Des produits d’investissements similaires sont offerts à la fois dans le secteur de l’assurance de personnes et celui des valeurs mobilières, mais ils restent soumis à des réglementations distinctes et la formation des conseillers qui les vendent n’est pas la même. Le client à qui l’on propose ce genre de produits dans le cadre d’une assurance vie universelle est en droit de se demander : en matière d’investissements, puisque les assureurs ne sont pas soumis aux mêmes règles que les experts en valeurs mobilières, est-ce que ma protection serait la même ?
« Si l’on me posait la question, force serait de conclure que l’encadrement juridique au niveau des valeurs mobilières est plus robuste que dans le domaine de l’assurance », a répondu Martin Côté, avocat en droit financier et étudiant au doctorat à l’Université de Montréal lors du Colloque sur la protection des épargnants tenu le 28 octobre par le nouveau Laboratoire en droit des services financiers de l’Université Laval.
Me Côté ne rejette pas pour autant le secteur de l’assurance pour réaliser des placements. « Ne sortez pas d’ici pour aller résilier vos polices d’assurance vie universelle, a-t-il ajouté à l’assistance (…). L’encadrement de l’assurance est quand même bon aussi ». Il souligne toutefois que la formation des conseillers n’est pas la même, selon le secteur financier où ils font carrière.
« Ce que l’on constate, a-t-il dit, c’est que la formation pour les représentants en assurance de personnes est beaucoup plus minimale en investissements qu’en valeurs mobilières. Nous sommes bien au fait qu’ils n’offrent pas que des produits d’investissements ; il est normal que leur formation touche d’autres aspects. Mais en fin de compte, pour le consommateur, est-ce normal qu’il y ait cette différence somme toute notable ? ».
Deux secteurs avec des objectifs communs
La réflexion sur l’harmonisation de l’encadrement des produits et services financiers entre ces deux marchés n’est pas nouvelle. Elle est en marche depuis des décennies. Le laboratoire lancé il y a quelques mois par l’avocate et professeur de droit Cinthia Duclos, de l’Université Laval, en a fait l’objet de l’un de ses champs de recherche. Cette table regroupe plusieurs experts, dont Martin Côté, qui s’intéresse à cette question pour les épargnants qui achètent des produits individuellement et non pas dans le cadre de régimes collectifs.
Ce client peut obtenir des produits similaires par la voie des valeurs mobilières offertes par des courtiers en valeurs mobilières et par le biais des assureurs à même leurs fonds distincts. Quand les assureurs se sont vus autorisés à créer ces fonds au début des années 60, c’était sur une base collective. « On pourrait presque dire que le glissement des assureurs vers l’offre de produits d’épargne sur une base individuelle est un accident historique », a souligné Me Côté.
Il n’y a pas de différences fondamentales entre le secteur des assurances et celui des valeurs mobilières, a-t-il dit : les deux visent les mêmes objectifs, la protection des consommateurs et la stabilité financière. Une question reste toutefois entière : est-ce que l’épargnant bénéficie de la même protection selon qu’il frappe à l’une ou l’autre porte ? En 2022, l’harmonisation de l’encadrement entre ces deux milieux pour des produits semblables se fait toujours attendre.
Analyse de 40 jugements
Me Côté et des chercheurs ont analysé une quarantaine de jugements en matière de produits d’investissements offerts par les assureurs et les ont comparés avec la jurisprudence sur les valeurs mobilières. Lors de sa conférence, il a résumé quelques constats qui s’en étaient dégagés :
Le premier est la complexité des produits, qui sont à la fois des produits d’assurance et d’investissements. Le constat est assez unanime, a noté le conférencier.
Alors, où est la solution pour que le client s’y comprenne mieux ? Qu’est-ce qui peut reposer sur les épaules de l’épargnant et sur celles de l’industrie, notamment des intermédiaires ou les institutions financières ? Au niveau des épargnants, fait remarquer Martin Côté, il y a eu beaucoup d’engouement pour l’éducation financière ces dernières années. « La sensibilisation des investisseurs est le meilleur moyen d’assurer la protection des consommateurs », répète-t-on.
Il apporte cependant une nuance : « Oui, on considère que l’éducation financière importante, mais ce n’est pas une panacée. C’est un côté de la médaille. Le revers, c’est de voir comment l’intermédiaire ou les professionnels peuvent être à même d’aider leurs clients et à bien les renseigner, car un autre constat flagrant s’est dégagé en jurisprudence, ce n’est pas seulement le consommateur qui ne comprenait pas le produit, le représentant aussi ».
Les enjeux de rémunération et d’incitatifs financiers
Autre constat qui ressortait de la jurisprudence, les enjeux de rémunération et d’incitatifs financiers. On a souvent constaté que les consommateurs qui poursuivaient leur conseiller ou leur institution ne comprenaient pas nécessairement la structure du produit qui leur était offert. « Il y a une asymétrie et l’épargnant est dans une position de vulnérabilité. Il n’est pas à même de tout comprendre, déplore Me Côté. Nous on croit qu’entre noyer le consommateur sous beaucoup d’informations ou venir court-circuiter à la source certains comportements qui pourraient être répréhensibles, la deuxième solution serait préférable ».
Ce qui fait dire à Martin Côté : « Tout cela est un peu préoccupant, surtout si l’on regarde le plus récent rapport d’observation du Comité permanent sur les régimes d’assurance (CPRA) qui dit essentiellement que l’an dernier, les programmes incitatifs au niveau des assureurs sont encore quantitatifs et non pas qualitatifs et que le processus de supervision souffre de certaines lacunes ».
« Quand on regarde la ligne directrice dans le domaine de l’assurance, commente-t-il, on constate que contrairement à ce qui existe en valeurs mobilières, ce n’est pas une interdiction formelle de recourir à des incitatifs. Ce que l’on vient dire, c’est que certaines pratiques pourraient augmenter le risque de traitement non équitable du client. Après, c’est de voir comment cette norme va être appliquée par les assureurs, mais nous sommes d’avis que ça va minimalement nécessiter une intensification de la supervision de ces pratiques ».