflation et des hausses des coûts d’exploitation des assureurs. Toutefois, en termes absolus, le nombre de polices ainsi que la pénétration de marché ont chuté.

Autre constat préoccupant en assurance de personnes individuelle, et ce depuis 30 ans : trois conseillers en sécurité financière sur quatre quittent la profession avant d’arriver à leur cinquième année dans la profession.

Les deux statistiques sont-elles liées ? Moins de polices vendues parce que moins de conseillers demeurent ? Ou des conseillers qui désertent parce qu’ils n’ont pas le support pour vendre assez de polices ? À vous la parole ! J’entendrai vos commentaires sur [email protected]

Pendant ces années-là, l’industrie de l’assurance de dommages a créé la Coalition pour la promotion des professions en assurance de dommages. Pourquoi ? Pour attirer, engager et développer la relève dont l’industrie a besoin. Plus de 50 partenaires unissent leurs forces pour attirer et former une relève. La force du groupe rend la chose impressionnante.

En assurance de personnes, rien de tel n’existe. Au cours des 10 dernières années, j’ai rapproché les deux segments en provoquant des rencontres exploratoires en vue de collaborer ou de partager des façons afin de créer un tel mouvement en assurance de personnes. Rien n’a abouti. Des dirigeants de la Coalition m’ont rapporté que la volonté de collaboration n’était pas présente en assurance vie.

Alors, en assurance de personnes individuelle, que va-t-il se passer à l’orée de 2030 ?

Quelques prédictions m’ont été partagées par des leaders de l’industrie. Aucune ouvertement, et je comprends que personne ne veuille provoquer la tourmente.

Alors, les voici.

Selon l’un, il faudra sans doute revenir à l’ère des agences de carrière puisque le modèle de l’indépendance n’a pas permis, de façon générale, de recruter et de former des conseillers pour qu’ils demeurent dans l’industrie. Il y a quelques exceptions.

Selon d’autres, il faudra développer une forme de rémunération de base. Comme on en trouvait dans certaines agences de carrière. Après tout, dit cette personne, les banques le font. 

Selon certains cadres, il est fort probable que des assureurs explorent en ce moment la vente d’assurance vie en direct sur le web par des robots-conseils.

Interrogés sur ce scénario, certains dirigeants affirment qu’il créera un mécontentement généralisé dans le réseau, mais force est d’admettre que la situation actuelle exige des changements gigantesques lorsqu’on constate les données statistiques sur les ventes ainsi que sur le recrutement.

Autre remarque, sans doute d’un actuaire : la vente d’assurance sur le web amènera son lot de problèmes titanesques pour l’industrie. C’est-à-dire ? Ce qui se vend déjà sur le web, ici comme ailleurs, demeure des produits simples. Or, ces produits affichent des marges de profits très minces. Plus les assureurs vendront sur le web pour corriger les faiblesses du réseau, plus « ils se tireront dans le pied » quant à leur profitabilité. 

Qu’arrivera-t-il en 2030 en assurance vie individuelle ?

Si l’industrie remet en question sa façon de faire et collabore pour trouver de nouveaux chemins pour corriger le tir, le ciel peut être ensoleillé. 

Si l’industrie ne trouve pas de nouveaux chemins, alors, les scénarios ci-haut se produiront. C’est une question de temps.

Or, une entrepreneure, extérieure à l’industrie, me disait récemment : « L’industrie doit redorer l’image de l’assurance vie parce que c’est un rouage essentiel dans toutes les décisions importantes de notre vie. »

Il faudrait l’écouter. 

Il me fera plaisir de recevoir vos commentaires à l’adresse suivante : [email protected]

Serge Therrien, président et éditeur des Éditions du Journal de l’assurance